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Raison ou religion

par Eric Geysen-Lachérade

 

Paru dans l'Incendiaire n°7, septembre 1997
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Résumé

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Sommaire rapide

 

Je me souviens d’avoir lu que le démiurge au chômage

 Un jour d’ennui avait fabriqué l’homme à son image “                                                                                                                         Hubert-Félix Thiéfaine

                Actuellement, nous assistons à une sorte de retour collectif vers Dieu.

Celui-ci peut être imputé au changement prochain de millénaire aussi bien qu’à la majorité politique actuelle. La droite a toujours véhiculé une image bourgeoise ou aristocratique fortement marquée par un catholicisme aussi tenace que conservateur. La Vendée est ainsi redevenue le pays de la chouannerie, alors que le parti de Jean-Marie le Pen relance la mode des croisades en commençant la sienne par le sud de la France, pays des Sarrasins en exil.

Même les philosophes “autorisés” s’interrogent : Luc Ferry publie son “Homme-Dieu”; Jean-Luc Marion poursuit ses “Questions cartésiennes” par une réflexion “sur l’Ego et sur Dieu”, jusqu’à Comte-Sponville qui parle de Jésus dans ses “Impromptus”.

Il demeure cependant une grave question : peut-on faire un retour à Dieu sans pour autant engendrer un retour en arrière?

Il convient tout d’abord de s’interroger sur le sens de la religion. Etymologiquement, religiare signifie relier, lier à. A partir de là, il est possible d’émettre deux hypothèses : soit il s’agit de relier le transcendant à l’humain, soit il convient de relier les hommes entre eux par une même morale, elle-même transcendantale par rapport à toutes les morales humaines.

Dans tous les cas, le commandement vient d’ailleurs. Il est supra-humain. Il est la règle absolue et ne se justifie que par son origine. Il est déjà possible de dire que la raison est absente dans le cas présent. En effet, si pour Descartes, Dieu apparaît comme la certitude des certitudes, pour un individu moderne, post-freudien, la raison ne peut venir que de l’expérience. “Rien ne peut à la longue résister à la raison et à l’expérience, et que la religion soit en contradiction avec toutes deux est par trop évident.”(1)

Or que nous enseigne l’expérience, si ce n’est que toute rencontre avec Dieu est impossible. Le mystique est en effet de plus en plus rare dans notre société. Par conséquent, la religion ne peut vouloir que relier les individus les uns aux autres par une morale collective et absolue. La croyance en un être bon, surpuissant, créateur de l’humanité, est le catalyseur nécessaire à une telle entreprise. Cet être, Dieu, possède un représentant sur Terre, sorte de directeur commercial chargé de vendre tout types de bondieuseries et de faire preuve d’autorité sur l’ensemble des fidèles. Pour cela, il doit rappeler les principes supra-humains, qui, non respectés, mettent l’homme en l’état de péché mortel. Tout cela respire plus la dictature psychique que la sainteté. “La conscience n’est pas une source autonome et exclusive pour décider ce qui est bon et ce qui est mauvais (...) [car la vérité reste]... établie par la loi divine, norme universelle et objective de la moralité.”(2)

Il est également très important pour un croyant de prêcher la bonne parole ; l’athée, ou le croyant en une autre religion d’ailleurs, étant par essence une brebis égarée que l’on doit impérativement convaincre de l’erreur dans laquelle il se trouve et s’enfonce un peu plus jour après jour. En résumé, il est utile de savoir faire preuve de caractère pour lier ces pauvres humains qui semblent vraiment torturés par le plaisir d’aller à contre courant de la parole sacrée.

La religion cherche à convaincre. C’est là bien légitime, tout être cherche à convaincre son prochain de la justesse de ses propos. C’est la base de la discussion, Socrate ne pratiquait pas autrement. Seulement Socrate savait qu’il ne savait rien et qu’il fallait donc douter pour savoir, en tout cas pour comprendre. Là où le bas blesse, c’est que le croyant ne doute pas qu’il sait. Il sait que Dieu est toute puissance et toute bonté.

Depuis longtemps déjà j’ai proposé que l’on se demande si les convictions ne sont pas des adversaires plus dangereux de la vérité que les mensonges. Cette fois-ci, j’aimerais poser la question décisive : y a-t-il la moindre opposition entre le mensonge et la conviction?”(3)

Quelle chose assez certaine, indubitable, peut nous autoriser à penser que Dieu existe ?

A-t-on jamais eu une preuve matérielle, scientifique de l’existence du démiurge ?

Le fait que je pense à Dieu est-il suffisant pour prouver sa véracité ?

La foi ne définit pas de faits historique (historisch). On ne peut tirer de la foi effective aucune hypothèse sur ce qui a pu se passer historiquement (historisch). Si la recherche historique (historisch) bute sur certains passages, il faut se contenter de dire à leur propos que nous ne savons pas, ou expliquer ce que nous pouvons savoir dans le cadre de nos méthodes actuelles... Linguistiquement, il y a une grande différence entre fait historique (historisch) et histoire (Geschichte)... Je ne cesse d’affirmer que la multiplication des pains fait partie de l’histoire (Geschichte)! Mais oui!”(4)

Si je pense, je suis, peu importe ce que je pense, cela prouve seulement l’existence de ma pensée en tant que telle et non l’existence de l’objet de ma pensée.

Peut-être s’agit-il donc là d’une faiblesse du cartésianisme que d’utiliser le doute afin de prouver l’existence de Dieu. Dieu n’est-il pas l’essence même du doute?

En effet,douter consiste en un questionnement sur soi. On s’interroge sur ce qui motive notre existence, sur ce qui fait qu’elle est telle et pas autrement. A un moment ou à un autre, Dieu finit par surgir. Est-il responsable de notre existence? A-t-il seulement une existence? Il devient alors indubitable que Dieu existe en nous, sous forme de concept.

Ce concept est animé par l’esprit du doute, c’est le doute qui le rend si fort.

Dieu agit en tant qu’image archétypale, voire en tant que fantasme archétypal. Il possède un sens et ce sens, c’est le doute. Le sens de la vie est énergie, énergétique psychique, libido. L’archétype de Dieu contient l’essence même de la création qui s’exprime si bien au travers du doute : l’existence du Soi.

Le doute de Dieu est un complexe de signification. Il pose la question du sens de l’existence, de la raison de la création. Le doute de Dieu est une expérience de l’âme, par conséquent une expérience du vide puisque Dieu est infini, comme le vide.

En effet, prendre conscience de notre dimension en tant qu’êtres nous oblige à relativiser

notre position par rapport à l’existence. Nous nous mettons en retrait, et par la même occasion, nous considérons ce qui nous entoure sous un oeil nouveau : microcosme et macrocosme. Il n’y a donc plus qu’un pas à franchir pour dire que cette expérience du vide permet la plénitude de l’âme par un retour sur Soi. Ainsi, même d’un point de vue analytique, le retour à Dieu est un retour en arrière. L’auteur soufi Ibn Arabi parle de ce retour en arrière en tant que voyage dans un “royaume intermédiaire “, une sorte de monde fantasmatique entièrement construit par l’imaginaire. Dieu est fantasme, et comme tout fantasme, il peut être constructeur s’il est assimilé.

Comment peut-on alors asseoir une autorité sur ce doute? Si quelqu’un impose une vision de Dieu par rapport à une autre, il fait preuve d’une attitude dictatoriale.

Pourquoi l’idée que j’ai de Dieu ne serait pas aussi valable que celle qu’en a le Saint Père?

A partir de là, nous ne pouvons que nous résoudre à dire que la religion empiète sur le libre-arbitre donc sur les libertés individuelles. Elle devient ensuite, en cas de consentement, une sorte de médicament destiné à détourner le croyant de la prise de conscience de sa détresse morale, du Prozac en ostie en quelque sorte.

La religion est l’opium du peuple.”(5) Cette fameuse phrase en devient encore plus remarquable après avoir pris en compte ce qui vient d’être dit. Dieu est fantasme, le fantasme est irréel, matériellement s’entend. Or l’opium fait naître toutes sortes de visions chez celui qui l’utilise. La religion n’est donc qu’illusions.

Il nous faut cependant parler d’une autre chose, encore plus détestable : comment peut-on tolérer, lorsque l’on est catholique (ou islamiste, protestant...), le monde tel qu’il est? Monsieur de Villiers se fait par exemple un ardent combattant de l’IVG, comment pourrait-il expliquer que son dieu ait crée un être comme Marc Dutrou? De la même façon, Jean-Marie le Pen pourrait-il expliquer quel sens Dieu a-t-il voulu donner à son comportement envers les fellaghas durant la guerre d’Algérie? Etait-ce le même dieu qui combattait avec les légions allemandes? (6)  Ou bien encore était-ce ce dieu bon et miséricordieux qui a laissé brûler des centaines de cathares? “[Il est juste de dire que]...

le bien-fondé du droit et du devoir de l’autorité publique légitime de sévir par des peines proportionnées à la gravité du délit, sans exclure dans des cas d’une extrême gravité la peine de mort.”(7) Il me semble que Dieu est une bonne excuse inventée par les hommes pour que leurs sentiments haineux à l’égard de leurs semblables soient plus facilement  expliqués.

Dieu est le produit du refoulé. “La religion est le pire des maux “ disait Sigmund Freud.

Lui-même n’avait-il pas renoncé au culte pour pouvoir mieux se consacrer à aider ses patients.

Le dernier chrétien est mort sur la croix.” (3) Je ne veux pas remettre en question l’enseignement de Jésus. Il était un philosophe, au même titre que Socrate.

Comme Bouddha, il a compris que le seul dieu qui valait la peine d’être cherché et trouvé était en soi, était le Soi. “Connaissez-vous vous-même car vous êtes la cité et la cité est le Royaume.”(8) “Tant que tu fais une différence entre le nirvâna et le samsâra, tu es dans le samsâra.”(9) C’est d’ailleurs ce qu’exprime le “connais-toi toi-même” socratique.

Mais qu’a-t-on fait de tout cela? La bible a été écrite par des bigots et pour des bigots!

Dieu nous préserve des prophètes et des apôtres.”(10)

Les intégristes sont dans l’erreur, ils l’ont toujours été. Une religion doit être amour, non souffrance. La religion catholique est une religion de mort car elle aime le Christ dans sa souffrance non dans sa pensée. La vision de notre monde pourrait cesser de nous faire douter de l’existence du diable, du malin. Pour ce qui en est de Dieu...

En conclusion, je dirai que la religion ne peut admettre la raison. L’usage qui en est fait actuellement ne peut-être accepté, en tout premier lieu à un niveau éthique. Raisonnablement, nous ne pouvons accepter de suivre des préceptes pour un hypothétique paradis. Il est inconcevable de renoncer à soi pour se laisser investir par une autorité religieuse qui ne recherche qu’une relation de pouvoir envers les humains.

Le message du Christ a été honteusement détourné de son but premier pour servir les intérêts d’une troupe de grenouilles de bénitiers.

Je terminerai par une citation de Carl Gustav Jung :”Je pense qu’il faut encore laisser du temps à la psychanalyse, infiltrer les peuples à partir de plusieurs centres, raviver chez l’intellectuel le sens du symbolique et du mythique, retransformer doucement le Christ en ce dieu-devin de la vigne qu’il était, et canaliser aussi les anciennes forces extatiques du christianisme, tout cela à la fin unique de faire du culte et du mythe saint ce qu’il était : une fête de joie enivrée, où l’homme a le droit d’être animal dans l’éthos et la sainteté. C’était bien là la grande beauté et la fonction de la religion antique qui, pour Dieu sait quels besoins biologiques temporaires, est devenues institution de lamentation. Quelle infinité de délices et de volupté est là dans notre religion, prête à être reconduite à sa destination véritable! (...) le développement (...) véritable et correct (...) doit parachever son hymne de couleur et de ravissement sur le Dieu mourant et ressuscitant, la forme mystique du vin et les horreurs anthropophages de la Cène --- les forces de l vie et de la religion se mettent seulement au service de ce développement-là.”(11)M

                                                                                                              (1). Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation.

(2). Jean-Paul II, Splendor Veritatis.

(3). Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist.

(4). Le cas Drewermann. Les documents. Eugen Drewermann est un prêtre interdit de ministère sacerdotal depuis plusieurs années.

Il a notamment publié Fonctionnaire de Dieu, La parole qui guérit ou dernièrement Dieu en toute liberté.

(5). Karl Marx.

(6). Le “Gott mit uns” de triste mémoire que les légions allemandes portaient sur leurs ceinturons.

(7). Cathéchisme de l’Eglise Catholique, §2266.

(8). Nouveau Testament.

(9). Paroles de Nâgârjuna extraites de La Bagghavad Gîta.

(10). André Comte-Sponville, Impromptus.

(11). Sigmund Freud- Carl Gustav Jung, Correspondance, t.II, 1910-1914.

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