

|
Wittgenstein est le seul philosophe contemporain a avoir été
l'instigateur de deux écoles philosophiques. Son Tractatus logico-philosophicus
a inspiré le positivisme ou empirisme logique, et ses Investigations
philosophiques l'école analytique. Il a d'ailleurs répudié
ces deux écoles vu qu'il travaillait à l'élaboration
d'une troisième philosophie.
De tous ceux qui l'avaient approché, personne n'a jamais douté
que c'était un génie, même B. Russell écrit
dans son auto-biographie, "C'est peut-être le plus parfait
exemple que j'aie jamais connu du génie, tel qu'on le conçoit
traditionnellement : passionné, profond, intense et dominateur.
Il avait une espèce de pureté que je n'ai jamais vue égalée
[...]. Je me rappelle que je l'avais emmené un jour à une
réunion de la société Aristotélicienne, à
laquelle assistaient plusieurs imbéciles que j'ai traités
avec politesse. A la sortie je l'entendis rager contre ma dégradation
morale consistant à n'avoir pas dit à ces hommes combien
ils étaient sots" (tome II, p 115).
Il fut d'abord élève-ingénieur mais voulant approfondir
les fondements des mathématiques il devint l'élève
de Russell. Un jour il lui demanda : "Pensez-vous que je sois un
parfait crétin ? Pourquoi tenez-vous tant à le savoir ?
répliqua Russell. Parce que dit-il si je le suis, je me ferais
aéronaute ; mais si je ne le suis pas, je me ferai philosophe".
Russell lui demanda d'écrire un court traité sur un sujet
de son choix et lorsqu'il l'eut en sa possession, à la lecture
de la première ligne, il eu la conviction que W. était un
homme de génie.
C'était un homme profondément malheureux, très tourmenté.
Il était le dernier de 8 enfants, 5 frères et 3 surs.
Son père était brillant et dominateur, son dipe fut
très difficile, trois de ses frères se suicidèrent
et W. a été plusieurs tenté de le faire "il
avait prit l'habitude se souvient Russell de venir tous les soirs à
minuit et de tourner dans ma chambre comme un ours en cage. En arrivant
il annonçait qu'en sortant de chez moi il se suiciderait...".
"A l'instar de Schopenhauer, qu'il découvrit adolescent Lugwig
était persuadé que la misère, physique ou morale
était la toile de fond de toute existence et qu'on ne devait pas
seulement regarder la mort en face mais lui faire bon accueil". Sa
citation préférée était "N'oublies jamais,
lorsque tout va bien, que rien n'oblige à ce qu'il en soit ainsi".
Il retourna en Allemagne, durant la première guerre mondiale, pour
s'engager et il écrivit sa première uvre le Tractatus
logico-philosophicus dans les tranchés.
Après la guerre il hésite entre la prêtrise et le
métier d'instituteur. Outre cela il dilapide son héritage
colossal (son père était aussi riche que Krupps ou Carnegie),
il en fait don à ses frères et surs et à de
nombreux écrivains et artistes (Rilke, Loos etc...).
Afin de gagner sa vie il se fit instituteur dans un village d'autriche
appelé Trattenbach (de 1920 à 1926). Il écrivait
à Russell : "les gens de Trattenbach sont très méchants,
Russell lui répondait : "oui, tous les hommes sont très
méchants". Et il insistait : "c'est vrai, mais à
Trattenbach ils sont plus méchants qu'ailleurs". Les paysans
refusaient de lui fournir du lait parce qu'il enseignait à leurs
enfant des additions qui ne se référaient pas à l'argent.
Il a dû en ce temps là souffrir de faim et de privations
considérables.
Il démissionna et devint jardinier dans un monastère. Il
fut quelques temps tenté par la la vie monacale (période
de mysticisme intense). Il devint architecte de sa soeur.
Après avoir rédigé le Tractatus logico-philosophicus,
Il pensait être parvenu à résoudre tous les problèmes
philosophiques, et se détourna de la philosophie. Il revint à
elle quand il se sentit de nouveau capable de créer. Il passe son
Ph D (Philosophy Degree = thèse de doctorat) en 1929 puis devient
professeur à Cambridge.
Il avait une personnalité très forte, il était inquiétant
et même souvent craint ; Un jour étant invité chez
les Whitehead pour le thé, il arpenta la pièce en silence
dans les deux sens durant un long moment, et finalement il explosa pour
dire : "une proposition a deux pôles. Savoir apb". Whitehead
lui demanda ce qu'était a et b. a et b sont indéfinissable
répondit W. d'une voix de tonnerre. Il exerçait un grand
ascendant sur son entourage, par le charme de son style il exerçait
un puissant attrait sur ses élèves. Il craignait que sa
forte influence soit nuisible à l'épanouissement de leur
personnalité. Il était presque impossible de suivre son
enseignement sans adopter ses modes d'expression, ses formules, ou même
sans se mettre à imiter ses intonations ses attitudes, ses gestes.
En 1947 il quitte Cambridge pour s'isoler du monde dans une cabane de
pécheur en Irlande. En 1949 on s'aperçut qu'il était
atteint d'un cancer, il en meurt en 1951.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Ouvrages de Wittgenstein :
Wittgenstein (L.) : Tractatus logico-philosophicus suivi de Investigations
philosophiques, Traduit de l'allemand par P. Klossowski, introdction de
B. Russell, Gallimard, Paris, 1961, Tel n° 109, 365 p.
Wittgenstein (L.) : Remarques philosophiques, Edition posthume due aux
soins de R. Rhees, traduit de l'allemand parJ. Fauve, Gallimard, Paris,
1975, Tel n° 809, 331 p.
Wittgenstein (L.) : Leçons et conversations sur l'esthétique,
la psychologie et la croyance religieuse suivies de Conférences
sur l'éthique, traduit par J. Fauve, Gallimard, Paris, 1971, Collection
Idées n° 809, 175 p.
Wittgenstein (L.) : De la certitude, traduit par J. Fauve, Gallimard,
Paris, 1976, Collection Idées n°344, 152 p.
Sur Wittgenstein :
Granger (G.-G.) : Wittgenstein, Seghers, Paris, 1969, p 5-90.
Jaccard (R.) : La légende des Wittgenstein, Le monde, 13 septembre
1991, p 19 et 25.
Malcolm (N.) : Ludwig Wittgenstein, dans Wittgenstein (L.) : Le cahier
bleu et le cahier brun, traduit de l'anglais par G. Durand préface
de J. Wahl , Gallimard, Paris, 1965, p 335-428.
Wright (G. H. von) : notice biographique, dans Wittgenstein (L.) : Le
cahier bleu et le cahier brun suivi de Ludwig Wittgenstein par N. Malcolm,
traduit de l'anglais par G. Durand préface de J. Wahl , Gallimard,
Paris, 1965, p 311-333.
TEXTES
Tractatus logico-philosophicus
"4003- La plupart des propositions qui ont été écrites
sur des matières philosophiques sont non pas fausses, mais dépourvues
de sens. Pour cette raison, nous ne pouvons absolument pas répondre
aux questions de ce genre mais seulement établir qu'elles sont
dépourvues de sens. La plupart des propositions et des questions
des philosophes viennent de ce que nous ne comprenons pas la logique de
notre langage.
(Elles sont du même genre que la question de savoir si le Bien est
plus ou moins identique que le beau.)
Et il n'est pas étonnant que les problèmes les plus profonds
ne soient en somme nullement des problèmes.
40031- Toute philosophie est critique du langage [...]. Le mérite
de Russell est d'avoir montré que la forme logique apparente du
langage n'a pas besoin d'être sa forme réelle. [...]
4.11- La totalité des propositions vraies constitue la totalité
des sciences de la nature.
4.111- La philosophie n'est aucune des sciences de la nature.
(Le mot " philosophie " doit signifier quelque chose qui est
au-dessus ou au-dessous, mais non pas à côté des sciences
de la nature.)
4.112- Le but de la philosophie est la clarification logique de la pensée.
La philosophie n'est pas une doctrine mais une activité.
Une uvre philosophique consiste essentiellement en élucidations.
Le résultat de la philosophie n'est pas un nombre de " propositions
philosophiques ", mais le fait que des propositions s'éclaircissent.
La philosophie a pour but de rendre claires et de délimiter rigoureusement
les pensées qui autrement, pour ainsi dire, sont troubles et floues.
4.1121- La psychologie n'est pas plus apparentée à la philosophie
qu'aucune autre des sciences de la nature.
La théorie de la connaissance constitue la philosophie de la psychologie.
Mon étude du langage des signes ne répond-il pas à
l'étude des processus de pensée, que les philosophes ont
tenue pour tellement essentielle à la philosophie de la logique
? Sauf qu'ils s'embrouillaient le plus souvent dans des investigations
psychologiques inessentielles, et il y a un danger analogue dans ma propre
méthode.
4.1122- La théorie darwiniste n'a pas plus de rapport avec la philosophie
qu'aucune autre hypothèse des sciences de la nature.
4.113- La philosophie limite le domaine discutable des sciences de la
nature.
4.114- Elle doit délimiter le concevable, et, de la sorte, l'inconcevable.
Elle doit limiter de l'intérieur l'inconcevable par le concevable.
4.115- Elle signifiera l'indicible, en représentant clairement
le dicible.
4.116- Tout ce qui peut être en somme pensé, peut être
clairement pensé. Tout ce qui se laisse exprimer, se laisse clairement
exprimer. [...]
4.1212- Ce qui peut être montré ne peut pas être dit.
[...]
6.211- [...].
(En philosophie la question de savoir " pourquoi utilisons-nous en
somme tel mot, telle proposition " mène sans cesse à
de précieuses élucidations.) [...]
6.522- Il y a assurément de l'inexprimable. Celui-ci se montre,
il est l'élément mystique.
6.53- La juste méthode en philosophie serait en somme la suivante
: ne rien dire sinon ce qui se peut dire, donc les propositions des sciences
de la nature - donc - quelque chose qui n'a rien à voir avec la
philosophie - et puis à chaque fois qu'un autre voudrait dire quelque
chose de métaphysique, lui démontrer qu'il n'a pas donné
de signification à certains signes dans ses propositions. Cette
méthode ne serait pas satisfaisante pour l'autre - il n'aurait
pas le sentiment que nous lui enseignons de la philosophie - mais elle
serait la seule rigoureusement juste.
6.54- Mes propositions sont élucidantes à partir de ce fait
que celui qui me comprend les reconnaît à la fin pour des
non-sens, si, passant par elles, - sur elles - par-dessus elles, il est
monté pour en sortir.
Il faut qu'il surmonte ces propositions ; alors il acquiert une juste
vision du monde.
7- Ce dont on ne peut parler, il faut le taire.
(Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.)
2
3
|