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UNE DESCENTE À L’ETAGE DU BAR ?!?!

Publié le vendredi 9 mai 2008.


Que dire sur le café philo ? En voilà une question merdeuse... Il est d’actualité de se justifier sur tout ! Quelle horreur ! Une chose est sûre : Il ne faut pas avoir peur du ridicule ! ça tombe bien...

Au café philo il n’y a que des gens extra ! On y trouve pêle-mêle et très précisément : des ramollis du bulbe, des génies, des handicapés de la pensarde, des encyclopédistes, des vulgarisateurs, des vulgaires, des prétentieux, des modestes, des couillons, des fumiers, des qui sentent l’enflure à plein nez, des intelligents, des jaunes, des angoissés de la vie, des tordus, des compliqués, des enragés, des salopards, des simples, des gentils, des chrétiens, des gros crétins, des matérialistes, des immatérialistes, des spéculateurs mous, des instables, des gris, des détraqués notoires, des prêcheurs de mauvaise foi, des illusionnistes, des jaunes foncé, des trublions, des réalistes, des p’tits branleurs comme moi, des pourritures, des bourgeois, des paysans, des beurres, des cinglés, des dangereux, des sages, des sceptiques, des moralistes de chez Leclerc, des altruistes, des égoïstes, des qui ne viennent pas, des masochistes, des gluants, des sales, des propres, des rêveurs, des poètes, des scientifiques, des rationalistes, des spirituels, des spiritueux, des psychopathes graves, des bandits de grand chemin, des clodos, des légionnaires, des maîtres, des esclaves, des SDF, des femmes, des hommes, des « les deux en même temps », des ni-hommes ni-femmes, des « qui se cherchent », des noirs, des beaux, des laiderons, des objets vivants non identifiables, des racistes, des fachos qui s’ignorent, des prêtres, des qui se débattent au dessus de leur néant, des juristes, des débiles, des rigolos, des méchants, des alcooliques, des drogués, des dramatiques, des falsificateurs, des sérieux, des requins de la finance, des fouteurs de merde, des enfants, des adultes, des entre deux âges, des râleurs, des vieux, et bien sûr des morts... Il me semble que c’est à peu près tout... Cette diversité donne étrangement vie à des dialogues peu universitaires, parfois chaotiques, mystérieux, sans concepts clairs, mais d’une richesse effective absolument incomparable... Les échanges au sein de cette pluralité dynamique m’attirent, et je crois même pouvoir identifier à travers toutes ces figures grotesques à souhait, des composantes de ce que j’ai été, suis ou serai. Finalement une judicieuse recomposition de mon « Moi », à condition d’ajouter à cette longue liste, l’expression de « bigleux-poilu-à-lunette », qui marque ma spécificité physique propre...

Ne nous y trompons pas, contrairement aux apparences, ce premier constat rapide doit permettre à mon sens, d’écarter l’explication strictement psychanalytique, des motivations de ceux qui descendent au café-philo ! Je sais bien que certains ne manqueront pas de voir à travers cette énumération, l’aveu non assumé d’un « pervers polymorphe ». Tant pis ! Contre l’imposture de la psychanalyse qui masque l’effort philosophique et atomise le problème de la vie réelle dont la richesse ne se laisse finalement pas dire, je veux défendre mon opinion et expliquer la raison de ma venue au café philo en avançant une argumentation plus singulière. Premièrement, je ne crois pas en l’hypothèse d’une thérapie de groupe... A bien y regarder, il y a derrière la psychanalyse, une dimension métaphysique bien plus intéressante à développer... Seule, la psychanalyse reste superficielle et impuissante à exprimer la vie dans sa simplicité-complexe. De plus pour se prononcer sur l’homme et le monde, il n’est pas toujours nécessaire de rationaliser, sortir toute l’armada des sciences humaines. J’ajoute qu’il me semble très réducteur et très prétentieux d’essayer d’établir un profil psychologique du café-philiste. Les analyses des grands experts sur ce sujet, tournent d’ailleurs bien souvent à la farce... C’est du molière en plus drôle ! La grande chance du café-philo est peut-être de faire fuir les spécialistes... Mais puis-je encore dire simplement les choses sans être suspecté et analysé à outrance par un public éclairé qui se sait, par droit divin, situé à jamais dans le camp du bien et de la vérité ?

Je viens d’abord au café-philo, comme cette poignée de gugus, qui se trémoussent dans cet univers aberrant. Je viens me désenvaser un peu d’un quotidien qui ne me correspond plus véritablement, échapper à cette « société-vitrine » qui tente de faire de ma carcasse un réceptacle à consommer, un esclave des temps modernes, un trublion condamné à jouer toute sa vie sur le banc des remplaçants de l’existence... Car oui, il me reste un peu de fierté moi aussi, et je remarque que les gens qui savent que je vais au café-philo portent un regard très dur sur ma pomme. Le bilan est sévère. Je ne serais seulement qu’un cas pathologique à observer, un anormal, un fumier, un pion, un mou du gland, un déchet de la pensée, une vilaine bestiole à exterminer, un champignon, une bat’verrue, la faible victime d’une mode éphémère, et bien sûr : « un malade venu trouver un remède... » Certes, j’admets sans fausse modestie être porteur des stigmates du sombre crétin et n’avoir jamais dépassé le Q.I. de la moule farcie, mais pour ce qui est de la maladie qu’on souhaite m’attribuer, je m’autorise à émettre malgré tout quelques réserves. De quelle maladie parlons-nous ? L’envie d’écouter les autres est-elle une maladie ? Il me semblait que non... Être convaincu que les p’tit’s gens en savent bien plus que nos grands universitaires... Est-ce une maladie ? Ah là, je dois admettre que oui ! c’en est une ! Je confesse d’ailleurs cette maladie, que je traîne avec moi depuis déjà un bon moment. Et, à l’heure où quelques trous du cul perdent du temps à lire ce texte plutôt long et ennuyeux, je ne suis pas en mesure de vous assurer que cette maladie n’est pas contagieuse. Les symptômes quant à eux ne sont pas si insurmontables que cela. Jugez plutôt : "empathie mal contrôlée, nausée fugace à la vue des cravates et autres nœuds papillons, attirance inexplicable pour la bière en pression." Quoiqu’il arrive, par un mystère inexplicable, ou une outrecuidance condamnable, j’ai l’impression que la pathologie que l’on m’attribue me tient à bonne distance de la bêtise... Et puis j’estime être perfectible, avoir moi aussi la possibilité d’être moins con que je ne le suis, et partant de zéro, vous avouerez que c’est beaucoup plus fastoche pour moi... N’en déplaise aux experts, je viens donc le mercredi soir prendre un « bain d’authentique altérité » pour en apprendre un peu plus sur moi-même grâce aux autres que j’écoute et qui me distillent parfois leurs fulgurances trop longtemps embryonnées... Et l’écoute de l’autre dans un monde de « l’hyper-communication qui ne communique plus » ne va pas de soi ! Faut s’accrocher au bastingage ! La confrontation des volontés est extrêmement désagréable à vivre ! C’est un exercice déstabilisant, voire même impossible ! Mais ne devons-nous pas relever le défi et nous résoudre à faire vivre ces échanges sans mobiles particuliers ? Pour accepter de plonger dans le fond de cette insaisissable diversité qui prend des allures de vieille casserole incrustée par les années, il faut peut-être avoir initialement l’intuition que « si haut que l’on soit placé, on n’est jamais assis que sur son cul. » Le café-philo doit à mon sens, rester un : « joyeux bordel à idées ». C’est un lieu de survie et d’exercice de la pensée « punk », dont je me revendique. Le punk se veut terriblement crétin, c’est ce qu’il y a de sale et qui repousse, mais c’est aussi ne pas accepter la complaisance, faire les choses soi-même... La société actuelle ne nous contraint-elle pas à jouer le jeu sournois des valeurs ? « La boue, les cheveux et les choses viles ont-elles aussi une forme, une participation à l’Un », demande Parménide à Socrate ? Socrate ne sait plus quoi répondre... Parménide lui explique qu’il est donc encore un peu jeune en philosophie.

Je ne viens pas au café philo avec un projet rationnel et l’envie de monter toujours plus haut... A quoi bon monter ? Il me semble que si nous n’y prenons pas garde, La société d’aujourd’hui nous entraîne dans un univers sans nuances, qui n’est pas le nôtre... Les gens se jugent de plus en plus en terme de tout ou rien, si bien qu’ils ne sont même plus capable d’accepter l’idée qu’on puisse changer, évoluer, alterner entre ce qu’il y a de mieux et ce qu’il y a de pire... Ils s’estiment du bon ou du mauvais côté et adoptent la panoplie qui va avec toute leur vie... La société supporte de moins en moins l’erreur, l’incertitude, le tâtonnement qui sont pourtant les ferments de l’existence. Un homme qui aujourd’hui n’a pas d’ambition est condamné... La société lui impose de grandir toujours, lui inculque, lui inflige sa démesure... Je trouve au café-philo un contrepoison à cette tendance... Je veux pouvoir continuer à promener mon imperfection, me tromper, virevolter, faire des erreurs, entrer dans des impasses, faire demi-tour, tourner, tournoyer, me noyer, sortir parfois la tête de l’eau et continuer quand même, car c’est la seule façon de profiter un chouïa de cette vie qu’on nous rend merdeuse... Il n’est pas étonnant que les gens aient du mal à prendre la parole ou même tout simplement venir au café-philo. Ils vivent le truc comme un rite de passage vers le haut... Le plus drôle, ce sont ces gens qui viennent, armés d’une cravate et qui se persuadent un peu sottement que cette marque vestimentaire ajoutera du poids à ce qu’ils vont dire. Prisonniers d’une fausse conception du Savoir, comprise comme érudition et accumulation de connaissances, ils prennent la parole et entament leur long monologue ennuyeux afin d’obtenir ce qu’ils sont venus chercher : « une érection intellectuelle en solitaire ». Qu’importe si le café-philo se trouve être l’endroit où l’on dit le plus grand nombre d’âneries en un centième de secondes. Il est très important de venir au café-philo pour ne rien en retenir ! Il faut venir animé d’un désir de rien ! Le néant repose ! Le face à face avec le néant questionne subtilement, et permet d’être au plus prés de ce que nous sommes véritablement...

Plus fondamentalement, je me demande s’il faut vouloir monter dans la vie, ambitionner, aller vers le haut, spéculer et pour en faire quoi ? Après tout, l’histoire de la philosophie montre qu’après Socrate, tous les philosophes sont tombés dans le piège de la spéculation. N’ont-ils pas d’ailleurs laissés derrière eux, qu’un souvenir vague et falsifié d’escalade solitaire vers le haut ? Pour leur sauver la mise, on a pu dire que la philosophie s’élevait pour mieux retomber. Mais, on les attend toujours ! Où sont-ils ? J’m’en va vous le dire ! Sont coincés là haut ! Ils ont cru trouver une brèche par laquelle enfreindre enfin leur finitude et atteindre ce qu’ils appellent l’infini, l’absolu, ou une construction dans ce genre... Après tout à chacun son petit mensonge pour continuer ! Et, on ne peut pas en vouloir aux gens de s’accrocher à un bidon dans cette vie, qui prend des allures de grand naufrage... Bref, une fois là haut, leur trouillomètre a atteint son niveau ultime. A la vue de cette foule qui les attendait en bas, de cette horde répugnante de « petits malades » dont je fais partie, ils ont fermé les yeux et se sont tout à coup retrouvés seuls devant le miroir. Et qu’y a t-il de plus terrible que de constater que l’on est pas du tout l’homme génial qu’on croyait être et que nous n’avons pas du tout les grandes qualités que nous nous étions attribuées en rêve ? Entrer dans l’univers fabuleux de l’esthétique transcendantale dont parle Kant, voilà qui a coup sûr vous hissera parmi « l’élite de la nation ». Je regrette souvent de ne pas avoir pu travailler sur la chaîne de peinture avec à mes côtés Emmanuel Kant. Aurait-il pu mettre en pratique sa morale s’il avait bossé de nuit sur une chaîne de peinture ? Aurait-il réussi à garder son calme, raisonner à partir d’impératifs et à ne pas zigouiller son petit chef après huit heures de gestes répétitifs et une remarque de trop ? Aurait-il réussi à parler de la critique de la raison pure à ses collègues sans qu’il lui arrive rapidement un petit pépin ? Je pense ici à la vilaine chute d’escalier qui vous fait tomber malencontreusement à plusieurs reprises sur l’extrémité des chaussures de sécurité de vos petits camarades de boulot...

À la vérité au café-philo, il faudrait plutôt parler "d’esthétique descendantale". Après tout nous pouvons imaginer qu’il existe au sein de l’expérience quotidienne, une simplicité qu’il n’est pas nécessaire d’aller décortiquer pour en retirer la substantifique moelle. Il est possible de vivre en soi sans négliger l’autre, trouver le compromis. Peut-être que tout est déjà là, et que les propos, les allusions, les attitudes, les mimiques, les visages, les présences des unes des uns et des autres nous permettent de trouver ce que nous cherchons bêtement en spéculant parfois longtemps. Je définis l’homme comme « homo-mordus-caudum », il est l’animal qui se mord la queue. La métaphysique n’est peut-être au bout du compte qu’une question d’attitude, de positionnement à l’égard de l’autre dans un univers qui nous fait nous côtoyer immanquablement. Tout me semble être une question de distance dans la vie, et principalement de distance à l’égard de soi-même, que nous ne saurions trouver en vivant seul. Toute la difficulté consiste à partager un peu de notre « gratuité naturelle », venir simplement effleurer l’Altérité sans jamais vouloir la travestir ou se confondre avec elle. Je parle de l’attitude, mais il serait peut-être plus exact de parler d’une latitude, un emplacement à trouver sur la grande carte géographique que constitue l’existence. Vivre en sachant écouter l’autre (travail de toute une vie) c’est sûrement retrouver la vie à l’endroit où elle se perd parfois en théories, se replacer judicieusement sur l’échiquier de la pluralité, et marcher sur le chemin d’un « bonheur » réalisable sans en avoir une conscience pleine et entière. Je me rends aussi à l’étage du bar, afin d’assouvir ma soif et mon envie de rire en toutes occasions. Rire n’est pas un geste anodin selon moi. Rire de soi, c’est aboutir à une perte de contrôle, une chute sublime ! Ne plus être en mesure de raisonner permet de rompre avec le sérieux qui menace toujours l’intellect dans sa quête vers la vérité. Accepter de rire, c’est donner aux visages, un espace nouveau de dialogue où l’extériorité dit ce qu’elle a à dire ! Au café philo, il suffit de tendre l’oreille, d’ouvrir les yeux et boire un bon coup pour s’adonner à la mystique implicite du monde, caresser le grand mystère de l’Unité. Le café philo est l’épicentre d’une dialectique subtile, secrète et luminescente où l’être respecte la simplicité pour entrevoir à l’occasion le nuage d’inconnaissance qui nous anime tous... Si si !!

Mais pas besoin de longs discours ! J’en termine vite avec mon meilleur souvenir du café-philo qui résume à lui seul ce que j’ai essayé de dire par des détours qui font très logiquement « chier tout le monde... ». Il m’a été offert lors de la venue d’un SDF qui nous a fait part de son expérience. Dans des moments critiques, il avait été contraint de fouiner dans les poubelles pour trouver à manger. Il a expliqué qu’on pouvait connaître les gens, leur être profond en ouvrant leurs poubelles, véritables cartes d’identités de leurs âmes... Je laisse donc tous les « malades » avec cette bien belle idée qui à l’heure du tri sélectif ne manquera pas de les faire philosopher !

Post rectum : les café-philistes sont-ils les membres d’une secte ? J’en suis certain, ils sont les membres de la vilaine et insaisissable secte des hommes !

Fafa dit « Lafouine »


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