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- La personne qui a proposé le sujet s'est expliquée.
Il y a pour elle une différence entre la philosophie de Socrate
et celle qu'on fait dans l'éducation nationale, et la philosophie
qu'on peut pratiquer dans les cafés semble se rapprocher plus de
la première que de la seconde.
- Il est certain qu'on apprend la philosophie en cours de philo [à
la fac] parce qu'on ne la voit pas ailleurs mais la philosophie de café
est-ce vraiment de la philosophie ? est-ce qu'elle est vraiment de la
même nature que la philosophie de Socrate car il semblerait qu'il
ne fréquentait que les jeunes de bonnes familles, que l'élite
?
- A la fac on ne fait que de la philosophie spéculative (ex. Kant)
alors que la philosophie est un dialogue. On peut exposer diverses opinions
dans un café alors qu'en cours on ne dit rien et on écoute
ce que le prof nous dit. On peut inventer tout seul la philosophie, la
philosophie est d'abord une remise en cause personnelle.
- Exercice public de la parole ne peut pas être un métier
(Socrate n'était pas un professeur mais s'adressait à n'importe
qui), comment peut-on pratiquer une philosophie institutionnelle ?
- Difficile de soutenir que l'on ne peut pas faire de philosophie dans
les cafés car cela renvoie à ce que l'on est en train de
faire, on est venu pour participer à un débat "philosophique".
Il faudrait peut-être définir la philosophie.
- Faire de la philosophie c'est remettre en question les idées
préconçues. Avant il y avait un bouillonnement intellectuel
à la fac alors que maintenant on ne fait plus qu'apprendre les
idées des autres.
- Il semble qu'on soit en présence de deux thèses :
1) la philosophie dans le café (plus proche de l'idée qu'on
se fait de la philosophie comme remise en question des préjugés)
est l'affaire de tout le monde.
2) la philosophie est une affaire de spécialistes, ne concerne
qu'un petit nombre et ne peut se faire que dans des lieux particuliers,
fac ou lycée.]
- Tout le mode fait de la philosophie, tout le monde se pose des questions.
- Mais se poser des questions est-ce toujours faire de la philosophie
et toutes les questions sont-elles philosophiques ?
- Y a-t-il quelqu'un dans l'assistance qui n'a jamais suivi des cours
de philo ? Pour se poser des questions philosophiques il faut bien avoir
des bases en philo.
- Faire de la philosophie c'est se rendre compte qu'on se pose des questions.
Un spécialiste ne se pose pas plus de questions que les autres.
C'est seulement quelqu'un qui vit du business de la philosophie et vivre
du business de la philosophie est-ce vraiment philosophique ? On ne fait
pas des études pour seulement passer un examen, les études
sont faites pour apprendre. Sophia en grec c'est la sagesse mais aussi
la raison. Il n'y a pas de remise en cause dans la religion ou dans la
voyance, c'est irrationnel. On a besoin du raisonnement et non de la culture.
- D'accord philosophie c'est sophia mais c'est aussi philo. Si on est
"ami" de la sagesse c'est qu'on n'est pas vraiment sage et qu'on
veut le devenir.
- Mais peut-on vraiment devenir sage ?
- Dire qu'on n'atteindra jamais la sagesse n'est-ce pas une croyance ?
- Non, la croyance engage les gens avec violence. Le débat philosophique
de ce soir ne trouvera peut-être pas sa solution dans ce café
mais on aura parlé avec des gens et quelque chose se passe. Il
ne faut pas faire non plus du café le seul lieu "philosophique".
C'est un accident qui nous pousse à réfléchir. Autrui
nous pousse à réfléchir. Il y a des multitudes d'événements
qui nous poussent à la philosophie et le café n'en est qu'un
parmi les autres.
- C'est sûr mais le café a ceci de particulier que le débat
"sauvage" est permis alors que dans les autres institutions
on ne peut pas. L'avantage du café philosophique c'est de débattre
avec des gens qu'on ne connaît pas.
- Trouver des solutions approuvées par tout le monde est du totalitarisme.
Les gens qui pensent avoir des solutions sont dangereux. La philosophie
ce n'est pas trouver des solutions mais ouvrir des fenêtres.
- il y a une difficulté car d'un côté on a dit que
la philosophie c'est ne pas avoir de certitudes et d'un autre il faut
avoir des certitudes pour pouvoir s'investir.
- Pour faire de la philosophie il faut se poser les bonnes questions ainsi
on peut trouver la bonne réponse.
- Est-ce que la philosophie est accessible à tout le monde ? est-ce
que tout le monde peut se poser les bonnes questions ?
- Il y a des gens qui n'ont pas le temps de se poser des questions, ils
passent leur temps à survivre.
- Le problème c'est que ne pas se poser des questions est réconfortant,
c'est commode pour l'Etat que les gens ne pensent pas.
- Dans tout ce qui vient d'être dit, on pense que la philosophie
change quelque chose, la philosophie ne sert à rien car la pensée
n'influe pas sur l'action, par exemple la philosophie n'a pas empêché
le nazisme.
- Les nazis n'ont jamais fait de débats philosophiques sinon ils
ne seraient jamais devenus nazis. Penser ce n'est pas appliquer des idées
bêtement mais y réfléchir. Penser dans l'absolu ne
sert à rien, ça ne sert à rien de penser si ce n'est
pas pour transformer le monde.
- Mais la philosophie est-ce seulement penser, n'y a-t-il pas aussi de
la provocation ? ne s'agit-il pas aussi d'essayer de faire penser les
autres ?
- Dans les dialogues de Platon il n'y a que Socrate qui pense, et ça
fini toujours par l'accord des autres avec ce qu'il pense.
- C'est parce que le débat philosophique passe par le questionnement,
exemple du Gorgias de Platon où on voit bien la méthode
d'accouchement mise en oeuvre par Socrate.
- Il y a peut-être deux façons de penser, la science et la
philosophie, on fait de la philosophie sur des sujets que la science ne
s'est pas encore appropriée.
- Ceci voudrait dire que plus la science progresse moins la philosophie
à de place. N'est-ce pas ce qui se passe actuellement lorsque les
spécialistes des sciences humaines disent au philosophe qu'il n'a
plus rien à dire ?
- Seulement la science a beaucoup progressé et pourtant il nous
reste beaucoup de questions !
- Le philosophe est-il un généraliste ou a-t-il un certain
domaine qui lui est propre ?
- Quelle est la différence entre un simple débat et un débat
philosophique ?
- Le simple débat n'est pas un vrai débat. D'abord il porte
sur des questions qui ne sont pas vitales pour tout le monde, ensuite
tous les participants sont à peu près d'accord. Par exemple
le dernier débat de J.-L. Delarue à la télévision
qui portait sur ceux qui jouent aux courses, ça ne concerne pas
tout le monde et ce n'est qu'une série de témoignages.
-
[difficile de conclure. Pourtant si ce débat continue dans les
prochaines semaines c'est qu'il y a un certain désir de réfléchir
ensemble et d'exposer ses idées à la critique des autres.
C'est qu'on trouve quelque chose ici qu'il n'y a pas ailleurs. Est-ce
que ce sera pour autant de la philosophie ? Comment savoir ?... Peut-être
en y venant voir !]
SYNTHESE
Deux thèses ont été très rapidement mises
en opposition :
1°) la philosophie dans le café (plus proche de l'idée
qu'on se fait de la philosophie comme remise en question des préjugés)
est l'affaire de tout le monde.
2°) la philosophie est une affaire de spécialistes et ne peut
se faire que dans des lieux particuliers, fac ou lycée.
Certains ont vite senti la "dépossession" que représentait
la deuxième thèse, si la philosophie est seulement affaire
de spécialistes, le non-spécialiste n'a plus qu'à
se taire et à faire autre chose alors qu'il semblerait que tout
le monde à la faculté de faire de la philosophie.
Mais que tout le monde ait la faculté de faire de la philosophie
ne veut pas dire que tout le monde fait partout et toujours de la philosophie.
Certains autres ont bien compris le danger que pouvait représenter
la première thèse si elle était mal comprise car
la philosophie de café est le plus souvent considérée
comme de l'anti-philosophie, synonyme de débat d'opinion sans grand
intérêt.
Il fallait donc essayer de savoir ce qu'est la philosophie, ce que c'est
que pratiquer la philosophie.
Ici aussi deux thèses ont été très rapidement
opposées :
1°) La philosophie à une visée "vitale", elle
est liée à une pratique, faire de la philosophie c'est se
poser des questions.
2°) La philosophie porte sur un domaine particulier de la connaissance,
car il semblerait que toutes les questions ne soient pas philosophiques.
On était encore dans la même difficulté mais certaines
choses avaient été précisées. D'un côté
la conscience d'une "dépossession" qui conduit à
la philosophie considérée comme un "fourre-tout",
de l'autre un champ de la philosophie si restreint que la philosophie
n'est qu'un pur jeu "théorique" sans visée pratique.
L'enjeu n'était pas seulement la définition de la philosophie
mais de savoir ce qu'est faire de la philosophie. Restait encore à
se demander ce qu'est un "échange" philosophique, si
le débat philosophique de café est un tel échange
philosophique et s'il n'y a pas de différence entre un débat
philosophique de café et une simple discussion de café (simple
débat).
Le simple débat n'est pas un vrai débat. D'abord il porte
sur des questions qui ne sont pas vitales pour tout le monde, ensuite
tous les participants sont à peu près d'accord. Par exemple
le dernier débat de J.-L. Delarue à la télévision
qui portait sur ceux qui jouent aux courses, ça ne concerne pas
tout le monde et ce n'est qu'une série de témoignages.
En définitive ce qui sous-tendait ce débat de café
c'est le questionnement sur un certain rapport entre le savoir et l'opinion.
La thèse dominante actuellement et qui est mise en pratique aussi
bien à la télévision (et dans les médias)
que des les conférences et qui était présente dans
le débat c'est que le savoir est une affaire de spécialistes
qui ont pour fonction de cultiver l'opinion.
L'autre thèse en présence soutenait la conviction "socratique"
que la vérité peut jaillir du dialogue dans un débat,
qu'on ne peut faire de la philosophie qu'en exposant ses idées
à la critique des autres, que c'est un bon moyen de les remettre
en question.
Il faut bien se rendre compte que le débat philosophique est au
café pour se garantir de ce rapport entre le savoir et l'opinion
qui s'appuie sur les "spécialistes". Spécialistes
de philosophie mais surtout spécialistes de tout poils qui peuvent
à la rigueur parler de ce dont ils sont spécialistes mais
qui sont redoutables lorsqu'ils sortent de leur domaine. Il n'y a qu'à
voir comment se passe une conférence où les "spécialistes",
bien alignés à table sur une estrade, leur nom et un verre
d'eau devant eux, parlent de ce dont ils sont spécialistes, pendant
que les non-spécialistes sont sagement assis dans la salle et écoutent.
Ces derniers ont le droit, à la fin, de poser des questions auxquelles
les spécialistes condescendent à répondre.
Ce n'est pas en soi critiquable, on a besoin de l'avis de ceux qui ont
étudié certaines questions, mais ce qui est étonnant
c'est qu'il n'y a pas d'autres formes de rapport au savoir ou à
l'information. Cette façon de procéder est la seule pratiquée.
On se demande bien pourquoi.
C'est d'abord que l'on présuppose que l'auditoire n'a pas d'avis
et qu'il faut lui en donner un. Or c'est souvent tout le contraire, ce
n'est pas un manque d'opinion mais c'est l'existence d'une pléthore
d'opinions contradictoires qui est remarquable et d'en donner encore quelques
unes ne fait que faire empirer les choses.
Mais même si le spécialiste a un point de vue nouveau sur
la question, comme le public a déjà son propre avis, ce
qu'il va dire a des chances de ne pas être compris et accepté.
D'ailleurs le spécialiste se préoccupe-t-il de cela ?
Au fond ce qui importe avant tout c'est d'occuper le terrain et de priver
les autres de parole. Les "autres" qui sont les autres spécialistes
mais surtout l'auditoire. Car il se pourrait que le savoir soit un pouvoir,
mais plus encore, que le savoir soit l'allié du pouvoir et de tous
les pouvoirs. Ce rapport entre spécialistes et non-spécialistes
permet de distiller l'idéologie dominante faite de culture populaire
dévalorisée.
Il suffit de prendre l'exemple du "débat" télévisé
sur les revendications des étudiants à La marche du siècle.
Au lieu d'inviter seulement des étudiants pour qu'ils parlent eux-mêmes
de ce qui les concerne, Cavada a aussi invité deux ténors
"spécialistes" de l'éducation et surtout de la
prise de parole, Bayrou et Chevénement qui sont et ont été
ministres de l'Education.
Que les spécialistes aient mobilisé le temps de parole c'était
à prévoir mais il faut aller plus loin c'était nécessaire
: il faut occuper le terrain pour priver les autres de parole. Ce qu'il
y a eu d'intéressant dans cette marche du siècle c'est que
les "autres" s'en sont rendus compte et tous les téléspectateurs
avec eux et que Cavada a montré ce qui se passait lorsque les téléspectateurs
ne croyaient plus à la tolérance de ta TV : il a élevé
la voix, il a montré qu'il était le seul propriétaire
de son émission sur la TV publique, il a été obligé
de recourir au pouvoir, il a joué à la perfection son rôle
de chien de garde.
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