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Est-ce une démarche philosophique que de philosopher dans un café ?

au Gil'bar

 

Paru dans l'Incendiaire n°1, octobre 1997
3 pages



Résumé

SUJETS PROPOSES
Est-ce une démarche philosophique que de philosopher dans un café ?
L'homme a-t-il toujours été violent ?
L'histoire a-t-elle un sens ?
SUJET CHOISI
Le sujet de circonstance a été choisi : Est-ce une démarche philosophique que de philosopher dans un café ?

 

Sommaire rapide

- La personne qui a proposé le sujet s'est expliquée. Il y a pour elle une différence entre la philosophie de Socrate et celle qu'on fait dans l'éducation nationale, et la philosophie qu'on peut pratiquer dans les cafés semble se rapprocher plus de la première que de la seconde.
- Il est certain qu'on apprend la philosophie en cours de philo [à la fac] parce qu'on ne la voit pas ailleurs mais la philosophie de café est-ce vraiment de la philosophie ? est-ce qu'elle est vraiment de la même nature que la philosophie de Socrate car il semblerait qu'il ne fréquentait que les jeunes de bonnes familles, que l'élite ?
- A la fac on ne fait que de la philosophie spéculative (ex. Kant) alors que la philosophie est un dialogue. On peut exposer diverses opinions dans un café alors qu'en cours on ne dit rien et on écoute ce que le prof nous dit. On peut inventer tout seul la philosophie, la philosophie est d'abord une remise en cause personnelle.
- Exercice public de la parole ne peut pas être un métier (Socrate n'était pas un professeur mais s'adressait à n'importe qui), comment peut-on pratiquer une philosophie institutionnelle ?
- Difficile de soutenir que l'on ne peut pas faire de philosophie dans les cafés car cela renvoie à ce que l'on est en train de faire, on est venu pour participer à un débat "philosophique". Il faudrait peut-être définir la philosophie.
- Faire de la philosophie c'est remettre en question les idées préconçues. Avant il y avait un bouillonnement intellectuel à la fac alors que maintenant on ne fait plus qu'apprendre les idées des autres.
- Il semble qu'on soit en présence de deux thèses :
1) la philosophie dans le café (plus proche de l'idée qu'on se fait de la philosophie comme remise en question des préjugés) est l'affaire de tout le monde.
2) la philosophie est une affaire de spécialistes, ne concerne qu'un petit nombre et ne peut se faire que dans des lieux particuliers, fac ou lycée.]
- Tout le mode fait de la philosophie, tout le monde se pose des questions.
- Mais se poser des questions est-ce toujours faire de la philosophie et toutes les questions sont-elles philosophiques ?
- Y a-t-il quelqu'un dans l'assistance qui n'a jamais suivi des cours de philo ? Pour se poser des questions philosophiques il faut bien avoir des bases en philo.
- Faire de la philosophie c'est se rendre compte qu'on se pose des questions. Un spécialiste ne se pose pas plus de questions que les autres. C'est seulement quelqu'un qui vit du business de la philosophie et vivre du business de la philosophie est-ce vraiment philosophique ? On ne fait pas des études pour seulement passer un examen, les études sont faites pour apprendre. Sophia en grec c'est la sagesse mais aussi la raison. Il n'y a pas de remise en cause dans la religion ou dans la voyance, c'est irrationnel. On a besoin du raisonnement et non de la culture.
- D'accord philosophie c'est sophia mais c'est aussi philo. Si on est "ami" de la sagesse c'est qu'on n'est pas vraiment sage et qu'on veut le devenir.
- Mais peut-on vraiment devenir sage ?
- Dire qu'on n'atteindra jamais la sagesse n'est-ce pas une croyance ?
- Non, la croyance engage les gens avec violence. Le débat philosophique de ce soir ne trouvera peut-être pas sa solution dans ce café mais on aura parlé avec des gens et quelque chose se passe. Il ne faut pas faire non plus du café le seul lieu "philosophique". C'est un accident qui nous pousse à réfléchir. Autrui nous pousse à réfléchir. Il y a des multitudes d'événements qui nous poussent à la philosophie et le café n'en est qu'un parmi les autres.
- C'est sûr mais le café a ceci de particulier que le débat "sauvage" est permis alors que dans les autres institutions on ne peut pas. L'avantage du café philosophique c'est de débattre avec des gens qu'on ne connaît pas.
- Trouver des solutions approuvées par tout le monde est du totalitarisme. Les gens qui pensent avoir des solutions sont dangereux. La philosophie ce n'est pas trouver des solutions mais ouvrir des fenêtres.
- il y a une difficulté car d'un côté on a dit que la philosophie c'est ne pas avoir de certitudes et d'un autre il faut avoir des certitudes pour pouvoir s'investir.
- Pour faire de la philosophie il faut se poser les bonnes questions ainsi on peut trouver la bonne réponse.
- Est-ce que la philosophie est accessible à tout le monde ? est-ce que tout le monde peut se poser les bonnes questions ?
- Il y a des gens qui n'ont pas le temps de se poser des questions, ils passent leur temps à survivre.
- Le problème c'est que ne pas se poser des questions est réconfortant, c'est commode pour l'Etat que les gens ne pensent pas.

- Dans tout ce qui vient d'être dit, on pense que la philosophie change quelque chose, la philosophie ne sert à rien car la pensée n'influe pas sur l'action, par exemple la philosophie n'a pas empêché le nazisme.
- Les nazis n'ont jamais fait de débats philosophiques sinon ils ne seraient jamais devenus nazis. Penser ce n'est pas appliquer des idées bêtement mais y réfléchir. Penser dans l'absolu ne sert à rien, ça ne sert à rien de penser si ce n'est pas pour transformer le monde.
- Mais la philosophie est-ce seulement penser, n'y a-t-il pas aussi de la provocation ? ne s'agit-il pas aussi d'essayer de faire penser les autres ?
- Dans les dialogues de Platon il n'y a que Socrate qui pense, et ça fini toujours par l'accord des autres avec ce qu'il pense.
- C'est parce que le débat philosophique passe par le questionnement, exemple du Gorgias de Platon où on voit bien la méthode d'accouchement mise en oeuvre par Socrate.
- Il y a peut-être deux façons de penser, la science et la philosophie, on fait de la philosophie sur des sujets que la science ne s'est pas encore appropriée.
- Ceci voudrait dire que plus la science progresse moins la philosophie à de place. N'est-ce pas ce qui se passe actuellement lorsque les spécialistes des sciences humaines disent au philosophe qu'il n'a plus rien à dire ?
- Seulement la science a beaucoup progressé et pourtant il nous reste beaucoup de questions !
- Le philosophe est-il un généraliste ou a-t-il un certain domaine qui lui est propre ?
- Quelle est la différence entre un simple débat et un débat philosophique ?
- Le simple débat n'est pas un vrai débat. D'abord il porte sur des questions qui ne sont pas vitales pour tout le monde, ensuite tous les participants sont à peu près d'accord. Par exemple le dernier débat de J.-L. Delarue à la télévision qui portait sur ceux qui jouent aux courses, ça ne concerne pas tout le monde et ce n'est qu'une série de témoignages.
- …

[difficile de conclure. Pourtant si ce débat continue dans les prochaines semaines c'est qu'il y a un certain désir de réfléchir ensemble et d'exposer ses idées à la critique des autres. C'est qu'on trouve quelque chose ici qu'il n'y a pas ailleurs. Est-ce que ce sera pour autant de la philosophie ? Comment savoir ?... Peut-être en y venant voir !]
SYNTHESE
Deux thèses ont été très rapidement mises en opposition :
1°) la philosophie dans le café (plus proche de l'idée qu'on se fait de la philosophie comme remise en question des préjugés) est l'affaire de tout le monde.
2°) la philosophie est une affaire de spécialistes et ne peut se faire que dans des lieux particuliers, fac ou lycée.
Certains ont vite senti la "dépossession" que représentait la deuxième thèse, si la philosophie est seulement affaire de spécialistes, le non-spécialiste n'a plus qu'à se taire et à faire autre chose alors qu'il semblerait que tout le monde à la faculté de faire de la philosophie.
Mais que tout le monde ait la faculté de faire de la philosophie ne veut pas dire que tout le monde fait partout et toujours de la philosophie. Certains autres ont bien compris le danger que pouvait représenter la première thèse si elle était mal comprise car la philosophie de café est le plus souvent considérée comme de l'anti-philosophie, synonyme de débat d'opinion sans grand intérêt.
Il fallait donc essayer de savoir ce qu'est la philosophie, ce que c'est que pratiquer la philosophie.
Ici aussi deux thèses ont été très rapidement opposées :
1°) La philosophie à une visée "vitale", elle est liée à une pratique, faire de la philosophie c'est se poser des questions.
2°) La philosophie porte sur un domaine particulier de la connaissance, car il semblerait que toutes les questions ne soient pas philosophiques.
On était encore dans la même difficulté mais certaines choses avaient été précisées. D'un côté la conscience d'une "dépossession" qui conduit à la philosophie considérée comme un "fourre-tout", de l'autre un champ de la philosophie si restreint que la philosophie n'est qu'un pur jeu "théorique" sans visée pratique.
L'enjeu n'était pas seulement la définition de la philosophie mais de savoir ce qu'est faire de la philosophie. Restait encore à se demander ce qu'est un "échange" philosophique, si le débat philosophique de café est un tel échange philosophique et s'il n'y a pas de différence entre un débat philosophique de café et une simple discussion de café (simple débat).
Le simple débat n'est pas un vrai débat. D'abord il porte sur des questions qui ne sont pas vitales pour tout le monde, ensuite tous les participants sont à peu près d'accord. Par exemple le dernier débat de J.-L. Delarue à la télévision qui portait sur ceux qui jouent aux courses, ça ne concerne pas tout le monde et ce n'est qu'une série de témoignages.

En définitive ce qui sous-tendait ce débat de café c'est le questionnement sur un certain rapport entre le savoir et l'opinion. La thèse dominante actuellement et qui est mise en pratique aussi bien à la télévision (et dans les médias) que des les conférences et qui était présente dans le débat c'est que le savoir est une affaire de spécialistes qui ont pour fonction de cultiver l'opinion.
L'autre thèse en présence soutenait la conviction "socratique" que la vérité peut jaillir du dialogue dans un débat, qu'on ne peut faire de la philosophie qu'en exposant ses idées à la critique des autres, que c'est un bon moyen de les remettre en question.
Il faut bien se rendre compte que le débat philosophique est au café pour se garantir de ce rapport entre le savoir et l'opinion qui s'appuie sur les "spécialistes". Spécialistes de philosophie mais surtout spécialistes de tout poils qui peuvent à la rigueur parler de ce dont ils sont spécialistes mais qui sont redoutables lorsqu'ils sortent de leur domaine. Il n'y a qu'à voir comment se passe une conférence où les "spécialistes", bien alignés à table sur une estrade, leur nom et un verre d'eau devant eux, parlent de ce dont ils sont spécialistes, pendant que les non-spécialistes sont sagement assis dans la salle et écoutent. Ces derniers ont le droit, à la fin, de poser des questions auxquelles les spécialistes condescendent à répondre.
Ce n'est pas en soi critiquable, on a besoin de l'avis de ceux qui ont étudié certaines questions, mais ce qui est étonnant c'est qu'il n'y a pas d'autres formes de rapport au savoir ou à l'information. Cette façon de procéder est la seule pratiquée. On se demande bien pourquoi.
C'est d'abord que l'on présuppose que l'auditoire n'a pas d'avis et qu'il faut lui en donner un. Or c'est souvent tout le contraire, ce n'est pas un manque d'opinion mais c'est l'existence d'une pléthore d'opinions contradictoires qui est remarquable et d'en donner encore quelques unes ne fait que faire empirer les choses.
Mais même si le spécialiste a un point de vue nouveau sur la question, comme le public a déjà son propre avis, ce qu'il va dire a des chances de ne pas être compris et accepté. D'ailleurs le spécialiste se préoccupe-t-il de cela ?
Au fond ce qui importe avant tout c'est d'occuper le terrain et de priver les autres de parole. Les "autres" qui sont les autres spécialistes mais surtout l'auditoire. Car il se pourrait que le savoir soit un pouvoir, mais plus encore, que le savoir soit l'allié du pouvoir et de tous les pouvoirs. Ce rapport entre spécialistes et non-spécialistes permet de distiller l'idéologie dominante faite de culture populaire dévalorisée.
Il suffit de prendre l'exemple du "débat" télévisé sur les revendications des étudiants à La marche du siècle. Au lieu d'inviter seulement des étudiants pour qu'ils parlent eux-mêmes de ce qui les concerne, Cavada a aussi invité deux ténors "spécialistes" de l'éducation et surtout de la prise de parole, Bayrou et Chevénement qui sont et ont été ministres de l'Education.
Que les spécialistes aient mobilisé le temps de parole c'était à prévoir mais il faut aller plus loin c'était nécessaire : il faut occuper le terrain pour priver les autres de parole. Ce qu'il y a eu d'intéressant dans cette marche du siècle c'est que les "autres" s'en sont rendus compte et tous les téléspectateurs avec eux et que Cavada a montré ce qui se passait lorsque les téléspectateurs ne croyaient plus à la tolérance de ta TV : il a élevé la voix, il a montré qu'il était le seul propriétaire de son émission sur la TV publique, il a été obligé de recourir au pouvoir, il a joué à la perfection son rôle de chien de garde.

 

 

 

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