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Je souhaiterai répondre à Yves dont l'intervention via
Internet a été transcrite dans l'Incendiaire n°4 de
janvier 1998 p17, à propos de mon article paru dans l'Incendiaire
de novembre 1997 intitulé: "Seule la vie est jouissance".
J'affine donc ici le propos en réaffirmant que la vie ne se définit
à mon sens que par la jouissance qu'elle procure. Une vie ne saurait
se réduire en effet à cette souffrance que le christianisme
a posée comme étape nécessaire à un paradis
à atteindre , cette souffrance qui est d'ailleurs toujours l'aubaine
magistrale mais immonde que la bourgeoisie a reprise à son compte
pour faire croire à des lendemains économiques qui chantent.(1)
Si le souffrez et consommez et vous serez heureux a du sens pour les
scélérats qui empochent les dividendes, je dirai que ce
n'est pas le sens que je donnerai à l'Histoire, et que je donne
à l'Histoire de ce " pôvre peuple qui n'a rien demandé".(Y)
Je signale ici qu'en utilisant l'expression de "pôvre peuple",
il y a un risque réel à déplacer mon propos dont
le but est de se demander d'où vient de ce que le peuple est pauvre.
Il ne faut d'ailleurs pas à ce sujet confondre "acidité
du citron" et "cynisme de bon aloi" (Y). Ce cynisme n'est
pas plutôt la lucidité de ceux qui, trop peu nombreux, savent
justement qu'ils vivent comme des chiens. La lucidité que je revendique
n'a pour but que de tenter d'apporter un brin de lumière sur cette
histoire nauséabonde dans laquelle le peuple se noie. Et si cette
acidité concerne tout le monde, elle ne vise que ceux à
qui ça fait mal, et non le peuple. Il n'y a que l'aliénation
qui fasse mal au peuple. L'acidité ne concerne que ceux qui ont
choisi le camp de l'oppression, ceux qui ont tout intérêt
à ce que le peuple soit et reste aliéné.
Le peuple fait d'hommes et de femmes, de chair et d'os, a encore à
bâtir une histoire et un territoire. Et cette histoire et ce territoire
mêlés ne prendront leur sexe que le jour où hommes
et femmes se réapproprieront leur propre jouissance, et non cette
parodie de bonheur et de solidarité incarnée par quelques
idoles données en pâture, acteurs peut-être malgré
eux, servant de faire-valoir à un spectacle clos où aussi
se brise le rêve du monde. Ce rêve est celui de vivre d'abord,
la survie confortée par ces marionnettes donneuses de leçon
et de soupe n'étant plus que le souvenir d'un passé enfin
dépassé. ( 2 )
L'Histoire ne devrait être que leur "terrhistoire" bâtie
avec leur chair, leur chair pensante, leur chair désirante d'hommes
et de femmes enfin réunis, enfin vivants. Elle n'est pas l'histoire
de ces hommes et de ces femmes assistés, RMIsés, étouffés
par quelques grains de riz, évidés de leur culture et leur
dignité. Elle n'est pas cette terrible histoire qui n'est qu'une
histoire mutilée, l'histoire de leur charnier.
Diana et Therésa, en tant qu'idoles, ne sont que les outils de
l'aliénation du peuple. Leur mort-spectacle n'est que la lecture
de ce charnier auquel le peuple est voué, elle n'est que la lecture
d'un monde où: " la lutte fut toujours entre deux sortes de
gens, les uns persuadant que tout va bien ou que tout ira bien, les autres
durs à se laisser persuader...les uns voulant faire prendre les
vessies pour des lanternes, les autres obstinés à prendre
des vessies pour des poches à urine".(3) ; les uns estimant
qu'il y a à pleurer devant cette émoi partagé, d'autres
estimant que ces pleurs ne sont que les leurres d'une gigantesque mystification,
les uns pouvant estimer qu'il faut, je te cite "défendre leur
mémoire", les autres estimant que cette défense ne
fait que le lit de leur indignité.
Il y a matière à penser que les hommes et les femmes ne
sauraient jouir dans un lit entaché d'indignité.
Seul est humain celui qui pleure et qui sait pourquoi, cui prodest ?
Et il n'y a pas là de méchanceté vis à vis
du peuple. A moins de penser qu'il y a méchanceté à
vouloir démystifier, à vouloir être humain.
Celui qui pleure sans savoir ne se trompe que parce qu'il est trompé,
mystifié. On connait suffisamment les effets de masse et de messe.
Faut-il pour autant pleurer parce que tout le monde pleure ?
Aux actions humanitaires de Diana et de Thérésa reposant
sur une sincérité réelle répondrait une sincérité
elle aussi bien réelle de ces foules émues et ainsi serait
bouclé l'écho d'un "sentiment valant d'être vécu
pleinement". (Y)
Quelle belle image que cette expression d'humanité se répétant
et se réactivant à chaque idole arrachée à
une vie exemplaire!
A leur sacrifice, donner sa vie aux pauvres, donner sa jeunesse à
l'Establishment Royal parachevée par son don à la mort,
combien d'hommes et de femmes, combien de ces peuples n'ont-ils pas déjà
répondu, sacrifiés qu'ils sont sur l'autel de la pauvreté
!
Quel immense gâchis que ces sacrifices mis en écho qui ne
peuvent que se répandre dans une sincérité qui n'est
en fait que l'écho du bon sens et des bons sentiments, du il faut
bien aider les pauvres, que peut-on faire d'autre ?
Cet écho n'est que celui du caractère fondamentalement tautologique
du divertissement magistralement mis en scène lors de ces cérémonies.
( 4 )
Idolâtrées parce que médiatisées, la vie et
la mort de Diana et de Thérésa ne leur appartiennent pas
et se confondent pour n'être plus que cérémonial-spectacle
pour nous dire que la justice n'est désormais plus que charité,
la solidarité que compassion et pitié, lois économiques
tissant l'ordre social que fatalité de la nature.
Que certains meurent sans cérémonie et d'autres pas, c'est
là aussi le signe d'inégalités dans la vie des hommes.
Médiatiser cette sincérité, l'amplifier au point
d'une démesure planétaire, c'est assurément nous
divertir de l'inhumanité contenue dans cette inégalité
de la vie des hommes.
La sincérité n'est ici qu'un fantasme qui en tant que tel,
nous détourne du dessein que toute illusion révèle.
Les godemichets n'ont pas d'autre fonction que de nous barrer la route
d'une jouissance partagée.
Laisser à la porte de soi-même les idoles, c'est commencer
à se connaitre soi-même, c'est commencer le long chemin de
la libération. ( 5 )
Y. Citation d'Yves dans son article.
1. Dieu et L'Etat. Michel BAKOUNINE
" Le peuple, malheureusement, est encore très ignorant, et
maintenu dans cette ignorance par les efforts systématiques de
tous les gouvernements qui le considérent, non sans beaucoup de
raison, comme l'une des conditions essentielles de leur propre puissance.
Ecrasé par son travail quotidien, privé de loisir, de commerce
intellectuel, de lecture, enfin de presque de tous les moyens et d'une
bonne partie des stimulants qui développent la réflexion
dans les hommes, le peuple accepte le plus souvent sans critique et en
bloc les traditions religieuses qui, l'enveloppant dès le plus
jeune âge dans toutes les circonstances de la vie, et artificiellement
entretenues en son sein par une foule d'empoisonneurs officiels de toute
espèce, prêtres et laïques, se transforment chez lui
en une sorte d'habitude mentale et morale, trop souvent plus puissante
même que son bon sens naturel".
2. Avertissement aux écoliers et aux lycéens. Raoul VANEIGEM.
" Apprendre à déméler ce qui nous rend plus
vivant de ce qui nous tue est la première des lucidités
".
3. Les Chiens de garde . Paul NIZAN
4. Mythologies. Roland BARTHES.
Le bons sens est un " organe curieux, d'ailleurs, puisque pour y
voir clair, il doit avant tout s'aveugler, se refuser à dépasser
les apparences... Son rôle est de poser des égalités
simples entre ce qui se voit et ce qui est, et d'assurer un monde sans
relais, sans transitions, et sans progression. Le bon sens est comme le
chien de garde des équations petites-bourgeoises; il bouche toutes
les issues dialectiques, définit un monde homogène...".
Ce qui " " implique le refus de l'altérité, la
négation du différent, le bonheur de l'identité et
l'exaltation du semblable. En général, cette réduction
équationnelle du monde prépare une phase expansionniste
où l'identité des phénomènes humains fonde
bien vite une nature et, partant, une universalité... ce qui est
le symptôme spécifique des fascismes. "
5. Avertissement aux écoliers et aux lycéens. Raoul VANEIGEM.
" La seule assistance digne d'un être humain est celle dont
il a besoin pour se mouvoir par ses propres moyens ".
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