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Si l'homme est devenu l'homo sapiens est-ce seulement une question d'évolution
?
N'y-a-t-il pas un élément moteur sous jacent à cette
évolution ? Dans le cas où cet élément n'existerait
pas, cela impliquerait que le facteur hasard est responsable du degré
de civilisation ou d'a-civilisation d'une société. Or il
est prouvé depuis longtemps que le hasard n'existe pas, nous pouvons
parler d'une synchronicité entre le Kairos et l'action mais en
aucun cas de hasard. La structuration n'est pas le fruit du hasard, mais
pour qu'il y ait synchronicité, il faut que quelque chose préexiste
à l'action. Cette chose, c'est le désir.
1. LE DESIR, UN PROBLEME DE LINGUISTIQUE
Dans notre langue, il n'y a qu'un mot pour parler du désir, c'est
le désir.
C'est ainsi que nous désirons de la même manière une
femme, un emploi, une voiture, une uvre d'art ou n'importe quelle
autre chose. Et j'ai bien dit chose, car le français parle du désir
de l'objet et du désir du sujet de façon identique : "Je
désire faire l'amour" et "je désire acheter une
Mégane diesel". Voilà deux exemples qui mettent en
relief la confusion naissant du désir : la femme comme objet (le
problème est ici le même pour l'homme lorsqu'une femme parle)
mise sur un plan de quasi égalité avec la voiture, encore
que dans l'esprit de beaucoup d'hommes la voiture sera plus importante...
Considérons maintenant la langue allemande : il y a ici trois mots
pour parler du désir.
D'abord le Wunsch. C'est le souhait : "Je désire un travail"
dans le sens je souhaite en trouver un.
Ensuite le Lust ou Gelüst. C'est l'envie, la convoitise mais également
la jouissance, or ce n'est pas du hasard si le même terme rassemble
les deux, "ce discours n'est pas du semblant"...
L'illustration ici c'est "Je désire une Ferrari" ou "Je
désire jouir". Pour terminer avec le Lust, nous noterons que
Lustseuche c'est la syphilis, ce discours n'est définitivement
pas du semblant...
Pour terminer, il y a le Trieb, le désir du psychanalyste car c'est
le terme choisi par Freud dans ses ouvrages. Le trieb, c'est le désir
naturel, l'instinct, la pulsion mais aussi in extenso la force végétative,
la libido. "Je désire manger", "Je désire
une femme".
Je rajouterai ici le Will, que l'on pourrait traduire par vouloir mais
qui signifie la volonté et par extension le désir.
La langue anglaise est comme toujours plus précise que le français
mais nettement moins que l'allemand. L'anglais possède deux termes
: desire et wish. Ces mots sont beaucoup moins nuancés que leurs
collègues allemands car desire est la version anglaise de notre
désir alors que le wish implique une notion de souhait, de volonté.
Au travers de la linguistique, nous voyons que trois notions essentielles
se dégagent des diverses définitions données : la
jouissance, le vouloir. Nous verrons par la suite que ces termes sont
indissociables du désir.
2. LE DESIR C'EST "LALANGUE"
Dans la partie précédente, j'ai parlé de la linguistique,
donc du langage, car le désir se situe dans ce même langage
mais pas seulement en lui. Le désir a son verbe corporel, ses attitudes
qui ne trompent pas, c'est pour ça qu'il est du domaine de Lalangue.
Or Lalangue, c'est l'Insu.
C'est pour cela que bien souvent, le désir c'est l'inter-dit. En
effet, il est maintenant clair que la finalité du désir
c'est la jouissance, jouissance qu'il est difficile d'accepter comme telle.
Par voix de conséquence, le désir est inacceptable, donc
rejeté, refoulé dans l'Insu. Il ne peut plus alors se manifester
que par Lalangue et à demi mots ou à demi maux. Par conséquent,
le symptôme devient l'expression du désir, son énoncé
et sa satisfaction par substitution. Par son état inconscient,
qui le pose en tant que Trieb, instinct, le désir nous ouvre les
portes du ça-voir.
Le désir, par son ex-sistence suppose la condition sans laquelle
il n'y aurait pas de désir ;
à ça-voir le grand Autre. En effet, à quoi sert la
pulsion si elle n'a pas d'objet ?
L'Autre est le lieu du désir dans le sens qu'il est le récepteur
du message inconscient de l'Un.
Le désir est donc message, un message qui érige l'Autre.
Cependant, le désir a beau être de Lalangue et se manifester
par la parole, lieu du Verbe, il ne faut pas le confondre avec la séduction.
Le désir se montre comme préliminaire à la jouissance
et la séduction se vit comme la démarche sans laquelle le
désir ne peut se manifester. La séduction, c'est la parade
nuptiale de l'humain.
C'est l'acte par lequel nous nous vendons, par lequel nous nous montrons
comme objet sexuel pouvant être digne d'intérêts. Si
effectivement l'Autre nous montre de l'intérêt, il y a première
satisfaction au désir. Or il faut garder présent à
l'esprit que la séduction, c'est une lutte, une lutte à
mort. En effet, l'objet du désir une fois atteint, il y a jouissance,
une jouissance de courte durée, vite remplacée par le manque,
manque qui lui-même sera à son tour remplacé par un
autre désir.
3. LE MANQUE COMME STRUCTURE
Doit-on alors assumer tous ses désirs et les vivre pleinement ou
bien assumer au contraire le manque qui s'en suit et chercher à
comprendre l'étrangeté de cette répétition
?
Ne pas vivre ses désirs par peur du manque, du vide, c'est aller
droit vers la castration, c'est se refuser comme objet du désir
de l'Autre. Pourtant, vivre à fond ses désirs ressemble
à une fuite, fuite devant le vide, devant les abîmes de l'Inconscient.
Il est clair que la jouissance en général est une sorte
de mort, de petite mort. Or l'homme ne parle pas de la mort, pas plus
d'ailleurs qu'il ne parle de la jouissance ou de la sexualité,
qui sont pourtant les mamelles de l'Être.
La mort est ressentie comme un vide, ou plutôt comme une inquiétude
devant l'inconnu; un inconnu que nous remplissons de vide pour ne pas
nous trouver devant l'infini, devant l'Un-fini.
Pourtant, le vide est partie intégrante de notre Être. On
dit que la nature a horreur du vide et c'est bien là que se situe
le problème, car l'homme ne peut pas accepter le fait que ses désirs
ne soient que des substituts permettant au manque de se faire une place,
place qui est nécessaire car elle est notre fondation. Pourrions-nous
vivre uniquement de satisfaction et de plénitude ? La plénitude
se doit de demeurer un terme, le but de notre vie. Plénitude doit
rimer avec harmonie, harmonie avec soi-même puis, de facto, avec
l'Autre.
En s'assumant comme objet du désir de l'Autre, l'individu assume
le vide qui ne manquera pas de s'en suivre. Le but de l'analyse, c'est
justement ce vide, cette coupure.
Depuis la perte du premier objet, la mère, l'individu cherche à
remplir ce vide, ce trou laissé par cet objet primordial, cet objet
que Lacan nommait "l'objet petit a". Chaque désir permet
de tenter de mettre un objet de substitution en lieu et place de ce trou
que l'on ne saurait voir.
Or personne n'a trouvé mieux que Lalangue pour, à la fois,
faire la coupure nécessaire, et boucher le trou.
En conclusion, je dirai que l'individu est une montagne de désirs
qui ne servent à rien s'ils ne sont pas compris (con-pris ?), assimilés.
Le désir cache la béance et par conséquent interdit
la coupure mais autorise souvent la déchirure. Aussi, je dirai,
en substance, que l'expérience du vide est nécessaire à
la plénitude de l'âme, à la libération du Soi.
C'est grâce à cette assimilation que l'individu a pu progresser
et arriver à devenir celui qu'il est maintenant. Cependant, il
faut bien dire qu'une telle évolution ne peut se faire qu'au détriment
du principe de plaisir, ce qui ne peut qu'amener l'homme vers la frustration
et par conséquent vers la brutalité et la barbarie.
Éric GEYSEN-LACHERADE
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