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Les mésaventures du colloque de Poitiers

ou l’organisation clandestine d’un colloque interdit...
Publié le samedi 15 avril 2006.


Lorsque j’ai présenté à M. Cadet, le nouveau recteur de l’académie de Poitiers, mes activités dans les classes juste avant de partir au colloque de Caen fin mai 2004, ce dernier a été très attentif et s’est montré très intéressé, si bien qu’à la fin du colloque, en réunion du comité de pilotage historique[1] lorsqu’il en a été question de la suite à donner, et puisque Alain Berestetsky, le directeur de la Fondation 93 et l’initiateur du colloque, proposait de le faire à l’Espace Scientifique Mendès-France, nous nous sommes accordés pour le faire sur Poitiers. Restait à convaincre Benoît Siméoni, le directeur du CRDP de Poitou Charentes. Ce qui fût assez facile car il connaissait l’intérêt que pouvait y porter le recteur et les projets de publications que j’avais avec le CRDP[2].

Il faut préciser ici que, non seulement le CNDP avait soutenu financièrement les trois dernières éditions du colloque, mais les trois derniers ministre de l’éducation nationale, Jack Lang, Luc Ferry et François Fillon avaient encouragé et soutenu financièrement en donnant une subvention en passant par la Desco, il est vrai, surtout pour le ministère Fillon, du bout des doigts, mais une subvention de 4000 euros quand même.

Etant mis à disposition dans la mission aux TICE, j’avais contacté quelques mois plus tôt le chargé de la mission à l’innovation pour lui proposer de travailler sur le projet "philo" qui se développait depuis 97 sur Poitiers et qui commençait à prendre une place intéressante, en particulier avec le projet d’une heure de philo semaine sur chacune des 4 classes de Segpa de deux établissements de Poitiers, les collèges Jean Moulin et Renaudot, soit 8 heures par semaine. C’est donc tout naturellement que j’ai écrit au recteur pour lui demander de me mettre l’année suivante à la mission à l’innovation à mi-temps sur le projet philo et à mi-temps sur l’organisation du colloque. Certains impondérables, en particulier la longue durée du changement du chargé de la mission à l’innovation, ont fait que j’étais dans une situation incertaine à la rentrée 2004, si bien que lorsque nous avons abordé le contenu de mes missions avec Benoît Siméoni, il m’a proposé de m’obtenir du recteur que je travaille à mi-temps sur l’organisation du colloque et à mi-temps à la mission aux TICE. Je me consacrerai aux interventions dans les classes sur mon temps libre personnel. Rien n’avait été signé mais j’ai commencé à travailler dans ce cadre. J’ai même envoyé au recteur les enregistrements de deux séances de CE2-CM1 avec les transcriptions. Il m’a répondu par écrit qu’il en a pris connaissance « avec beaucoup d’intérêt ». Benoît Siméoni , Didier Maes mon Inspecteur Pédagogique Régional, ainsi que M. Léon et M. Roger, les Inspecteurs de l’Education Nationale des enseignants avec qui je travaille, ont reçu les mêmes documents.

A partir de là, le colloque est devenu un projet très fédérateur. L’espace Mendès-France, le rectorat et le CRDP étaient co-organisateurs, L’IUFM était partenaire et même subventionnait (1000 euros) et, pour l’université, le département de philosophie s’étant décommandé, nous étions en partenariat mou avec le DESS de philo "médiation des organisations", dur avec l’UFR de sciences humaines et très dur avec Sophia, l’association des étudiants en philosophie. Sans compter le partenariat technique avec UPTV, la télévision en ligne de l’université de Poitiers, qui devait filmer les plénières et les mettre en ligne en différé.

Les ultras de l’APPAP (Association de prof de philo de l’académie de Poitiers) partenaires au début de la Nuit philosophique (soirée entre les deux jours du colloque où la philosophie devait se répandre dans la population de la cité sous forme d’une dizaine de lieux de débats organisés) ont tout fait ensuite pour faire échouer cette manifestation aidés par une certaine partie des décideurs poitevins qui auraient certainement vu d’un bon œil que le colloque se fasse dans son coin et n’ait pas toute cette publicité. Surtout que, dès le début, j’avais fait un projet plus ambitieux : joindre au colloque nouvelles pratiques le colloque international des cafés-philo. Mais là, ce fût trop et j’ai dû rabaisser mes exigences et me concentrer sur le colloque Nouvelles pratiques de la philosophie en classe et dans la cité, en faisant tout pour insister sur la "cité".

Le compte rendu de Michel Tozzi sur le contre-colloque de Caen fût une première alerte. Je le cite :

"Ce colloque universitaire a prolongé le colloque de Ballaruc d’avril 2003, montrant le clivage persistant entre d’une part des représentants de l’institution philosophique et nombre de professeurs de philosophie, d’autre part des « praticiens réflexifs » (comme dit Schön), soutenus par d’autres professeurs de philosophie et la recherche en sciences de l’éducation. Toujours les mêmes remous : la doyenne de l’Inspection générale de philosophie a refusé de venir, alors qu’elle avait imposé sa présence à Balaruc, mais J.L. Poirier, Inspecteur général de philosophie, présidait une séance, et A. Pessel, Inspecteur général de philosophie honoraire, était intervenant. Le Recteur de l’académie a retiré son soutien à l’initiative, qu’encourageait la précédente Rectrice. L’Inspecteur d’académie qui devait ouvrir le colloque s’est fait excuser. Mais le colloque était organisé par l’IUFM de Caen, ouvert par son Directeur, et soutenu par plusieurs instances de l’Université de Caen : une Equipe de recherche en philosophie, le Centre de recherche en sciences de l’éducation, et l’Ecole doctorale dirigée par H. Peyronie. On mesure à quel point une innovation, soutenue par la Délégation académique aux innovations et le bureau des innovations de la DESCO du Ministère, peut entraîner des débats dans l’institution elle-même..."

La deuxième alerte eu lieu le 23 décembre 2004. Benoît Siméoni m’a averti qu’il avait eu vent de bruits de couloir au ministère, que le colloque, et peut-être moi aussi, était dans le collimateur et que les Inspecteurs Généraux de philo (enfin je dis "les" mais il ne m’a parlé que d’un seul) faisaient tout pour l’empêcher. J’ai tenté de contacter le doyen des Inspecteurs Généraux de philosophie, Christian Souchet, qui a été mon Inspecteur et duquel j’avais gardé le souvenir d’un homme intègre mais je n’ai pas eu de réponse à mes courriers et je n’ai jamais réussi à avoir le secrétariat au téléphone.

Si bien que, le 13 janvier, j’ai reçu un appel téléphonique de Benoît Siméoni, très embêté qui m’a informé que le recteur avait eu ordre du ministère de se tenir le plus éloigné possible du colloque. Il semblait,selon lui, que ce soit un l’Inspecteur Général de philosophie qui est au Cabinet du Ministre, qui est passé par l’intermédiaire de Patrick Gérard le Desco pour faire intervenir le ministère. Car, renseignements pris, le Cabinet du ministre est plutôt "neutre" sur cette affaire. Lors du ministère Ferry, Pierre-Henri Tavoillot était un chaud partisan de ces nouvelles pratiques. Aujourd’hui, les conseillers trouveraient que certaines pratiques sont contestables et que la philosophie à la maternelle est très discutable mais n’ont pas établi de ligne de conduite précise et attendent que ça décante pour prendre une décision. Par contre sur le terrain, à Poitiers, c’est la grande lessive. Dans un premier temps il a semblé qu’il avait été décidé que le recteur ne présiderait pas le colloque, que la Desco ne donnerait pas sa subvention, que le CRDP ne serait plus co-organisateur, que le CNDP ne donnerait pas sa subvention, que je n’aurais plus mon mi temps pour organiser le colloque et qu’on me demanderait de ne pas l’organiser sur mon temps libre. On me demanderait aussi de ne plus intervenir dans les classes sur mon temps libre durant le temps scolaire, l’IUFM se retirant l’organisation et ne donnant plus de subvention.

Mais, ayant argumenté que l’organisation du colloque était bien avancée, qu’il était annoncé partout et qu’il n’était que la partie la plus visible d’un large mouvement de fond, cette annulation était une grave maladresse politique, que j’imaginais les grands titres des journaux et la réaction des collègues et des partenaires (en particulier le Conseil Régional Poitou-Charentes avec lequel le recteur était en discussion conflictuelle). Cela a un peu fait évoluer les choses : on me laissait l’organiser « clandestinement » avec l’espace Mendès-France. Comme ce dernier a refusé, à juste raison, vu l’échec que ça pouvait être, il avait été décidé que le colloque se fasse absolument mais avec un « service minimum ». Le recteur ne le présidant pas et le rectorat ne devant plus apparaître. Le CRDP restant co-organisateur avec Mendès-France mais sans l’ébruiter. Les subventions ont donc transité par l’Espace Mendès-France et j’ai été chargé de l’organisation mais sans dire que je suis personnel rectoral. Si bien que début février, soit deux mois avant le colloque, le service minimum était devenu service inexistant. Le peu de subventions qui nous restait : Ville de Poitiers et peut-être Conseil Régional et Conseil Général, étaient bloquées faute de pouvoir déposer les dossiers, les devis (en particulier pour la traduction) n’étaient pas signés et le CRDP traînait pour signer les lettres d’invitations des intervenants et participants.

Un mois avant le début du colloque, les choses sont allés un peu mieux. J’ai pu obtenir la signature des lettres d’invitations et le mercredi 23 février, Benoît Siméoni et Didier Moreau se sont mis d’accord, sans bien-sûr rien signer, sur un partenariat et une convention ce qui, vu que c’est l’Espace Mendès France qui se charge de les récupérer, a eu comme effet de débloquer la situation au niveau des demandes de subventions, mais j’ai aussi perdu la main sur elles (quoique le CRDP était garant des dépenses et qu’un déficit de 3000 euros est couvert par le CRDP et de 3000 euros supplémentaires par Mendès France). La condition de cette couverture du déficit, c’était que, pour B. Siméoni, je ne fasse pas de communication locale et pour Didier Moreau, je n’organise pas le Nuit Philosophique. A ce sujet, je l’ai déjà dit, suite à la désaffection en octobre des ultras de l’APPAP, Didier Moreau avait décidé que la Nuit philo ne se ferait pas prétextant que la mairie et la région ne le souhaitaient pas. Ca devait être un peu vrai pour certains décideurs de la Ville de Poitiers qui ont toujours vu d’un très mauvais oeil la popularisation de la philosophie. Ils semblent toujours avoir été franchement opposés aux cafés-philo et à la philo à l’école et ont certainement des positions très proches du Desco ou des Inspecteurs Généraux de philosophie.

J’ai fait intervenir auprès de Jean-François Macaire (vice président du Conseil Régional) un ami qui m’a dit que j’étais courageux de me lancer dans cette entreprise du colloque et de la Nuit philo car "certains", qui n’avaient pas les moyens de nous empêcher de faire le colloque vu qu’il était estampillé Education nationale, auraient vu d’un bon oeil qu’on le fasse entre nous dans notre coin sans trop remuer les choses localement. Je n’ai donc pas cédé et proposé qu’avec ou sans l’espace Mendès-France, j’organiserai quand même la Nuit Philo. J’ai ensuite appris que l’Espace Mendès-france ne ferai pas les demandes de subventions à la Mairie et à la région comme il avait proposé de le faire. Ca ne m’a pas trop dérangé vu que dans le même temps Jean-François Macaire semble être intervenu auprès de Mireille Barriet, l’adjointe au maire à la culture, qui m’a octroyé 2000 euros. Comme j’avais la subvention de l’IUFM (1000 euros) et du CNDP (3000 euros), peut-être de la Desco (4000 euros), de l’Europe dont Didier Moreau m’avait dit que je pouvais attendre 15 000 euros et que je pensais que Jean-François Macaire allait donner pour la région 3000 euros, je ne m’inquiétais pas trop. Tout en faisant cela, j’ai pris contact avec les lieux où auraient pu avoir lieu les débats, le Gil Bar bien-sûr, mais surtout avec Jean-Michel Passerault de doyen de l’UFR de Sciences humaines qui était très intéressé par l’organisation d’un débat à l’Hôtel Fumé et, pour ne pas en rester au centre de la ville, j’avais pris des contacts avec les centres socio-culturels des trois Cités, de Cap sud et de la Blaiserie.

Juste en même temps, avant les vacances de Noël, j’ai appris que Didier Moreau n’avait pas fait passer la demande de subvention européenne par son réseau comme promis depuis fin juin mais par la députée européenne. J’ai dû faire très vite pour compléter le dossier et même trouver si c’était éligible... J’ai fait dans la foulée (le 23 décembre) avec Benoît Siméoni une demande de subvention pour le conseil général (2000 euros). C’est là qu’il m’a appris qu’il y avait des bruits de couloirs au ministère et que le colloque était dans le collimateur. On connaît la suite de l’histoire : plus de subventions de la Desco, du CNDP et de l’IUFM et la condition pour récupérer la subvention de la Ville et les hypothétiques subvention du Conseil général et de la région et de l’Europe est l’abandon de la Nuit Philosophique, dont j’ignore encore le réel commanditaire puisque la Ville a maintenu sa subvention de 2000 euros et que Jean-François Macaire, même s’il n’a pas pu l’obtenir, a tout fait pour que la Région donne une subvention de 3000 euros...

Le colloque a finalement eu lieu. La ville de Poitiers, le CNDP, l’université de Poitiers y ayant contribué par leurs subventions. Le CRDP et l’espace Mendès France par leur couverture du déficit. Les plénières sont disponibles sur :

http://uptv.univ-poitiers.fr/uptvsite/frameset_ns2.htm

[1] - Alain Berestetski (Directeur de la Fondation93, organisateur du premier colloque à l’INRP - Paris)

- Jean-Pierre Bianchi (Professeur des écoles praticien de la philosophie. Responsable de l’antenne locale des Yvelines - CRDP de Versailles ; organisateur du troisième colloque à Nanterre)

- Oscar Brenifier (Docteur en philosophie. Consultant - Formateur Institut de Pratiques Philosophiques, organisateur du troisième colloque de Nanterre)

- Jean-François Chazerans (Professeur de philosophie praticien - Académie et CRDP de Poitiers)

- Jean-Pierre Gabrielli (Agrégé de philosophie, directeur du CRDP de Bretagne ; organisateur du deuxième colloque à Rennes)

- Gilles Geneviève (professeur des écoles praticien de la philosophie - organisateur du quatrième colloque de Caen)

- Michel Tozzi (Professeur des universités en sciences de l’éducation. Directeur du Centre d’Etude et de Recherche sur les Formes d’Education et d’Enseignement, Université P. Valéry Montpellier)

[2] Philosophie hors classe, un ouvrage collectif sur l’histoire de l’émergence des pratiques philosophique dans les classes avant la terminale et Apprendre en philosophant, un ouvrage collectif sur les activités philosophiques développées par le groupe de Poitiers. Cf. http://philopartous.free.fr/article.php3 ?id_article=50


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