Vers une institutionalisation
des cafés-philo ?
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Paru dans l'Incendiaire 2ème
génération n°14, mars-mai
1999
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Suite à un colloque qui s’est tenu à Castres les 30 et 31 janvier derniers, l’Incendiaire va publier quelques articles en réaction avec cette réunion... alarmante ! Place au premier avertissement... Apparu en 1992 à Paris par l’initiative de Marc Sautet, les cafés philosophiques ne cessent d'essaimer à travers non seulement la France mais aussi au delà des frontières hexagonales; en témoigne le récent colloque international qui s'est tenu a Castres le 30 et 31 janvier et qui a regroupé plusieurs centaines de participants. Deux jours de débat afin de comprendre le phénomène et de le saisir dans ses multiples dimensions, car comme le confirmèrent certaines interventions, les cafés philo sont différents, hétéroclites selon l'animateur ou l'organisateur et selon l'objectif. Mais s'il laisse pressentir un intérêt certain de la part des politiques, l’événement du colloque nous fait prendre conscience des enjeux politiques liés à la pratique des discussions philosophiques dans un café. Animateurs ou organisateurs, simples participants aux débats mais aussi chercheurs se sont retrouvés autour de l’intérêt porté sur le développement des cafés‑philo. Étudiante et chercheuse apprentie en science politique, je m’intéresse de plus près à ce phénomène. Les quelques réflexions, qui vont suivre, sont le fruit d’une observation rapide durant le colloque et d'une brève analyse d'un article sur le café‑philo de Durfort (Tarn). Ce ne sont que des hypothèses de travai1 qui sont discutables et qui peuvent être vérifiées dans l'avenir pour ceux qui s’y intéressent. Le fait révélateur d'une opération médiatique pour la ville de Castres comme pour l'association organisatrice est sans conteste les conditions du déroulement de ce colloque et l'effet d'annonce de la participation de Mme la Ministre de la culture et de la communication Mme Catherine Trautmann. En effet l'ouverture du colloque s'est effectuée par la lecture du message de Mme Catherine Trautmann qui soutenait le mouvement des cafés-philo pour lesquels elle admettait un lien incontestable avec les cafés littéraires du 18eme siècle. 0r, selon les politistes et autres philosophes (cf. Jürgen Habermas), les cafés du 18ème siècle ont permis la formation de l'opinion publique et le règne de la critique, ce qui n'est certainement pas le cas des cafés‑philo. De même que Mme la Députée du Tarn qui, du reste, est membre adhérente de l’association Agora, a fait allusion, dans son intervention, à une pratique citoyenne par la philosophie. Après Mr le sénateur du Tarn, le Président de l'association voyait dans cette présence des politiques et dans le message de Mme la Ministre, un début de reconnaissance des cafés-philo. Une première question me vient alors à l'esprit: les cafés-philo, tels qu'ils fonctionnent actuellement et selon l’objectif qu’ils se sont assigné, ont‑ils besoin d'être reconnus par les autorités politiques et pourquoi ? Par ailleurs, un fait d'une extrême importance dévoile la finalité du colloque. Bien qu'au commencement du colloque, le principe adopté a été << QUE LA PAROLE CIRCULE >>, il n'en demeure pas moins que la parole gênante ou critique fut bloquée. Comment expliquer, des lors, que les organisateurs sont arrivés jusqu’à éteindre le micro quand un philosophe critique aborda la question de la démocratie et du politique dans les cafés-philo ? La même personne fut à maintes reprises interrompue dans son intervention et n'a pu venir a bout de son raisonnement. Le deuxième jour non seulement a été de qualité médiocre, mais aussi a montré manifestement l'objectif du colloque. En revanche, la parole des amis, puisque le tutoiement était de mise, et des congratulateurs était privilégiée; et les responsables de l'association se permettaient de prendre la parole, alors qu'ils avaient la tâche de donner le micro dans la salle, d'intervenir quand un des invités dans la tribune était malmenés par les questions ou commentaires de la salle. Je fus happée également, par la mise en scène de certaines personnes co-organisatrices du colloque et membres de l'association Agora81. Alors que le premier jour sembla être la journée de fructueuses discussions et d’échange de paroles dans la salle, le second s’avéra être l'instant fatidique ou tout devait être approuvé et non discuté. Comme si, en dehors du Colloque, quelques personnes (membres de l'Agora 81 et leurs amis) ont décidé d'un aboutissement et que si quelqu'un les entravait dans cette démarche, tous les moyens sont bons pour le faire taire. Comment la parole a‑t-elle circulé, ou pour être fidèle a la réalité, comment a‑t‑elle été détournée ? L'un des membres de l'Agora 81, président la séance du 31 au matin a systématiquement « coupé la parole » à certains sous prétexte qu'il n’y avait pas assez de temps. Souvent, il nous assenait de l'affirmation suivante « nous sommes dans un colloque et non dans un café‑philo ». C'est, à mon sens, l'exercice manifeste du pouvoir par l'intervenant et par le président de séance sur les autres. Qu'est que cela pouvait signifier pour une étudiante comme moi ? I1 me semble que ce colloque a été organisé non pas pour donner la parole a tous ceux qui la souhaitaient, en les laissant libres dans leurs interventions, non pas pour réfléchir ensemble sur l'essor des cafés-philo comme phénomène de société, mais plutôt pour visibiliser l'association Agora 81 Peu importe le niveau des débats, peu importe si certains intervenants venaient faire l’éloge de l'ultra libéralisme, peu importe s'ils remettaient en cause la démocratie dans son essence, l'essentiel pour l’association Agora81 est de se faire reconnaître par les notables du département, voire les responsables politiques nationaux. Voilà, a mon sens, le réel objectif de cette opération qu'on a nommée « colloque ». Par ailleurs, il me semble également qu'il s'agit d'un réseau d'amis se connaissant, ayant les mêmes affinités, qui se reconnaissent dans leurs prises de parole successives et qui ne se gênent nullement de manifester leur soutien réciproque quand l'un d'eux est mis en difficulté dans son argumentaire par la salle. En revanche, je reste perplexe devant l’affirmation d'un des animateurs parisiens des cafés-philo a la fin du colloque « j'en ai marre des cafés-philo » avec aucune argumentation. Je m’interroge sur les raisons qui 1’ont amené a affirmer solennellement sa lassitude et être irrespectueux vis-à-vis des participants pour ne leur donner aucun argument. L'expression « les cafés-philo laïcs » utilisée par le vice président de l'Agora dénote par ailleurs l'amalgame entretenu au sein du café‑philo de Durfort. Que signifie pour lui « laïc » ? I1 s’agit ni plus ni moins de la condamnation de l’idéologie dans les cafés-philo. Qui a peur que la philosophie soit un réel instrument de compréhension du monde et d'affirmation de son individualité, justement par la prise de parole? D'autre part, la lecture d'un des articles « l'Agora, histoire et débats d'un café‑philo dans le Tarn » montre combien l'amalgame est présent dans cette association. I1 ressort que les habitants de ce village se réunissent, pour rompre leur isolement, au sein du foyer rural. En quoi cette activité, qui dès le départ, s'inscrit parmi les activités du foyer rural, peut ressembler a un café‑philo ? I1 y a dans le phénomène café avec débat un donné incontournable: 1e bistrot où l'on consomme et ou l’on discute et dans cette démarche, ce qui est important c'est qu'au fur et à mesure, des curieux, des sceptiques, les cafetiers eux-mêmes prennent part progressivement au débat et s’impliquent. Dans le concept Café, il y a également un fait primordial: il n'y a pas nécessité d'un groupe formalisé ou d'une association. Or, très vite pour le cas du café de Durfort on a intégré « l'atelier cercle‑philo » comme une section du foyer rural de Durfort et par la suite on a senti le besoin de créer une association qui du reste a d'autres activités que l'organisation de débat (entre autres: échange de livres et de revues, repas convivial, opération de parrainage d'un petit malgache, soirée poésie, fête d'anniversaire de l'association...). De même, en lisant attentivement l’article, on se rend compte qu'il s'agit de « la section cafe‑philo » du foyer rural et dans son support informationnel, il évoque l'Agora81 comme l'une de ses activités. De plus les personnalités politiques locales (exemple la députée du Tarn) sont adhérentes de l'association et ont énormément aidé pour trouver les financements nécessaires à l'organisation de ce colloque. Une question, émanant de la salle, n'a pas cessée d'être posée aux responsables de l'Agora81 : « Peut-on être café‑philo autonome et être financé par les pouvoirs publics ? » est restée sans réponse. Dans cette tentative d'analyse, pas suffisamment élaborée, la finalité est de montrer que les cafés-philo constituent, aujourd'hui, un enjeu non négligeable pour aussi bien les animateurs ou organisateurs, que pour les personnalités politiques. I1 convient de souligner que l’histoire des luttes sociales est pleine d’exemples de récupération des tentatives innovantes dans les pratiques sociales et politiques. On peut, dès lors, s'interroger sur l'impact politique de cette nouvelle pratique et sur la force de résistance face a un début d'institutionnalisation des cafés-philo. Si cet article vous
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