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JFC : Je suis professeur au lycée et depuis un certain temps
je me demande pourquoi, en terminale Scientifique option OTI (anciennement
E), il y a une fille et 15 garçons et 26 filles et 2 garçons
en terminale Littéraire (anciennement A).
Doreen Kimura : Nous pouvons expliquer cela très simplement : cela
vient "vraisemblablement de l'influence des hormones lors du développement
du cerveau".
JFC : Ah bon !
D.K. : "in utero les strogènes et les androgènes
(notamment la testostérone) assurent la différenciation
sexuelle du ftus. Chez les mammifères, notamment dans l'espèce
humaine, les individus ont le potentiel de devenir soit des mâles
soit des femelles. Quand les cellules de l'embryon ont un chromosome Y,
le développement des testicules commande le développement
masculin [...].
Une fois les testicules constitués, ils produisent deux substances
[testostérone et hormone antimullérienne] qui permettent
le développement des caractères masculins."
JFC : Donc le fait que les garçons soient meilleurs en maths et
les filles en français vient de la présence ou de l'absence
de testicules. Pourtant je ne comprends pas bien, on dit couramment que
lorsqu'il y a présence de testicules on a affaire à un mâle
et lorsqu'il n'y a pas de testicules on a affaire à une femelle.
Ce que vous décrivez n'est que la différenciation sexuelle,
comment un être indifférencié devient mâle ou
femelle.
D.K. : Parfaitement je ne parlais que de développement des caractères
physiques masculins. Mais "Les hormones sexuelles responsables de
la masculinisation des organes génitaux, participent également
à l'établissement précoce des comportements mâles".
JFC : Parlez-vous des mâles en général ?
D.K. : Bien sûr ! des mâles chez les mammifères et
surtout des mâles qui nous intéressent, ceux de l'espèce
humaine.
JFC : Vous avez sûrement fait des expériences sur des sujets
humains.
D.K. : Ce n'est pas si simple. "Comme il est exclu de modifier l'état
hormonal de ftus humains...
JFC : Sont-ce les hormones qui vous en empêchent ?
D.K. : Bien sûr que non, c'est la morale. Je ne vois pas bien où
vous voulez en venir. Je reprends "nos connaissances des relations
entre les hormones et le comportement résultent essentiellement
d'études comportementales réalisées chez les animaux
: de façon générale, les animaux privés d'hormones
mâles semblent avoir des comportements spécifiques des femelles.
Lorsqu'un rongeur ayant des organes génitaux masculins fonctionnels
est privé d'androgènes immédiatement après
sa naissance [...], son comportement sexuel est inhibé : il ne
cherche pas à monter les femelles qui lui sont présentées
et adopte, au contraire, la lordose caractéristique du comportement
sexuel des femelles".
JFC : En est-il de même pour les humains ?
D.K. : Je l'ai déjà dit ce n'est pas si simple, il est exclu
de modifier l'état hormonal des humains. Mais "c'est dans
l'hypothalamus que se structurent les comportements reproducteurs mâles
et femelle" et certaines différences de taille des régions
de l'hypothalamus des mâles "est due aux hormones mâles
présentes juste après la naissance, et dans une certaine
mesure, avant la naissance [...]
En 1991, Simon LeVay, de l'Institut Salk, a découvert qu'une des
régions du cerveau qui est généralement plus développée
chez les hommes que chez les femmes - un noyau interstitiel de l'hypothalamus
antérieur - est plus petit chez les hommes homosexuels que chez
les hommes hétérosexuels. Cette observation si elle est
confirmée montrerait que les préférences sexuelles
ont un fondement biologique".
JFC : S'agit-il des homosexuels "passifs" ou des homosexuels
"actifs" ?
D.K. : (Surpris) Que voulez-vous dire ?
JFC : Si les homosexuels ont une partie de leur hypothalamus qui peut
être comparée à celle des femmes nous pouvons considérer
qu'il auront un comportement sexuel féminin. La faible grosseur
de leur hypothalamus va donc les conduire à "ne pas chercher
à monter les femelles qui leurs sont présentées et
à adopter, au contraire, la lordose caractéristique du comportement
sexuel des femelles".
Or s'il existe des homosexuels qui aiment à se faire pénétrer
analysent d'autres aiment pénétrer analysent. Cette expérience
ne tient compte que des premiers et en fait ignore la réalité
: les homosexuels sont la plupart du temps "actifs" et "passifs"
à tour de rôle.
D.K. : Vous avez des informations que j'ignorais. D'autre part j'ai parlé
"d'études encore inachevées" et j'ai aussi invité
à la prudence car "dans ce résultat comme dans la plupart
de ceux qui seront abordés ultérieurement, on doit s'interroger
sur la relation de causalité qui lie le comportement ou les performances
cognitives à l'anomalie anatomique ou hormonale"
JFC : Parlons-en ! depuis que j'ai vu le film Mon oncle d'Amérique
de Rainais, j'ai tendance à sourire lorsqu'on compare le comportement
des humains avec celui des rats ou des hamsters.
Prenons l'expérience de M. R. Murphy (1974) "qui après
avoir aspergé des hamsters mâles avec des sécrétions
vaginales de femelles en chaleur, observa que ces hamsters sont considérés
par des mâles non traités comme des femelles et sont montés
par eux" (Stoddart (M.) : La chimie de l'amour, La Recherche, n°
213, septembre 1989, p 1079). L'histoire ne dit pas si les mâles
aspergés de sécrétions vaginales se laissent pénétrer.
Par contre le comportement sexuel des mâles non-traités est
très intéressant. Ils ont un comportement homosexuel, actif
peut-être mais homosexuel tout de même, puisqu'il vont jusqu'à
monter d'autres mâles. Or nous voyons bien dans ce cas qu'il y a
une explication plus pertinente que la grosseur de l'hypothalamus. Que
la région de hypothalamus soit petite ou grosse ne serait qu'un
épiphénomène. Ce comportement particulier n'est causé
que par une phéromone.
D.K. : Mais les rongeurs mâles privés d'androgènes
ont un comportement femelle.
JFC : Bien sûr ceci ne remet pas en question votre expérience
sur le rongeur privé d'androgènes mais seulement le fait
que le comportement animal peut obligatoirement être quantifié
spatialement dans le cerveau. Le rongeur privé d'androgène
développe-t-il un comportement femelle parce que les hormones ont
atrophié une partie de l'hypothalamus ou c'est seulement parce
qu'il est mâle castré (mécaniquement ou chimiquement)
c'est-à-dire femelle réelle, qu'il dégage certaines
odeurs et que certaines odeurs déclenchent chez lui un comportement
femelle ?
On ne voit pas l'intérêt scientifique de quantifier spatialement
les comportements dans le cerveau.
D.K. : Mais "Roger Gorski et ses collègues de l'université
de Los Angeles ont montré qu'une région de l'aire pré-optique,
dans l'hypothalamus, est nettement plus grosse chez les rats mâles
que chez les rats femelles ; l'augmentation de la taille, chez les mâles
est due aux hormones mâles présentes juste après la
naissance, et dans une certaine mesure, avant la naissance."
JFC : Quant à savoir si la différence de la taille est due
aux hormones mâles, avant que de nous inquiéter de la cause
assurons-nous bien du fait !
Il est bien évident que la taille de certaines parties du cerveau
peuvent être différentes chez le mâle et la femelle
de certains animaux mais on n'a encore rien trouvé de la sorte
dans l'espèce humaine. On pourrait dire aussi, ce qui était
un truisme au XIXème siècle, que la taille totale du cerveau
(capacité cérébrale) est supérieure chez l'homme
à celle de la femme. Ce qui résulte comme chacun le sait
du fait que la taille des femmes est en moyenne plus petite que la taille
des hommes. Il n'est pas démontré non plus que cette différence
quantitative ait quelque influence sur le comportement.
D'autre part les objections de tout à l'heure remettent surtout
en question l'extension à l'homme de certaines conclusions tirées
d'expériences sur les bêtes.
D.K. : J'ai déjà appelé à la prudence ! "Les
hormones n'agissent pas seulement sur les comportements sexuels ou sur
la reproduction, mais semblent déterminer tous les comportements
où mâles et femelles différent : la résolution
d'un problème, l'agressivité et la tendance des jeunes mammifères
mâles à se battre [...] comme les femmes, les rates utilisent
plus souvent les repères dans l'apprentissage spatial ..."
JFC : Je vous arrête un instant car vous comparez encore les femmes
avec des rattes. Imaginons que l'on prenne un homme au cerveau normal
pour un homme (hétérosexuel) et qu'on l'asperge de sécrétions
vaginales de femme en strus, que se passerait-il si on le présente
à d'autres hommes non traités ? je pense que nous serions
déçus : il ne se passerait rien. C'est qu'à la différence
des animaux le comportement sexuel chez l'homme n'est pas aussi nécessairement
déterminé par les odeurs. Au point de vue des comportements
sexuels induits par les odeurs le modèle animal n'est pas pertinent.
Ne pourrait-on pas étendre cette conclusion au comportement sexuel
en général ?
A quoi vise le comportement sexuel ?
D.K. : A la reproduction de l'espèce.
JFC : Mais cette finalité semble ignorée par la bête
qui copule car pour un individu particulier la copulation ne semble exister
que pour éliminer une excitation sexuelle. L'excitation sexuelle
comme la faim ou la soif sont universelles chez les animaux, y compris
l'homme. Mais les comportements pour satisfaire ces excitations ne sont
pas de même nature chez l'homme que chez les animaux.
Car les bêtes ont un instinct sexuel, c'est-à-dire un "ensemble
complexe de réactions extérieures, déterminées,
héréditaires, communes à tous les individus d'une
même espèce, et adaptées à un même but
dont l'être qui agit n'a généralement pas conscience"
(Lalande : Vocabulaire le la philosophie, PUF). Cet instinct qui pousse
l'individu à se satisfaire en copulant, vise toujours à
la reproduction de l'espèce. Or, contrairement aux bêtes,
il existe chez l'homme de nombreuses variations relatives tantôt
à l'objet (la personne qui exerce un attrait sexuel) tantôt
au but (l'acte auquel pousse la pulsion) sexuels. Ainsi il ne saurait
ici être question d'instinct. La plupart d'ailleurs de ces comportements
étant des perversions, ne vise absolument pas à la copulation
avec un individu de sexe opposé c'est-à-dire à la
reproduction de l'espèce mais à obtenir du plaisir. C'est
que chez l'homme la sexualité ne peut pas se confondre avec la
génitalité et est indépendante de la reproduction
de l'espèce. Cette dernière, comme la faim et la soif, relève
chez l'homme du besoin. La sexualité relève du désir.
D.K. : Mais ce besoin a peut-être une base dans le fonctionnement
du cerveau.
JFC : Oui sûrement mais il ne peut résoudre notre problème
car il est indifférencié sexuellement, c'est-à-dire
qu'il n'est pas plus présent chez l'homme que chez la femme, chez
l'hétérosexuel que chez l'homosexuel.
D.K. : Alors c'est le désir qui a peut-être une base dans
le fonctionnement du cerveau.
JFC : En asseyant de trouver une base physiologique (cervicale) à
certains comportements humains vous confondez le désir et le besoin.
C'est le propre de l'état d'illusion d'ignorer que ce n'est pas
l'appareil psychique mais le désir qui est à son origine.
D.K. : Vu que ces concepts ne sont pas quantitatifs il sont plutôt
obscurs.
JFC : C'est votre démarche qui est obscure. Vous essayez de nous
illusionner et de nous conduire à vivre dans l'illusion en essayant
de nous faire croire que nos désirs sont un ensemble de besoins.
Mais vous êtes vous-même dans l'illusion lorsque vous essayez
de montrer que les préférences sexuelles ont un fondement
biologique puisque vous ignorez le désir sous-jacent à ces
comportements. Vous ignorez que vos désirs sont des désirs,
vous prenez vos désirs pour la réalité.
Quel est l'intérêt de chercher une base physiologique à
certains comportements humains ?
D.K. : Ben euh !
JFC : Est-ce que cela ne vous rappelle rien ?
D.K. : Ben euh !
JFC : L'anthropométrie où on a essayé de distinguer
l'honnête homme" du criminel par la forme du corps (Cf. S.
J. Gould, La mal-mesure de l'homme, ch. IV), ce qu'à repris la
génétique actuelle avec la théorie du chromosome
du crime.
D.K. : Je ne connais pas.
JFC : Et la craniologie du XIXème siècle, qui permettait
élégamment de conclure à l'infériorité
de l'intelligence de la femme par rapport à l'homme, du "noir"
par rapport au "blanc" et du "pauvre" par rapport
au "riche" (Cf. S. J. Gould, La mal-mesure de l'homme, ch. II
et Le pouce du panda ch. 13 et 14)
D.K. : Mais ce n'est plus de la biologie, c'est de la politique !
JFC : Il n'y a pas lieu de s'offusquer, la politique lorsqu'elle est pratiquée
en tant que politique et non en tant que biologie, c'est-à-dire
en tant qu'idéologie, n'est pas une maladie honteuse.
D.K. : Mais je ne fais pas de politique !
JFC : C'est dans les plus vieux pots qu'on fait les meilleures soupes.
Votre topologie actuelle du cerveau à remplacé, a repris
le projet vieux d'un siècle de justifier biologiquement l'ordre
établi. Vous essayez de justifier l'inégalité sociale
par des hypothétiques différences, que dis-je, inégalités
biologiques.
D.K. : Mais alors mes tests ! les performances différentes des
hommes et des femmes à mes tests cognitifs !
JFC : Que postule l'ordre établi pour justifier les inégalités
sociales ?
D.K. : (avec une évidente mauvaise foi) Je ne sais pas, je ne suis
que biologiste.
JFC : Je vais pourtant me servir de ce qu'à écrit un de
vos confrères biologiste (R. Lewontin, La diversité des
hommes, Belin/Pour la Science, 1984, p 89). Pour justifier les inégalités
sociale l'ordre établi postule que "nos sociétés
sont aussi égalitaires que possible compte tenu des inégalités
naturelles qui existent de toute façon entre les gens".
Pour l'ordre établi, dans la société, chacun est
sur la même ligne de départ dans la course pour la vie (égalité
des chances), la même route est offerte à tous mais certains
sont plus rapides que d'autres.
D.K. : Je ne vois pas le rapport avec le sexe du cerveau.
JFC : J'y viens car il ne suffit pas de souligner les différences
de capacités individuelles car elles ne peuvent pas rendre compte
de la transmission du pouvoir d'une génération à
une autre, par exemple 84 % des enfants de cadres supérieurs qui
sont en 6ème arrivent en terminale contre seulement 25 % des enfants
d'ouvriers non-qualifiés.
Il faut de plus proclamer que ces différences sont héritées
génétiquement ou biologiquement. Il y a bien égalité
culturelle (sociale) mais c'est un absolu qu'on ne peut pas atteindre
car il y a des inégalités naturelles, c'est-à-dire
biologiques.
Vos tests ne reflètent que l'existence d'inégalités
sociales entre les hommes et les femmes et non pas de différences
biologiques dans le fonctionnement du cerveau. Car, des garçons
de terminale E et des filles de terminale A, qui va devenir ingénieur
ou physicien ?
D.K. : "Il ne me paraît pas étonnant que les femmes
ne soient pas aussi nombreuses que les hommes dans les activités
ou interviennent l'orientation spatiale et le raisonnement mathématique".
JFC : Oui mais être ingénieur ou physicien c'est avoir les
meilleures places dans le "monde du travail". Car c'est bien
de cela qu'il s'agit. Pensez-vous que les filles de terminale A seront
dans les professions médicales, où les facultés de
perception sont essentielles ?
D.K. : Bien sûr que non.
JFC : Alors qui des garçons de terminale E et des filles de terminale
A, va devenir ingénieur ou physicien ?
D.K. : Euh ! les garçons de terminale E.
JFC : Qui va faire des études de médecine ?
D.K. : Euh ! les garçons de terminale C.
JFC : Comment alors justifier cette inégalité sociale flagrante
?
D.K. : (A contrecur) En essayant de trouver une base physiologique
à la différence des comportements. C'est-à-dire en
disant que "Les différences parfois notables de fonctionnement
du cerveau selon les sexes font penser que les capacités et intérêts
différents sont indépendants des influences sociales".
JFC : En essayant de montrer que les capacités et les comportements
sont indépendants des influences sociales et dépendent de
différences quantitatives au niveau du cerveau vous essayez de
réduire la convention à la nature. Contrairement à
une loi normative on ne peut ni transgresser ni changer une loi naturelle.
Si les différences de comportement entre les hommes et les femmes
dépendent de différences au niveau du cerveau elles sont
de l'ordre de la nature et non pas de la convention, on ne peut donc rien
y changer. Tous les discours anti-égalitaires font un tel amalgame.
Vous êtes seulement en train de dire aux filles de terminale A :
acceptez votre condition ! puisque l'état de fait à son
origine dans la nature, dans votre nature, on ne peut pas le changer.
(Propos de Doreen Kimura, "Le sexe du cerveau", Pour La Science,
n°181, novembre 1992, p 100-107)
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