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Intervention à la journée thématique « l’approche des genres masculin / féminin » le 17 octobre 2007

Publié le dimanche 11 novembre 2007.



- Pourquoi tient-on à maintenir toutes ces différences homme / femme ?
- Pourquoi le singulier d’ailleurs, pourquoi pas la différence hommes / femmes ?
- Pourquoi tient-on à maintenir la différence et l’identité de genre ?
- Pourquoi les hommes ne s’investissent-ils pas dans la vie familiale ?

D’abord, il y a dans l’assistance une centaine de femmes et une dizaine d’hommes. Les hommes seraient-ils moins intéressés que les femmes par cette question du genre et par leur relation avec les femmes ? Les femmes seraient-elles plus du côté de l’écoute et du social ?

Ensuite, je viens de constater qu’il y a dans l’assistance une centaine de femmes et une dizaine d’hommes et il n’est pas question que je ne sois pas sûr d’avoir affaire soit à un homme soit à une femme. Le neutre ne se peut pas. De plus, non seulement le neutre ne se peut pas mais un homme qui a l’apparence d’une femme et une femme qui a l’apparence d’un homme est scandaleux (lorsqu’on s’en aperçoit bien-sûr...).

Une expérience classique. On fait 3 groupes habillés en rose, bleu, jaune de 8 enfants composés de 4 filles et 4 garçons. On les met dans 3 pièces différentes et on fait rentrer des adultes à qui on dit que le groupe rose est composé de filles, le groupe bleu de garçons et le groupe jaune moitié-moitié de filles et de garçons. Pour les groupes rose et bleu, après les risettes d’usage et comme il y avait un tas de jouets dans un coin, les adultes sont allés chercher des jouets de filles pour les roses et de garçons pour les bleus. Pour le groupe jaune, les adultes ont passé leur temps à chercher à déterminer le sexe des enfants se fondant sur des préjugés : il est tonique donc c’est un garçon, il est calme donc c’est une fille. (Remarquer la tournure bizarre de cette dernière phrase...) Autre exemple : lorsqu’on rencontre un couple qu’on n’a pas vu depuis longtemps et qui a un nouveau né : on cherche avant tout à connaître son sexe. Dernier exemple des élèves androgynes.

Ce malaise quant à l’androgynie et à l’inversion se double d’un autre malaise : par rapport au choix sexuel. L’homophobie est une réalité. Mais là aussi le « neutre », la bisexualité est déniée.

Même dans les cultures où il existe un troisième sexe, chaque individu est soit l’un soit l’autre. Par exemple chez les Inuits, les hommes chassent et les femmes s’occupent du foyer. Les garçons sont destinés à aider leur père à la chasse et les filles, leur mère dans les tâches ménagères. Si un couple a disons 3 filles, le quatrième enfant, si c’est encore une fille sera éduqué comme un garçon pour plus tard aider son père à chasser. Si un couple a 3 garçons, le quatrième enfant, si c’est encore un garçon sera éduqué comme une fille pour plus tard aider sa mère dans les tâches ménagères. Les troisièmes sexes ne peuvent se marier qu’entre eux et c’est la femme qui initiera ses garçons à la chasse et l’homme qui initiera ses filles aux tâches ménagères.

Pourtant, cette dichotomie en deux genres n’est-elle pas un peu simpliste ? La théorie Queer, (Judith Butler Etats-Unis, Marie-Hélène Bourcier en France en 1999) : il y a une multiplicité de genres, de nombreuses variantes d’hétérosexuels, des bisexuels, des gays et des lesbiennes de toutes catégories, des transsexuels, et donc finalement, pas de genre typiquement féminin ou masculin.

Alors pourquoi tenir encore à cette différence ? Si la condition masculine ou féminine est gravée dans l’anatomie, dans les gènes, dans le cerveau, alors elle est nécessaire, elle ne peut être changée ou modifiée, elle devient une essence et l’individu ne peut vouloir transformer sa condition sociale. Toutes les différences par rapport à la normalité sont contre-nature.

C’est une position très contradictoire qui se drape dans un pseudo discours scientifique. Qui confond d’un côté différence et inégalité et d’un autre identité et égalité. Position en fait morale et idéologique. Par exemple, le texte suivant d’un anthropologue de la fin du XIXème siècle des plus en vue. "Dans les races les plus intelligentes, comme les Parisiens, il y a une notable proportion de la population féminine dont les crânes se rapprochent plus par le volume de ceux des gorilles que des crânes du sexe masculin les plus développés. [...] Cette infériorité est trop évidente pour être contestée un instant, et on ne peut guère discuter que sur son degré. Tous les psychologistes qui ont étudié l’intelligence des femmes ailleurs que chez les romanciers et les poètes reconnaissent aujourd’hui qu’elles représentent les formes les plus inférieures de l’évolution humaine et sont beaucoup plus près des enfants et des sauvages que de l’homme adulte civilisé. Elles ont des premiers la mobilité, et l’inconstance, l’absence de réflexion et de logique, l’incapacité à raisonner ou à se laisser influencer par un raisonnement, l’imprévoyance et l’habitude de n’avoir que l’instinct pour guide. [...] On ne saurait nier, sans doute, qu’il existe des femmes fort distinguées, très supérieures à la moyenne des hommes, mais ce sont là des cas aussi exceptionnels que la naissance d’une monstruosité quelconque, telle par exemple qu’un gorille à deux têtes, et par conséquent négligeables entièrement. Vouloir donner aux deux sexes, comme on commence à vouloir le faire en Amérique, la même éducation, et par suite leur proposer les mêmes buts, est une chimère dangereuse. [...] Le jour où, méprisant les occupations inférieures que la nature lui a données, la femme quittera son foyer et viendra prendre part à nos luttes, ce jour-là commencera une révolution sociale où disparaîtra tout ce qui constitue aujourd’hui les liens sacrés de la famille et dont l’avenir dira qu’aucune n’a été plus funeste." (G. Le Bon, « Recherches anatomiques et mathématiques sur les lois des variations du volume du cerveau et sur leurs relations avec l’intelligence », Revue d’Anthropologie, 2e série, t. 2, pp. 27-104)

Il semble clair pour Gustave le Bon que si on tient à ces différences, si on les fonde en nature c’est pour protéger le couple, le mariage et la famille. La différence de genre se réduit donc à la relation de couple et elle est occultée derrière la différence mère-père. La sexualité est alors exclusivement destinée à reproduire l’espèce, à faire des enfants.

C’est ce qu’expliquait Arthur Schopenhauer :
« Les femmes ne sont attirantes que lorsqu’elles sont jeunes. Cela dure peu. Mais la nature les comble alors d’une beauté surabondante, à laquelle l’homme se laisse prendre.
Cet attrait qu’elles exercent alors sur les hommes, cette plénitude qui les envahit au détriment du reste de leur vie, doit leur permettre de capter l’imagination d’un homme dans le peu de temps dont elles disposent pour le décider à s’occuper d’elles pour de bon toute sa vie. » (Arthur Schopenhauer, Panerga et Paralipomena, chapitre 27, 378) « Car l’amour de l’homme décline insensiblement, à partir du moment où il a reçu satisfaction ; presque toutes les autres femmes l’attirent plus que celle qu’il possède déjà, il aspire au changement. L’amour de la femme, au contraire, augmente à partir de ce moment ; résultat conforme à la fin que se propose la nature, à savoir la conservation et l’accroissement aussi considérable que possible de l’espèce. L’homme peut, sans peine, engendrer en une année plus de cent enfants, s’il a à sa disposition un nombre égal de femmes tandis qu’une femme, même avec un pareil nombre d’hommes, ne pourrait toujours mettre au monde qu’un enfant dans l’année (les jumeaux étant l’exception). Aussi l’homme cherche-t-il toujours d’autres femmes ; la femme au contraire, s’attache fermement à un seul homme, car la nature la pousse sans réflexion à conserver celui qui doit nourrir et protéger l’enfant à naître. Ainsi donc la fidélité conjugale, tout artificielle chez l’homme, est naturelle chez la femme. » Arthur Schopenhauer, Monde comme volonté et comme représentation, supplément, chapitre 44.)

Evidemment Schopenhauer reporte la « faute » sur les femmes. Mais ne serait-ce pas plutôt le couple qui est une construction religieuse et sociale, qui est un outil de domination de l’homme par l’homme, de la femme par l’homme et de l’homme par la femme ?

« Cette morale du refoulement et de la contrition émane en définitive seulement de quelques textes qui seront inlassablement commentés, car il n’en existe pas d’autres ! Ce sont les éternelles Épîtres aux Corinthiens dans lesquelles Paul prône l’abstinence, la chasteté, le célibat : « S’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient, mieux vaut se marier que brûler [...]mais celui qui ne se marie pas fait mieux encore » (Corinthiens, VII,2) ou encore l’Épître aux Galates, témoignant d’une conception néo-platonicienne dualiste qui condamne sans équivoque le péché de la chair : « Frères, conduisez-vous selon l’Esprit et n’accomplissez pas les désirs de la chair. Car les désirs de la chair s’opposent à l’Esprit et ceux de l’Esprit à la chair : ils se contredisent l’un l’autre, Si bien que vous ne faites pas ce que vous voulez [...]. On sait ce que produit la chair : débauche, impureté, libertinage, idolâtrie, magie, inimitiés, discordes, jalousies, colères, rivalités, divisions, coteries, haines, meurtres, orgies, ripailles et les choses du même genre. Je vous en avertis comme je l’ai déjà fait : ceux qui font de telles choses n’hériteront pas du Royaume de Dieu » (Galates, V, 16-24). Ce sera encore saint Jérôme, se retirant plusieurs années au désert pour tenter de faire disparaître ses visions érotiques, obsessions visuelles de danseuses, qui condamnera ainsi le désir : Si un homme aime trop intensément une femme, fût-elle la sienne, il est coupable d’adultère. « Rien de plus immonde que d’aimer sa femme comme une maîtresse. » Les premiers gnostiques refuseront toute pensée charnelle, toute forme d’union, même légale. La chasteté abstinente devint alors une vertu suprême, un symbole d’humanité et de pureté s’opposant à l’image animale de l’accouplement sexuel. « Le premier vœu des chrétiens est l’abstinence absolue, l’exigence de virginité. L’amour chrétien se fonde sur l’enseignement paulinien d’une orthodoxie anti-désir. Le plaisir est interdit comme fin, il est gourmandise ou luxure, synonyme de vices. » Trois siècles plus tard, les commentaires théologiques de saint Augustin viendront compléter cette condamnation de la chair et du mariage amoureux en renforçant les attitudes antisexuelles des premiers chrétiens : nous sommes les produits du désir, car nous avons été conçus dans le péché de la chair. Pour expier cette faute nous devons maîtriser nos désirs par la volonté. Seul le rapport sexuel fécondant est acceptable. Les autres sont péchés, même dans le mariage. Cette rigoureuse morale du refoulement qui domine encore partiellement notre civilisation n’est en réalité le fait que d’un petit nombre d’hommes tourmentés, névrosés et inhibés qui vivaient autour de la Méditerranée au début de notre ère mais dont l’influence a été considérable par le poids des Églises sur les États occidentaux. La pensée de Paul, de Matthieu, de Jérôme, commentée et rigorifiée par Augustin, a été systématisée par Thomas d’Aquin et intégrée au dogme de l’Église catholique selon un décret du pape en 1563. La sexualité non reproductrice ou accompagnée de plaisir devient alors « luxure », que ce soit dans le mariage ou en dehors. Elle est qualifiée de « péché contre nature », comme le sont les positions anormales du coït, l’homosexualité, la masturbation et la bestialité. (Philippe Brenot, inventer le couple, Editions Odile Jacob, 2001, pp. 85-86).

Ainsi, peut-on vivre des relations authentiques hommes-femmes qui ne sont pas calquées sur la relation maritale et sur la relation père-mère, et qui ne sont pas destinées à la reproduction de l’espèce ? Sommes-nous donc prêts, en vue d’être dans une parfaite égalité sociale, à renoncer à la famille et au couple ?
Il est incompréhensible, si les hommes ont un désir d’enfants, qu’ils ne s’investissent pas dans la vie familiale et dans les tâches ménagères autant que les femmes. Dans ce cas-là nous sommes vraiment dans un odieux rapport de domination. Mais peut-être que les hommes ne sont pas intéressés par le couple et la famille et surtout par le fait de faire des enfants. Dans ce cas, les femmes seraient-elles prêtes à renoncer à mettre leur désir de faire des enfants au-dessus de la relation avec la personne ou les personnes qu’elles aiment ?


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