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Editorial

par Jean-François Chazerans

 

Paru dans l'Incendiaire 2ème génération n°3, décembre 1997
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Résumé

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Sommaire rapide

 

N’en déplaise aux grincheux la philosophie attire du monde, et il y avait du monde en cette Nuit philosophique du 12 novembre ! La philosophie serait-elle alors à la mode ? Pourquoi pas ? Tout bien considéré ne vaut-il pas mieux qu’elle soit à la mode plutôt qu’elle n’y soit pas ? Il n’y a pas si longtemps les profs de philo luttaient encore contre des adversaires acharnés à faire du cours de terminale une option et les périodes historiques comparables semblent rares, y en a-t-il même eu ? Il y a bien eu Mai 68 mais c’était plus politique, Saint-Germain des prés mais c’était plus artistique, il y a enfin eu les « nouveaux philosophes » mais c’était limité à un très petit nombre. Il faut se rendre à l’évidence la philosophie est à la mode et ce n’est pas si fréquent.

Pourtant si on ne veut pas jeter le bébé avec l’eau du bain il faudrait cerner en quoi consiste cette « mode ». Le fait que les gens lisent Comte-Sponville dans le métro comme disait Pivot à son émission de décembre 1996 « Pourquoi la philosophie est-elle devenue si populaire ? » est-il indicatif de celle-ci ? Les best-sellers philosophiques ? Les émissions à la télévision ou à la radio ? Les articles dans les journaux et les magazines ? La semaine philosophique de Lille ? Cette foule à la Nuit Philosophique ? Bien-sûr tout cela indique quelque chose, au moins l’intérêt de plus en plus de gens pour la philosophie ! mais ça pose quand même beaucoup plus de questions que ça n’en résout.

Au lieu de partir, comme toujours, de la question « tarte à la crème » la Nuit philosophique était-elle philosophique ?  Je partirai de cette autre question : En quoi ce qui se passe sous nos yeux est-ce nouveau ? Il me semble d’abord que  la philosophie intéresse un certain nombre de personnes qui semblaient y être indifférentes. Ce n’est pas comme avant un phénomène réduit à un milieu très particulier, l’intelligentsia parisienne ou la bourgeoisie intellectuelle et artistique du centre-ville pour faire court, mais un engouement véritablement populaire. L’autre aspect radicalement nouveau est une inversion voire une subversion des rôles habituellement accordés dans les rapports de connaissance voire de pouvoir. Car, dans aucun des moments historiques où la philosophie était sur le devant de la scène le « couillon du coin » n’a remis en question avec autant de virulence la parole de l’expert et même l’expert tout court, ou celui qui s’autoproclamme comme tel.

C’est ce qui est apparu encore en pleine lumière à l’émission « Le téléphone sonne » sur France Inter (13 novembre 97) où étaient invités Alain Finkielkraut, Alain Etchegoyen, Barbara Cassin et… Marc Sautet l’inévitable. Récapitulons, étaient présents comme d’habitude1 et cela dans l’esprit des organisateurs de l’émission pour préserver la pluralité, deux philosophes médiatiques (Philosophes-tapisseries ou « chiens de garde » comme je les ai déjà appelés ailleurs2 ou Collabos comme Bourdieu les appelle !),  une philosophe professionnelle-officielle et un café-philosophe. N’y avait-il pas plutôt sur le plateau de cette émission seulement quatre « chiens de garde » ? Quoique Sautet se soit un peu mieux défendu que d’habitude, enfin il a un peu plus cherché à ne pas se laisser confondre avec les autres. Par contre on en a un peu marre de Socrate3 et s’il a été très judicieux de parler de l’injustice, le « communisme » était peut-être mal venu surtout la seconde fois. Mais comment faire autrement face à des personnes dont on ne sait si elles sont de mauvaise foi ou seulement idiotes ? Il aurait été important, je pense de rebondir, sur le ressentiment (comme le dit Finkielkraut4) de la plupart des « couillons du coin » ou assimilés, qui sont intervenus au téléphone.

Car enfin y a-t-il alors vraiment une demande de philosophie comme se plaisent à le répéter à l’envie les « chiens de grade » ? Car n’entendent-ils pas par-là, une demande de plus de philosophie venant de leur part (on tient à sa place et à son salaire !), Ne croient-ils pas (ou feignent-ils de croire !) qu’il s’agit d’une demande de philosophie alors que personne ne demande rien ou plutôt que s’il y a demande, c’est une demande de se « faire lâcher la grappe » ou même le plus souvent, comme avec le supposé « ressentiment », une demande de comptes ? Dans les cafés-philo, du moins ceux que je connais, les participants en ont marre d’être ailleurs seulement spectateurs. Il ne s’agit donc d’une demande de philosophie que dans l’esprit de ceux que ça arrange. Ne s’agit-il pas plutôt d’un réel désir de philosopher ? Au fond n’est-il pas aberrant qu’il y ait des « spécialistes » de philosophie ? Peut-on vraiment parler sans rire de spécialistes de philosophie comme on parle des cordonniers comme spécialistes de cordonnerie ? Tout le monde n’est-il pas capable de faire de la philosophie ? D’accord tout le monde n’en fait pas, mais ne faudrait-il pas enfin s’interroger sur ce fait insensé : si tout le monde est capable de faire de la philosophie pourquoi tout le monde n’en fait-il pas ?

Il nous semble alors que s’il y a un lieu où cette nouvelle façon de pratiquer la philosophie se met en place aujourd’hui c’est dans les cafés-philo. Nous avons ainsi un critère de démarcation entre un débat philosophique de café ou café-philo et les autres interventions philosophiques, cours, conférences-débats et… émissions telles que “Bouillon de Culture” ou même “le téléphone sonne”. Le prototype de ces différentes interventions me semble être le « cours » de philosophie5. Car au fond la philosophie comme le reste n’a  pas été insensible à un certain ton docte et même « grand seigneur » et à un certain rapport entre ceux qui se considèrent comme savants et ceux qui sont considérés comme ignorants, à une certaine conception  méritocratique de la société en quelque sorte : “répétez” dit le maître ! Le café-philo est le seul lieu à ma connaissance où il n’y a pas d’un côté les spécialistes et d’un autre ceux qui viennent la bouche ouverte chercher leur pitance. Il ne saurait être question d’y donner un cours car les participants y viennent pour faire de la philosophie en leur propre nom6.

Alors les autres lieux philosophiques de cette Nuit Philosophique satisfaisaient-ils ces critères philosophiques ? A ce que j’ai entendu dire non. Cela ressemblait plus à des conférences améliorées qu’à des cafés-philo. Cela ne ressemblait-il pas à ce que les intervenants, profs de philo dans le secondaire pour la plupart, imaginent que sont les cafés-philo ? N’y avait-il pas sur l’estrade, ou bien en vue, des intervenants et le public face à eux ? Le « débat » ne s’est-il pas instauré seulement entre les intervenants, le « dialogue » se résumant à ce que le public pose des questions et les intervenants cherchant à y répondre ? Le fond n’a-t-il pas été touché avec la « conférence » finale ? Deux heures d’échauffement dans des lieux conviviaux et ensuite les spécialistes reprennent les choses en main !

Sûrement mais les intervenants ont-ils été dupes ? Difficile à savoir pour ceux qui ne se sont pas manifestés. Mais Jean-François Souchaud était encore cette année plutôt dubitatif par rapport au bien fondé de la conférence finale et l’article de Christian Lars témoigne d’une juste vision du problème et d’une très grande honnêteté intellectuelle. Il ne faudrait donc pas oublier le chemin parcouru. Il est déjà remarquable que des enseignants sortent de leur tour d’ivoire car, dans l’ensemble, les profs de philo ne se sont pas mouillés. Ils observent par rapport à ce qui se passe, et depuis le début, une retenue polie par devant et médisante par derrière7. L’Association des Professeurs de Philosophie de l’Académie de Poitiers en lançant cette Nuit Philosophique, qui n’est pas une série de « conférences » mais qui est aussi constituée d’interventions bâtardes entre le cours ou la conférence de philosophie et le café-philo, a obtenu un réel succès. C’est de plus une réelle nouveauté par rapport à tout ce qui se fait : Le Mans, Lille etc. Il ne reste plus qu’à préparer la prochaine et réfléchir plus avant sur les formes d’interventions !

D’autre part des faits « troublants » viennent contrebalancer ce que j’ai écrit plus haut. Pourquoi y a-t-il eu autant de monde au Gil Bar ? Pourquoi alors n’en est-il pas de même toutes les semaines ? Pourquoi n’y a-t-il pas grand monde au café du Mail aux Couronneries le dimanche matin ? Le café-philo de Poitiers dont les participants sont, le plus souvent, entre 25 et 30 personnes (il est vrai que ces dernières semaines il y avait 50 voire 80 personnes), a attiré au moins 150 personnes lors de cette Nuit Philosophique. N’en serait-il pas de même si Marc Sautet le « promoteur » venait ? Faut-il alors dire aux gens de venir pour qu’ils viennent ? Il semble quand même qu’ils ont besoin d'idoles, de directeurs de conscience sur lesquels ils peuvent se reposer, ce qui leur permet de rester passifs, de ne pas se poser trop de questions. Les gens ont besoin de réponses et demandent au philosophe ce qu'ils doivent faire et penser. Soit, mais n'est-ce pas à partir du moment où le philosophe répond dans le sens de leur demande qu’il n'est plus philosophe mais "gourou" ?

Est-ce vraiment ça qu’attendait le public ? Que peut-on en savoir ? Il est en soi encourageant que des gens qui étaient sensés mépriser la philosophie viennent si nombreux. Le public des autres lieux a-t-il, ou n’a-t-il pas apprécié ce qui s’y est fait ? Étaient-ils venus chercher des  “recettes” ? Sûrement quelques uns. Leur en a-t-on donné ? J’espère que non. En tout cas au Gil Bar il n’y avait personne pour le faire. L’animateur était là pour, à ce niveau-là ce n’est plus de l’animation, gérer la foule8. David Sawadogo et Marc Tamisier ne furent que des participants comme les autres. Le sujet les y a sûrement aidés car il fallait justifier la théorie par la pratique ! S’ils ne voulaient pas être, eux aussi, des imbéciles heureux ou des intelligents malheureux, il leur fallait ne pas accepter tout ce qui se disait comme parole d’Évangile et  ne pas donner de « leçons » aux autres. Malgré le monde beaucoup ont vaincu leur intimidation et ont débattu honnêtement.

Alors cette nuit philosophique était-elle philosophique ? Plus que ça elle était, malgré certaines faiblesse, café-philosophique !

_____________________________

1 A l’émission « Le grand débat » sur France-Culture (janvier 1996) il y avait Comte-Sponville, Finkielkraut, Ewal, Challansay et Sautet, 3 collabos et un philosophe et demi des cafés. A « bouillon de culture », Comte-Sponville, Ferry, Marion, Seuve et Sautet, 2 collabos un chercheur-unversitaire-philosophe-professionnel-officiel et 2 cafés-philosophes, pourquoi n’y a-t-il jamais eu une émission spéciale sur les cafés-philo qui regroupe 3 cafés-philosophes et un seul « chien de grade » philosophe-collabo ou philosophe-officiel pour que les premiers puissent dire tout le mal qu’ils pensent du dernier ? Pourquoi n’y a-t-il jamais eu une émission sur les cafés-philo qui regroupe des gens qui y vont et des animateurs ? Il est aussi remarquable qu’il ne s’agit jamais de professeurs de philosophie des lycées car même si certains se présentent tels, il sont avant tout profs en classes préparatoires ou à l’université.

2 Incendiaire n°1, p. 14.

3 Surtout que Barbara Cassin spécialiste des sophistes grecs était là. N’a-t-elle pas été choisie exprès pour clouer le bec à Sautet sur Socrate ? Etchegoyen aussi attendait Sautet sur ce terrain, l’intervention « n’est pas Socrate qui veut ! » n’avait-elle pas été préparée avant l’émission ?

4 Eh oui Finkielkraut c’est plus ce que c’était ! Les gens sont de moins en moins dupes, ils commencent à se rendre-compte de toutes les manipulations des « faiseurs de prestiges ». Comme on peut le dire dans certains lieux péri-urbains culturellement défavorisés : « Finkielkraut, on te chassera de l’École Polytechnique à coups de pieds dans le cul ». Il faut bien que Finkielkraut se rende-compte que ce n’est pas du « ressentiment » que l’on a pour ce triste pisse-vinaigre mais que c’est de la « haine » ! Il va encore chercher à s’en tirer en disant que c’est la philosophie qui est visée, eh bien non ce n’est pas ce que représente la philosophie qui est en jeu mais ce que représente Finkielkraut : bouffon le samedi matin sur France-Culture, chien de garde le jeudi soir sur France-Inter.

5 Entendu comme représentation spontanée des professeurs de philosophie. Il est remarquable que la question des cafés-philo s’est posée après la question de l’enseignement de masse ou la philosophie était en première ligne (Cf. L’enseignement de la philosophie à la croisée des chemins, CNDP, 1994)

6 Il devrait bien-sûr en être de même dans les cours de philosophie mais les conditions de cet enseignement au lycée sont un grand obstacle. Voir ce qu’a encore dit Finkielkraut sur l’école et sur l’enseignement de la philo au « Téléphone sonne ».

7 Voir l’affaire du café-philo de lycée d’Argenton sur Creuse dans la revue des profs de philo, l’Enseignement Philosophique d’avril dernier. Très peu de profs de philo animent des cafés-philo (de plus en plus toutefois).

8 Nous avons réussi cette année à faire participer au débat tout le Gil Bar et cela sans micro (100 places assises plus les gens qui étaient debout). Ce ne fût pas le meilleur débat de l’année mais il est toujours étonnant pour moi de voir des personnes que je ne connais pas et qui ne se connaissent pas se répondre d’un bout à l’autre du café. Nous avons obtenu que chacun puisse prendre la parole lorsqu’il le souhaitait et que les autres l’écoutent et cherchent à lui répondre et cela durant 2 heures, il s’est encore passé quelque chose !

 

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