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Le temps est-il de l’argent ?

Publié le dimanche 5 août 2007.


D’où vient l’expression anglaise « Time is Money » ? Au vrai, elle vient des grands argentiers, financiers et créanciers. À qui d’autre sinon aux prêteurs sied le mieux cette expression du taux d’intérêt ? La création monétaire n’a jamais été du ressort d’un État, mais de quelques acteurs privés, finançant autrefois les princes et rois ; c’est ce que signifie l’indépendance d’une banque centrale. A comprendre alors que les discours extrémistes prônant la souveraineté nationale est sur ce point une fumisterie. Il n’y a que quelques pays pauvres où la planche à billet tourne selon les désirs du gouvernement, mais d’emblée, personne n’y croit, pas même les indigènes. La véritable officine monétaire de ces pays sont le Fond Monétaire International et la Banque Mondial ; le rouble soviétique n’était pas moins une chausse-trappe à dollars. Le taux d’intérêt est l’exercice d’une domination sociale : le plus vous êtes riche, le moins celui-ci vous pèse et devient même votre rente.

Dans sa « Philosophie de l’argent », G. Simmel rend compte de l’argent telle une fonction. À mon souvenir, l’auteur n’abordait pas la création monétaire, ni l’usure, mais en filigrane, il y avait la conclusion que nul ne pouvait être propriétaire de l’argent ; ce dernier n’existe qu’entre deux mains étrangères, au moment de l’échange. En tant que fonction, cela tombe sous le sens : on peut être l’auteur d’une fonction mathématique, on en est pas pour autant le détenteur. En dehors de cela, pour G. Simmel, la fonction de l’argent porte uniquement sur la valeur des choses, devises inclues. À la fois valeur et condition de possibilité de toutes les valeurs. C’est vrai, si l’on s’en tient au seul exercice subjectif de la valeur d’usage, mais vu sous le jour de la valeur d’échange, tout comme cette dernière est fonction du temps, l’argent est alors une fonction temporelle. Ce n’est plus la valeur qui se trouve ainsi exprimée par l’argent, mais le temps par l’usage de l’argent. En d’autres termes, l’argent est du temps et non le contraire.

Mais ne serait-ce pas réciproque au même titre que l’espace et le temps ? Non, le temps comme argent est une dimension tout étrangère à celle de l’argent comme temps ; de même la valeur d’usage est inconciliable avec la valeur d’échange. La première signifie simplement de vouloir telle chose à tout prix, il y a certes en elle aussi des éléments rationnels d’ordre technique, mais il est question du désir ou des croyances avant-tout ; la seconde fonde la valeur sur des rapports de temps, on a affaire avec des déterminations objectives, mais cela ne vaut que pour tout ce qui est reproductible et par là même temporel. La première relève de l’expression personnelle et commune, la seconde relève de la finitude ; entre elles, le rapport est inégal puisque l’on peut désirer toute chose. Le temps comme argent est l’expression du désir d’une minorité d’entre nous, la création monétaire n’impliquant aucune épargne préalable de quelque nature. Si il y avait une telle épargne, une mesure temporelle serait possible, celle de sa constitution ; à partir de quoi, le taux d’intérêt serait l’expression temporelle de sa reconstitution, prêts et dettes seraient un échange inter temporel. Tel n’est pas le cas, l’argent est une créance, un prêt, sans origine, sans autre point de départ qu’une loi instituée par et pour quelques uns. Le temps comme argent est simplement l’usage de sa création pour les autres.

Chose complètement différente de l’expression du temps par l’usage de l’argent. Là où il y a reproduction, cette expression est possible. Cela recouvre une bonne part des activités économiques, cela transcende la distinction entre biens et services. Pour tout dire, la reproductibilité n’est que service direct ou indirect, c’est-à-dire détourné. L’argent soulève ainsi la finitude, l’acquisition de connaissances ; à comprendre simplement le manque de temps. Les limites temporelles individuelles sont repoussées au niveau collectif. Il y a d’ailleurs une corrélation entre le temps et l’argent dans l’économie de reproduction : le plus on a de temps, le moins on a d’argent et inversement. Malheureusement, l’économie dans son ensemble ne se prête pas en entier à la reproduction : on peut reproduire une maison mais non son lieu ; la construction de tours contourne cette non-reproductibilité. Très exactement, bien des besoins essentiels ne s’y prêtent pas dans l’immédiat de l’espérance humaine. Seul le créancier dispose du temps et de l’argent : rentier, il est en dehors de la reproduction ; il en a donc tout le loisir, c’est-à-dire le temps. Que le temps soit ainsi de l’argent n’est donc vraiment qu’une particularité. C’est dans les termes, il s’agit de création et non pas de production ou reproduction monétaire ; ainsi, il y a plus d’argent dans le monde que tout ce que l’on pourrait hypothéquer.


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