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Depuis quelques années, nous assistons à un retour aux
traditions régionales. Notre société qui semble en
crise économique et sociale, est à la recherche de valeurs
et en particulier de valeurs passées. Nous baignons dans une nostalgie
des modes de vie d'autrefois. Le mot à la mode aujourd'hui, c'est
l'authenticité. Dans les magazines, à la télévision,
on nous parle sans cesse de l'authentique. C'est ainsi que les recettes
de cuisine sont authentiques, que les valeurs sont authentiques, que certains
corps de métiers sont authentiques, etc.
Bien sûr, ce
retour en arrière est accompagné par la volonté de
faire une place aux dialectes locaux. Le patois, la langue orale que l'on
utilisait autrefois dans nos campagne fait un retour en force. On l'étudie
même à l'Université, on le traduit, on l'écrit.
C'est une aubaine pour les Bretons, Basques et autres Corses, pour qui
la langue propre de leurs régions et les traditions qui l'accompagnent
est importante. C'est ainsi qu'à l'aube du XXI° siècle,
resurgissent des communautés régionales qui souhaitent plus
que jamais se refermer sur elles-mêmes et discuter leur patois entre
elles. A mon avis, plus qu'un retour à l'authentique -ce qui ne
veut rien dire- ,on assiste à un retour aux régionalismes.
Tous ces langages particuliers créent bien des traditions particulières,
des danses, des contes, une histoire particulière. Mais est-ce
vraiment un progrès que de voir réapparaître de multiples
petits nationalismes locaux ? Le progrès pour une nation comme
la France n'est-il pas de pouvoir parler une même langue - le français
-, de s'entendre et de coopérer pour un même idéal
républicain : la France une et indivisible ?
Historiquement, le français fut imposé à toutes les
régions françaises. C'était l'idée de la révolution
française de 1789, de créer un Etat-nation républicain
où les différences seraient effacées par le fait
que les Hommes possèdent tous la même raison. Cette philosophie
du droit naturel voulait unifier plutôt que diviser les Hommes.
Pour unifier, la langue commune était nécessaire. Bien entendu,
pour cela , il y eut une lutte contre les dialectes locaux. Mais ce fut
certainement la chance de la France que de connaître cet idéal
républicain de la raison, plutôt qu'un idéal romantique
dans lequel exacerber les différences est une qualité. Des
pays comme l'Italie ou l'Allemagne ne se sont pas réellement regroupés
sur des critères géographiques, mais surtout sur des critères
de langue italienne ou de langue allemande. En fait, c'est une langue
commune qui crée des traditions communes ainsi que le sentiment
d'appartenir à une communauté unie.
Bien sûr, il ne faut pas comprendre dans ces propos, un quelconque
nationalisme français, allemand ou italien. Je crois à l'inverse
que faire resurgir les dialectes locaux entraîne des nationalismes
régionaux dangereux pour une communauté. Au siècle
des Lumières puis au siècle positiviste, l'idée de
la raison présente chez chaque Homme, a amené à concevoir
un langage universel comme un idéal. En effet, parler le même
langage, c'est éviter les ambiguïtés. C'est s'entendre
au sens propre du mot. Bien sûr, cette idée est transcendantale
puisqu'elle ne peut s'appliquer, et les recherches d'une langue universelle
n'ont jamais abouti. L'espéranto par exemple, n'est jamais utilisé.
Cependant, l'idée d'une langue pour tous les Hommes existait déjà
au temps de la Bible, avec la fameuse tour de Babel : Dieu, pour affaiblir
les Hommes qui devenaient trop ambitieux, leur donna différents
langages, et les premiers conflits apparurent. Du côté de
la science, le langage universel est nécessaire. La nomenclature
dans les domaines scientifiques a permis les échanges et donc le
progrès. Que ce soit en botanique ou en mathématiques, l'utilisation
d'une même langue pour les scientifiques du monde entier, a permis
de faire des découvertes inespérées autrement. Les
livres scientifiques des anciens, qu'ils soient grecs ou romains, ne nous
sont d'aucune utilité du point de vue scientifique, puisque nous
ne savons pas de quels objets ils parlent. Au plus peut-on parler de romans
scientifiques.
Si l'on considère l'Homme, comme Fichte, avec une sphère
d'activité et d'influence, le langage est primordial. En effet,
le langage est le matériau dont se sert l'influence pour interférer
avec d'autres individus. Le langage devient le mode légitime de
communication, par un tutoiement réciproque. C'est un mode non-violent
d'échanges. Cependant, comment ne pas faire violence si l'autre
ne nous comprend pas, et réciproquement ? Le langage commun est,
encore une fois la chance d'une communauté de s'entendre à
l'intérieur d'elle-même. Cependant, la résurgence
des dialectes locaux met un terme à ces échanges pacifistes.
Elle entraîne la dispersion. Les régions revendicatrices
d'une langue propre s'excluent d'elles-mêmes.
Encore une fois, on ne doit pas détourner ces propos de leur but
premier. C'est à dire de l'idéal républicain d'union
à l'intérieur d'une communauté la plus grande possible.
Ce qui me semble irritant, c'est cette nostalgie du passé. Il ne
faut pas regretter cette époque et vouloir fuir en arrière.
Rappelons simplement qu'auparavant, dans nos campagnes, il fallait chercher
l'eau dehors en plein hivers. Que les familles vivaient dans une seule
pièce pour pouvoir se réchauffer. Et enfin, que le patois,
comme langue orale et comme langue déformée du français,
ne permettait pas d'échanges écrits avec d'autres régions.
Les dialectes créent la dispersion et le repli de la communauté
sur elle-même au lieu de l'ouvrir sur le monde. Bien sûr,
il ne faut pas nier ce passé ou ces passés locaux. Mais
pour ma part, je considère que son étude relève du
travail de l'historien et qu'il ne sert à rien de le remettre au
goût du jour. Enfin, lorsque je parle d'une langue communautaire
comme le français, ce n'est pas dans un souci de lui donner la
suprématie. Le français pour le français n'est pas
l'important. C'est plutôt pour revendiquer une langue universelle
qui pourrait tout aussi bien être anglaise ou autre.
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