Le bonheur n'est-il qu'une simple affaire
privée ?
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Paru dans l'Incendiaire 2ème
génération n°3, décembre
1997
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C’est dans le cadre de la deuxième nuit philosophique de Poitiers que s’est déroulée la soirée sur le thème du bonheur à la médiathèque François Mitterrand. C’est donc avec des ambitions philosophiques que cette rencontre entre des « professionnels de la Philo » (professeurs de Lycée) et un public éclectique a eu lieu. Ce fut pour l’habitué du café-philo du Gil’bar que je suis, l’occasion d’assister à une nouvelle et originale tentative de débat. Quels moyens allaient être mis en œuvre pour donner une forme et un contenu philosophique à une réflexion commune ? Comment éviter le débat d’opinions ? Comment sortir la philosophie de la classe Terminale ou de l’Université sans la dénaturer ? Finalement, dans quelle mesure ce débat se distingue-t-il du débat du Gil’bar ? Le sujet du débat porte sur le bonheur. L’intitulé a été décidé avant la séance dans ces termes : « le bonheur n’est-il qu’une simple affaire privée ? ». Les vingt premières minutes sont occupées à l’introduction. Les trois professeurs s’appliquent donc à problématiser le sujet en soulevant une série d’interrogations. C’est seulement ensuite que le public est invité à débattre, à partir de ces quelques pistes de pensées. C’est la première caractéristique de la soirée : le sujet est choisi à l’avance et introduit sous forme de questions auxquelles il faut répondre d’un point de vue philosophique. Le deuxième aspect important du débat est la présence de professeurs en tant que savants - ceux qui savent -, et le public - ceux qui cherchent à savoir -. C’est pourquoi se justifie l’intervention systématique des professeurs après chaque intervention du public. Même si tous les participants à la soirée se placent sur le même pied d’égalité, on ne peut nier la source de connaissance philosophique des professeurs, par rapport à l’absence de référence du public. C’est donc bien en spécialistes que leur présence se justifiait. Et leur souci fut de ramener la discussion au philosophique, avec l’aide de concepts et d’auteurs faisant autorité. Ces points de l’organisation du débat témoignent de la difficulté que connaissent les « professionnels de la philosophie », désireux de promouvoir leur science dans l’agora. Comment faire sortir la Philosophie hors de ses murs institutionnels ? Peut-on vraiment en faire une activité pour le plus grand nombre ? Une philosophie par tous ? Dans le cas de ce débat à la médiathèque, les organisateurs ont trouvé un moyen terme entre la conférence magistrale et le débat libre. En choisissant d’inviter des professeurs de Philosophie ayant préparé un topo sur la question du bonheur dans sa visée politique. Ce choix se comprend par la peur de tomber sans l’usage de garde-fou, dans un hors sujet ou pire dans un débat d’opinions. Dans le cas précis de ce débat, les professeurs sont plusieurs fois intervenus pour ramener la discussion dans le domaine strictement philosophique. Et parfois même, ils ont invité les personnes présentes à s’interroger, plutôt qu’à trouver des réponses définitives et issues de l’opinion. Cette solution apportée contre le débat d’opinion par l’omniprésence de philosophes institutionnalisés, comporte néanmoins un risque. C’est celui de faire glisser une discussion vers un cours scolaire de Philosophie, un Travail Dirigé par des professeurs. Les nuits philosophiques sont justement organisées pour promouvoir la Philosophie en dehors de l’enceinte sacrée de l’école dont le rôle est d’apprendre, notamment l’histoire de la Philosophie et la Philosophie générale. Il ne faut donc jamais perdre de vue que les meneurs de débat, qu’ils soient spécialistes ou non, ne doivent pas glisser vers la tentation d’enseigner. Leur rôle est plutôt de faire circuler le “logos” à travers l’assistance, en dehors de toute appropriation personnelle. Il faut cependant reconnaître que le danger de glisser de la discussion au cours de Philo a été évité lors de la soirée à la médiathèque. En effet, les professeurs n’ont, à mon avis, ni tenté d’exclure des idées ou remarques du public, ni cherché à imposer leurs convictions philosophiques. Finalement, au terme de la discussion, l’interrogation philosophique restait ouverte et le débat ne concluait pas, comme on aurait pu l’attendre dans un cours académique. Ainsi, la finalité de la réunion fut respectée : le public a fait la démarche de raisonner dans les limites de la philosophie, et les professeurs se sont contentés de mener la discussion en l’agrémentant de quelques références d’auteurs. Il existe donc des différences entre le débat de la médiathèque et celui du Gil’bar. Le choix du lieu en est déjà une. Mais la principale réside dans cette présence officielle de philosophes dans le cas du débat à la médiathèque. Cependant, le but est le même, puisqu’il est de promouvoir la philosophie au sein du public, et ailleurs que dans les institutions. Si l’on regarde les dialogues de Platon, on remarque que Socrate n’a pas les réponses aux questions soulevées par le débat. Il n’est en fait présent que pour faire quitter le monde de l’opinion à ses interlocuteurs. Il n’est pas là en tant que savant, mais plutôt en tant que « briseur de chaînes », au sens où il libère la voie qui mène à la désillusion. Ces références à la méthode socratique nous invitent à réfléchir à ce qui peut être philosophique dans un débat : est-ce l’accès à des connaissances ou est-ce l’acquisition d’un état d’esprit philosophique ? Dans le cas des nuits philosophiques de Poitiers, l’enjeu est philosophique. Elles cherchent d’une part à s’écarter de l’opinion, et d’autre part à refuser de donner de simples cours de fac ou de lycée. L’essentiel est ici de changer l’état d’esprit de celui qui désire philosopher. Les structures qui ont pour ambitions de faire de la philosophie doivent toujours soumettre le philosophe à de nouvelles interrogations afin de l’inquiéter, et non lui donner des conclusions qui lui reposent l’esprit. Aujourd’hui, il existe une réelle ambition de la part de certains « professionnels de la philosophie » de faire de la philosophie quelque chose de populaire. Cela me paraît essentiel et n’empêche pas que parallèlement l’apprentissage de l’histoire de la philosophie et de la philosophie générale dans les institutions se perpétue. Nous avons vu dans quel état d’esprit et avec quelle ambition cette nuit philosophique fut menée à la médiathèque. Chacun se rend compte et à plus forte raison les organisateurs des difficultés à donner à cette discussion sa dimension philosophique. Dans le cas présent, le choix de professeurs s’est imposé, avec le souci de faire participer le public. On a ainsi éviter le débat d’opinion et le cours magistral, tout en imposant une constante interrogation. Il serait maintenant intéressant de regarder comment se sont déroulés les autres ateliers philosophiques. La difficulté résidant dans l’ambition de faire de la philosophie en assemblée, avec des personnes parfois non averties.M Si cet article vous
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