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Combien le Président de la République a t-il crée d'emplois ? Débat sur la relation entre le travail et les élites

par Jean-Christophe Grellety

 

Paru dans l'Incendiaire n°4, janvier 1998
4 pages



Résumé

Compte-rendu
du débat de Philosophie du samedi 21 Décembre 97
(Café Entr@site)

 

Sommaire rapide

Introduction
Pouvez-vous poser des questions au Président de la République ?
Les discours du Président sur " l'emploi essentiel "
L'ENA
Les Grandes Ecoles et les enseignements qu'elles dispensent.
Conclusion et date du prochain débat (10 Janvier 1997 : de 17h à 20h, sera : Réformer les administrations françaises : citoyens, parlez !)


Pour les Français, il est quotidien d'entendre la voix et/ou les propos du Président de la République. Le supposé personnage " le plus important de l'Etat " est présent, d'une certaine manière : par des discours, prononçés ou relayés. Il est fréquent également que la substance de ces discours soit " l'emploi ", le " travail ". Pour beaucoup, le Président de la République doit même son élection au thème de la " fracture sociale ", de cette accentuation des différences de richesses entre les Français. Aussi, à partir du moment où l'objet de ce débat est la relation entre le travail et les élites, le Président de la République est la figure synthétique : représentant suprême des élites, membre éminent de l'élite discursive pour laquelle le " travail " est un sujet de broderie, infini… La question " Combien le Président de la République a t-il crée d'emplois " s'imposait d'elle-même : dans ses différentes interventions publiques, le Président actuel n'a cessé et ne cesse, dans son passé de candidat et dans son présent de Président, de faire l'éloge de la création d'emplois, de l'entreprise privée… C'est que le " chomage " serait le mal qu'il faudrait, artisan de génie, cerner, réduire, voire faire disparaître. Sur le front de cette bataille médicale, ces médecins proclamés échouent depuis 25 ans, depuis la naissance du " chomage ". Dans notre système de services échangés, il est habituel que les compétences proclamées soient mesurées par des attestations d'autorités compétentes -l'Ordre des médecins, les diplômes des écoles du Génie…-, il est habituel que le manque de compétence proclamée soit stigmatisé à l'occasion d'affaires, de scandales, de dénonciations médiatiques. Il est donc naturel de demander à une personne qui prétend à une compétence-connaissance dans le domaine de la " création d'emplois " s'il peut attester d'une preuve de cette compétence. Il se trouve que cette requête est adressée à une personne qui est aujourd'hui Président de la République…

Pouvez-vous poser des questions au Président de la République ? WWW.ELYSEE.FR/ : le site officiel de la Présidence de la République. Dans la mesure où nous souhaitons poser cette question personnellement et le plus rapidement possible à son destinataire, il est logique de solliciter le courrier électronique. Mais pour les visiteurs de ce site officiel, de ce site " Internet ", la surprise attend l'espérance : le Président de la République ne dispose pas de boite aux lettres ! Contrairement à l'esprit du Net, le " premier des Français " n'est pas accessible par courrier. Aussi il nous faut garder la question. Par contre, " les discours du Président " sont en ligne ! Un moteur de recherche est à votre disposition. Tapons " emploi ". Sur ce thème, 25 contributions apparaissent : une par mois depuis l'élection ! Ainsi pouvons-nous lire :

Les discours du Président sur " l'emploi essentiel "
" l'emploi essentiel, c'est-à-dire l'emploi productif " (Europartenariat 97)
" J'ai proposé en particulier que l'emploi devienne le critère déterminant de toutes les initiatives, de toutes les interventions et de toutes les dépenses européennes "
" Nos lignes directrices pour l'emploi devront être, au premier chef, des lignes directrices pour la croissance " (la croissance, explique le Président, étant la conséquence de l'assainissement des finances publiques, le développement de l'activité économique, car c'est d'abord l'activité qui crée l'emploi… "(sic !)
la clé et le succès se trouve dans le respect des règles d'une économie de la liberté " (Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi, 97)
et par comparaison avec les réussites américaines et japonaises,
" cet enrichissement résulte à la fois de l'allégement du coût du travail peu qualifié, de l'expérimentation des nouvelles formes d'organisation du travail, de l'essor du temps partiel, et du développement des emplois de service. "

Ce qui ressort des phrases citées (et des textes dont elles proviennent), c'est qu'elles s'additionnent les unes aux autres sans démonstration ni intra-explication du sens du vocabulaire utilisé : ainsi, si " l'emploi essentiel (…)est (…) l'emploi productif ", nous ne saurons pas ce qu'est l'emploi productif. Des glissements sont observables sans que les transitions soient expliquées ; nous passons ainsi de " l'emploi ", priorité, à la croissance qui sera la matrice de ces emplois manquants, qui devient donc la priorité, et si nous nous demandons ce qu'est la croissance, le mélange des réponses laisse pantois : elle est " a conséquence de l'assainissement des finances publiques, du développement de l'activité économique, car c'est d'abord l'activité qui crée l'emploi ". La formule concernant " l'assainissement des finances publiques " n'est pas expliquée : si la " réduction " de ces finances est un thème libéral classique, l'assainissement n'est pas équivalente à la réduction : elle implique que les finances soient pour partie ou pour totalité gangrénées, soient " mauvaises ", d'une mauvaise origine ou propriété (mafia ?). Quant à la croissance, matrice de la création d'emplois, elle sera la conséquence du développement de l'activité économique, donc de la création d'emplois. Quant aux moyens pour créer ces emplois qui ne se créent pas dans la réalité observable, le Président ne donne pas d'indications, sauf les suivantes : il faut procéder à "l'allégement du coût du travail peu qualifié, à l'expérimentation des nouvelles formes d'organisation du travail, du l'essor du temps partiel, et du développement des emplois de service ". Là encore nous ne pouvons savoir, par l'ensemble du texte, ce qu'est le travail peu qualifié, pourquoi ce travail peu qualifié payé au minimum, devrait posséder un coût encore moindre -emplois de domesticité ?-, nous ne saurons pas ce que sont les nouvelles formes d'organisation du travail, en quoi le temps partiel (quelle durée ? quels coûts ?) représente une ambition. Quant au "développement des emplois de service ", il s'agit d'une tendance macroéconomique mondiale : demander le développement des emplois de service, c'est demander que le vent souffle dans le sens où il souffle depuis des années.

Pour pallier à l'impossibilité d'une réponse adressée suite à une question posée directement au Président via le courrier électronique, la " biographie " du Président nous donne la réponse à la question posée : le Président de la République n'a jamais crée d'emplois. Et lorsque nous consultons les discours du Président sur ce thème, nous comprenons que selon lui la création d'emplois ne peut provenir que de… la création d'emplois, du " développement de l'activité économique ". Il s'agit bien évidemment d'une plaisanterie. Mais dans la mesure où il nous est interdit de prononçer un procès d'intention à l'égard du Président, il nous faut partir de l'hypothèse de sa bonne foi. Il pense sérieusement ce qu'il dit. Il nous faut donc nous intérroger sur l'ensemble contextuel du Président : dans le temps et dans l'espace, cet ensemble contextuel désigne sa communauté de provenance, sa communauté d'appartenance. Ces communautés sont les écoles de l'élite politique. Comme vous le savez, la première de ces écoles s'appelle " l'Ecole Nationale d'Administration ".

L'ENAWWW.SDV.FR/ENA/ : selon la présentation Internet disponible, l'ENA est une " école d'applications qui dispense une formation professionnelle à de futurs cadres de la fonction publique ". Ce langage, évident pour ceux qui l'utilisent, est pourtant immédiatement problématique : qu'est-ce que la fonction publique, qu'est-ce qui justifie la fonction publique ? La présentation enchaîne sur les "sessions de formation " :

- à la gestion finançière, à la gestion des ressources humaines, à la gestion de l'Etat, aux problèmes de société.

Nous savons donc que les " futurs cadres " sont destinés à être des gérants. Dans la réalité des entreprises privées, rares sont les gérants qui sont pour quelquechose dans la création et dans la réussite des entreprises eu égard à leurs produits, à leurs commercialisations. Les gérants sont souvent des " vigiles " de l'équilibre financier, présent pour adresser des signaux en cas de problème. Ces gérants de la fonction publique reçoivent comme formations fondamentales des cours sur les "gestion finançière, gestion des ressources humaines " et c'est tout. L'Ecole qui forme les membres de l'élite politique française dispense en terme d'enseignements fondamentaux la " gestion financière " (débit-crédit) et la " gestion des ressources humaines ", c'est-à-dire l'enseignement sur les moyens du contrôle d'une population !

Les Grandes Ecoles et les enseignements qu'elles dispensent.
L'ensemble des " grandes écoles " présentes sur le Net, comme l'école Polytechnique féminine (www.epf.fr/), les Mines (www.ensmp.fr/) , le Conservatoire National des Arts et Métiers (web.cnam.fr/), sont à l'instar de l'ENA des écoles " techniques ", dont les enseignements fondamentaux sont des enseignements " techniques " sans aucune part réservée aux " humanités ". Ce qui compte, ce sont les outils et la gestion des outils. Il semble que la " finalité " des outils soit une réalité et une question totalement absente de la formation de ces écoles. Nous pouvons donc conclure que, compte-tenu de leur structure, ce qui seul importe pour ces grandes écoles, est la " puissance " -propriété des outils.

Conclusion et date du prochain débat (10 Janvier 1997 : de 17h à 20h, sera : Réformer les administrations françaises : citoyens, parlez !)
La relation entre le travail et les élites est une impasse. En effet, au sein des grandes écoles, les réalités socio-laborieuses sont seulement un objet d'études économiques et sociologiques, du point de vue quantitatif. Mais la provenance, la justification et la " valeur " de chaque activité rémunérée et productrice ne sont pas des réalités d'importance pour cette formation : métiers et productions sont laissés à un " indéterminé " intéressant du point de vue gestionnaire. " L'argent ", quelquesoit sa provenance, est la valeur absolue. Quant à la nature foncièrement gestionnaire des moyens finançiers et humains, elle est hautement problématique puisque cela signifie que les étudiants de ces grandes écoles sont formés à étudier et à concevoir les réalités économiques et humaines comme des moyens et des outils à la disposition de l'efficacité -et non, pour les hommes qui composent la nation, comme la finalité des moyens à notre disposition. Dans le cadre de la production économique, il n'est donc pas surprenant que ces énarques soient " incompétents " : la " gestion " n'a jamais appris l'imagination. Les multiples " affaires ", comme celles du Crédit Lyonnais, mettent lourdement en exergue cette incompétence.

Nous avons ouvert un " dossier ". Je l'ai souhaité parce qu'il est " utile " pour nous, c'est-à-dire pour la conscience des réalités dont nous dépendons, pour l'imagination des moyens qui sont à notre disposition pour modifier l'organisation " administrative ". Nous avons pu voir, brièvement, quels sont les " enseignements problématiques " de ces écoles. Aussi, pour approfondir ce travail, pour qu'il devienne vraiment utile pour nous, il nous faut le continuer. Aussi, le sujet de notre prochain débat du 10 Janvier 1997, de 17h à 20h, sera : Réformer les administrations françaises : citoyens, parlez ! "

 

 

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