Qu'est-ce que la philosophie ?

par Eric Morel

Paru dans l'Incendiaire n°5, février 1998
2 pages

Résumé

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Qu'est-ce que la philosophie ? Quand on la pratique tout à fait, on ne se pose plus cette question, si ce n'est, peut-être, pour tenter de définir ce qui n'en est pas. Gilles Deleuze présentait la philosophie comme un questionnement, et non pas comme une succession d'interrogations secondaires et superficielles. Essentiellement, une création de concepts, selon la trinité concept-percept-affect.

Reléguée à un simple questionnement politique et social, elle perd tant qu'elle finit par ne plus être ce par quoi l'on entend par sa terminologie initiale. Donner son avis n'est pas philosopher à proprement parler. Car, même si dans la philosophie, il y a une dimension politique et sociale, les faits n'ont pas à être datés, dans la stricte instantanéité des faits ; la philosophie est, avant tout : transcendance. Sinon, l'on peut dire que le journaliste fait de la philosophie, le chroniqueur, l'historien, le moindre trublion font de la philosophie...!

Qui dit transcendance dit nécessairement profondeur, non pas facticité d'un événement vu de l'extérieur : un mécanicien est mécanicien à partir du moment où il démonte le moteur d'une automobile, ne se contentant pas d'ouvrir le capot et de chercher une anomalie à vue d'œil en palpant simplement sans dévisser le moindre boulon... Jean-Paul Sartre n'est pas philosophe parce qu'il a pris position, mais parce qu'il a écrit, notamment, " l'être et le néant ". Par contre, avec un Gluksmann ou un Bernard-Henry-Lévy, on a sans doute un avis critique, mais pas de concept. Cela, c'est de la politique, pas de la philosophie.

La philosophie est un art, une création [de concepts]; non pas une succession d'avis, de réponses potentielles à des interrogations de surface ; plutôt, une accumulation de questions fondamentales qui se succèdent, se renvoient les unes vers les autres, en utilisant divers outils : ainsi, la sociologie, la psychologie, la psychanalyse, la politique, sont présents en philosophie à titre d'outils... La philosophie reste la philosophie, la psychologie étant le fait des psychologues, la sociologie des sociologues, la psychanalyse des psychanalystes, et la politique des politologues dans le cadre d'un travail autonome et spécifique ; ce pour quoi existe en somme ces fonctions...! La philosophie est à la fois toutes ses fonctions, en même temps elle est au-dessus d'elles.

En fait, il n'y a jamais que les artistes qui soient philosophes, et les philosophes, à leur tour, ne sont jamais que des artistes. Sans doute est-ce pour cela qu'il y a tant de poésie chez les philosophes (Nietzsche), et de philosophie chez les poètes (René Char). Cela vaut autant chez les philosophes contemporains que ceux de la Grèce Antique. Dans le banquet de Platon, l'éloge de l'Amour, édifié au rang de dieu, est d'une poésie désarmante...
Quant à parler d'un Rainer Maria Rilke ou d'un Mallarmé, leurs œuvres valent autant par la poésie que par la philosophie qui s'en dégage.
1966, Michel Foucault déclarait : "la philosophie est en train de disparaître [...] La philosophie se dissout, se dissipe dans toute une série d'activités de pensées dont il est difficile de dire si elles sont proprement scientifiques ou philosophiques."
1989, Alain Badiou écrivait dans "Manifeste pour la philosophie" : "Les philosophes vivants, en France aujourd'hui, il n'y en a plus beaucoup... [...] Oui, une petite dizaine de philosophes, si l'on entend par là ceux qui proposent pour notre temps des énoncés singuliers, identifiables et si, par conséquent, on ignore les commentateurs, les indispensables érudits et les vains essayistes."

En réponse aux futilités, aux facticités écrasantes qu'offre le monde d'aujourd'hui, Gilles Deleuze a su trouver les mots justes : "C'est sa seule existence qui empêche les gens d'être aussi bêtes et stupides qu'ils le seraient, s'il n'y avait pas la philosophie." Il semble plus urgent, non pas de tenter de la définir, et par là, la neutraliser, la fustiger, mais d'en faire, tout simplement.
Philosopher, c'est créer. Tant qu'il y a création, la bêtise est désarmée.
Car, selon Deleuze : "Créer, c'est résister."

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