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Vers une institutionalisation des cafés-philo ?

par Yannis Youlountas

 

Paru dans l'Incendiaire n°15, septembre 1999
1 page



Résumé

pas disponible

 

Sommaire rapide

 

 

Suite à l'article de Khadija Attou paru dans l'Incendiaire n°14, mars-juin 1999, Yannis Youlountas, président de l'Agora 81, nous a adressé cette réponse.

 

Lecteur de votre revue depuis quelques mois, j’ai découvert dans le dernier numéro un article “ incendiaire ” d’une jeune étudiante pleine de verve, Khadija Attou, au sujet du colloque international de janvier dernier à Castres. Ayant été le principal responsable de cette manifestation en tant que président de l’association organisatrice, L’Agora 81, je crois pouvoir préciser certains éléments et devoir rectifier certains contresens vraiment injustes. Par là-même, je vais essayer d’apporter une contribution au débat autour de l’évolution actuelle des cafés-philo.

Premier  problème : faut-il ou non médiatiser les cafés philosophiques ?

S’il est vrai que le bouche à oreille est un excellent mode d’essor qui s’appuie sur la qualité des débats et la satisfaction des participants, ce moyen apparaît très vite limité à l’échelle de notre société hypermédiatisée. Le cyclope cathodique a envahi tellement de domiciles, des millions d’esprits isolés devant leur récepteur, qu’il me semble indispensable d’aller essayer de craquer quelques étincelles devant leurs silhouettes avachies ; sans trop d’espoir et pourtant : apparemment ça réussit régulièrement à en décoller quelques uns ! Dès le début du mouvement, Marc Sautet lui-même avait fait le choix de la communication. Pas à n’importe quel prix, il est vrai. C’est pourquoi, si L’Agora 81 a cordialement accueilli FR3 ou Le Monde au colloque, elle a clairement et symboliquement indiqué son refus à TF1, à l’unanimité des deux cents membres de l’association. Oui, le but était de médiatiser les cafés-philo, comme annoncé sur le dépliant du colloque : “ pour faire connaître ce phénomène de société ”. Avec pour objectif principal leur multiplication (déjà 10 dans le Tarn pour 300 000 habitants).

Mais deux souhaits motivaient également notre démarche : 1) une évolution plus citoyenne et moins élitiste, hiérarchisée et étriquée des cafés-philo ; 2) une reconnaissance de leur utilité et de leur influence croissante.

Ainsi, comme le feront sans doute nos successeurs dans l’organisation d’un prochain colloque ailleurs, nous avons pris le parti de faire connaître aux participants notre vision et notre pratique du café-philo : rotation de l’animation, de l’introduction au débat, ouverture à des personnes autodidactes. Nous utilisons l’expression “ philosophie citoyenne ”. C’est-à-dire une collégialité de l’organisation, chez nous très participative, et une accessibilité des débats, alternativement sur des concepts et des questions de société. Il semble urgent de prendre les bastilles des animateurs-gourous qui gèrent leur(s) café(s)-philo comme d’autres leur parti politique ou leur cabinet de psychanalyse. Pour faire du café-philo un espace égalitaire qui offre à ses participants la possibilité de s’investir, d’en être acteurs et non pas, là encore, spectateurs passifs et gavés. Pour tous, se l’approprier et influer sur son évolution. D’où le terme de café-philo “ citoyen ”, c’est-à-dire participatif. De même, le mot “ laïque ” a choqué semble-t-il Khadija dans la bouche du vice président de l’association lors de la conclusion du colloque. Ce dernier, Christian Deméautis, connu pour avoir été l’un des poil-à-gratter de Jean-Paul II lors de ses récentes visites en France, actuel trésorier national de la Libre Pensée, entendait par ce terme l’importance de l’espace adogmatique que nous offre le café-philo ainsi que la possibilité de nous y enrichir de nos différences.

Enfin, le mot “ reconnaissance ” signifie qu’il est temps que, délaissant un peu les BHL, ACS, LF et autres initiales onanesques qui font jouir les lectrices bourgeoises ménauposées, nos représentants élus prennent en considération l’essor de ces lieux de débats dans la cité. Reconnaissance aussi de la part de certains de nos concitoyens qui n’ont pas encore compris combien le café-philo peut être une réaction citoyenne à une dérive de la démocratie. Où est le pouvoir que nous avons délégué à nos élus ? Un contrat social ne doit-il pas se dénoncer s’il est bafoué ? Où et comment réfléchir ensemble à un autre modèle de société et de vie ? Je rappelle à Khadija que le maire de Castres, heureux de nous accueillir, comme tout maire devant un parterre de touristes et de journalistes, est entré avec moi dans une polémique dès l’ouverture du colloque, poursuivie lors de mon intervention provocatrice du samedi après-midi : “ Les cafés-philo sont-ils révolutionnaires ? ”, dans laquelle je dresse un portrait au vitriol du monde politique et de la société actuelle (actes du colloque à votre disposition). Quand à notre récente “ adhérente députée ”, elle est une oreille attentive et intéressée qui ne manque pas de prendre des notes quand elle vient (sur des questions de société principalement). Doit-on là refuser alors qu’elle respecte humblement les règles et n’abuse pas de la parole ? Doit-on bannir ce rapprochement, au demeurant certainement intéressé ? Ou souhaiter au contraire sa généralisation partout en France ? N’est-ce pas un idéal de démocratie qu’un député qui siégerait alternativement avec ses concitoyens des cafés-philo et avec ses collègues de l’hémicycle ?

Apparaît alors le problème du support associatif et de son financement.

S’il faut, je crois, refuser tout fédéralisme national ou international des cafés-philo qui menacerait leur diversité et leur liberté, je ne vois pas en quoi la formation locale en association serait nuisible. A une échelle gargantuesque, de l’historique et légitime Philos, enfant de l’initiateur du mouvement, au Cercle Philosophique et Littéraire du très ambitieux Brenifier, les méga associations ont l’intérêt du réseau mais me paraissent dénaturer l’essence locale du café-philo. Toutefois à l’échelle d’une cité ou d’un département, une association est simplement un moyen de relier des participants d’un ou plusieurs lieu(x) de débat, en se dotant d’un bulletin d’information et d’un petit budget de fonctionnement. L’Agora 81, qui regroupe six des dix cafés-philo du Tarn et soutient activement deux des quatre autres, a ainsi son journal, et a réussi à éditer un livre illustré de 300 pages, historique et recueil, ainsi qu’à organiser ce colloque qui a réuni plus de 350 participants. Fallait-il refuser un soutien financier de nos collectivités et du ministère de la culture ? Pourquoi donc ? Aurions-nous oublié le sens de la redistribution publique de la richesse nationale ? L’Etat, c’est “ nous ” : le peuple souverain ; pourquoi donc ne pas solliciter une participation de nos budgets culturels ? Par contre, nous avons refusé le soutien d’un groupe pharmaceutique privé, poids lourd de la région. Mais l’association qui publie L’Incendiaire, Philosophie par Tous, a elle, pour l’instant, choisi le sponsoring d’une banque. Cela me paraît déjà plus gênant symboliquement, mais un choix respectable puisque l’équipe du journal ne se modère pas pour autant et garde sa liberté. C’est cela qui est important.

L’intervenant de notre colloque qui a fait un “ éloge de l’ultra libéralisme ”, auquel fait référence Khadija, nous avait été recommandé par le rédacteur en chef du Vilain Petit Canard, Oscar Brenifier, qui s’était présenté à nous lors de la première rencontre d’Apt, six mois auparavant et s’était lui-même également proposé. Khadija a raison : c’était un éloge de la prudence helvétique et des fonds de pension complètement déplacé. Heureusement, tôt le dimanche matin, il n’y avait pas encore grand monde ! J’aurais d’ailleurs dû me méfier en remarquant qu’il était journaliste dans un journal financier à Genève et que ses bouquins étaient édités chez “ L’âge d’homme ”, qui diffuse souvent des déjections d’extrême-droite. Tout le monde connaît ici, dans le Tarn, mon engagement antiraciste et celui de plusieurs autres animateurs de L’Agora 81. Mon père grec a été poignardé sous mes yeux par un facho du Front quand j’avais quinze ans, sur le parking d’un supermarché (j’en ai aujourd’hui 28). C’est pourquoi je te recommande, Khadija, une plus grande prudence dans tes analyses, afin de ne pas être trop injuste. Je ne te connais pas mais je t’invite à venir voir de plus près ce qu’est L’Agora 81 ici bas et, avec plaisir, d’être mon hôte. J’ai fondé le premier café-philo du Tarn dans mon petit village de Durfort, un an après la signature de mon maire apporté au candidat à la présidence de la République Jean-Marie Le Pen (J.O. du 12 avril 95). En réaction, le premier sujet fut : “ Différences, tolérance ”. De plus, saches que la personne prolixe que nous avons interrompue à plusieurs reprises lors du colloque est un participant occasionnel, un peu schizophrène et surtout incapable de limiter la durée de ses prises de parole, que nous connaissons bien ici, et d’ailleurs que nous affectionnons au-delà des difficultés qu’occasionnent ses venues. C’est le lot de tous les cafés-philo d’avoir à gérer, sans être trop dur, quelques individus incapables d’appréhender les règles de base d’un débat ouvert. C’est aussi un enjeu pour nous tous.

C’est pourquoi je terminerai sur l’amitié entre les acteurs du café-philo ; la recherche plus ou moins consciente d’une chaleur humaine en rupture avec l’évolution de la société qui nous confine dans une communication principalement verticale, à sens unique, froide et métallique. Khadija écrit dans son article sur le colloque : “ il me semble également qu’il s’agit d’un réseau d’amis se connaissant, ayant les mêmes affinités, qui se reconnaissent dans leurs prises de paroles successives et qui ne se gênent nullement de manifester leur soutien réciproque quand l’un d’eux est mis en difficulté dans son argumentaire dans la salle ”. Quel compliment à mes yeux ! C’est justement ce à quoi nous sommes le plus attachés : l’amitié ; notre attachement commun à une pratique citoyenne et collégiale du café-philo ; sans oublier la solidarité qui s’est souvent manifestée matériellement et affectivement dans des moments difficiles frappant certains d’entre nous. C’est peut-être l’une des forces de l’union en association, notamment en secteur rural. Je suis simplement désolé que Khadija et d’autres sans doute aient pu se sentir quelque peu exclus, à l’extérieur de cette amitié. Nous avions déjà subi, à juste titre, ce grief à Apt l’an passé, où nous avions représenté à nous seuls près de la moitié des participants. Heureux de nous retrouver, nous avions eu une fâcheuse tendance à passer tout notre temps ensemble. Pourtant, avant la création de L’Agora 81, sauf exceptions rares, nous ne nous connaissions pas.

Un point de vue critique est toujours bienvenu, quand il n’est pas trop orienté et qu’il peut offrir, comme une dissertation conventionnelle, une thèse et une antithèse. Je me suis donc efforcé de prendre l’autre versant de la colline et la lumière n’y est pas la même. A moins d’inventer l’autoritarisme anar et l’ultra libéralisme de gauche, je n’ai pas vu chez les 44 organisateurs dévoués du colloque international de Castres, qui ont assuré à tour de rôle l’animation des débats, mais aussi les buvettes, accueil, vestiaires, et autres stands, cette idéologie oppressante que j’ai cru déceler chez Khadija. Si l’institutionnalisation des cafés-philo doit être un modèle clé en main et obligatoire ou une esquisse de fédéralisme, il ne passera pas par nous. Par contre, je pense personnellement qu’il est opportun, sans perdre “ son âme ” ni sa liberté, d’être reconnu dans la cité et la République. Non pas une institutionnalisation des cafés-philo, mais que les médias cessent de limiter la vie philosophique de ce pays aux éructations narcissiques de Luc Ferry ou BHL, que nos représentants élus sachent que ça bouillonne d’idées et de citoyenneté dans les cafés de leurs communes, que nos institutions philosophiques et le monde enseignant prennent en compte cette nouvelle émergence de la philo dans la rue, et surtout que nos concitoyens que ça intéressent nous rejoignent. C’est tout ce que nous souhaitons à l’échelle de notre petit département du Tarn. Bon vent à L’Incendiaire. Continuez ! Bisou à Khadija qui est amicalement invitée ici dès qu’elle le pourra.

Yannis Youlountas


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