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Apologie de Sautet

par Jean-François Chazerans

 

Paru dans l'Incendiaire n°7, avril-mai 1998
6 pages



Résumé

pas disponible

 

Sommaire rapide

Nous venons de prendre connaissance des articles du Monde et de Libération à propos de la disparition de Marc Sautet et nous avons été surpris par la hargne et le mépris qui s'en dégagent et par la façon partielle voire complètement fausse d'expliquer les choses. Un des points très positif de ces propos fielleux, ne serait-il pas toutefois que Marc Sautet dérangeait encore et toujours les " chiens de garde " et que contrairement à certaines apparences il n'était pas passé dans leur camp ? Après sa consécration à " Bouillon de culture " de Pivot le 20 décembre 1996, nous étions quelques uns à nous émouvoir de la façon qu'il avait eu d'être si à l'aise au milieu de personnages médiatiques très peu fréquentables, comme Ferry ou Comte-Sponville, et de personnages universitaires très peu recommandables tel que Marion. Nous nous étions donc retournés vers lui pour lui demander pourquoi, non seulement il n'avait pas profité de l'occasion pour rompre avec ces " chiens de garde ", mais pourquoi en plus il avait tenté de leur tendre la main ? La réponse qu'il nous avait faite ne nous avait pas satisfait et avait suscité à son tour d'autres interventions . Nous attendions une réponse. La maladie et la mort ne lui en ont pas laissé le temps. C'est donc avec toute la satisfaction qu'un tel moment peut permettre que nous nous sommes rendus compte que Marc Sautet ne faisait pas l'unanimité, suscitait l'inquiétude, était dédaigné par les philosophes puristes. Peut-être Marc Sautet n'y était-il pour rien, mais le moins qu'on puisse dire c'est que les chiens de garde ne l'ont pas reconnu comme l'un des leurs !

Quels sont donc les griefs que ces journalistes mettent en avant. Ils sont au nombre de trois. D'abord le " Négationnisme ". Il est dit dans Le Monde que Marc Sautet a commencé à susciter l'inquiétude lorsqu'il a exprimé une " position ambiguë sur l'existence des chambres à gaz et dans Libération que Sautet avait été aussi à l'origine de polémiques à propos de certaines de ses déclarations sur la question de savoir " si " Hitler a voulu la Solution Finale ou " pourquoi " les nazis l'ont orchestré. On remarquera qu'on ne comprend rien à ce qu'a écrit le journaliste de Libération à cause de son style alambiqué venant, d'après nous, du fait qu'il ne soit pas à son aise et qu'il cherche à éviter d'être accusé de diffamation. Ce qu'écrit la journaliste du Monde n'est pas plus clair : comment tenir une position ambiguë sur l'existence de quelque chose ? On ne s'étendra pas sur ce point car, vu la gravité des faits reprochés, on ne peut avoir une position en demie mesure : soit Marc Sautet a été un négationniste convaincu et le militant anti-raciste et anti-fasciste que nous sommes est révolté à l'idée qu'il n'a pas été traîné devant le tribunal et condamné (comme cela a été fait, par exemple, pour Garaudy), soit ce n'est pas le cas. Or les journalistes oublient de mentionner par quel autre tribunal que Le Monde et Libération, Marc Sautet a été condamné. Ils oublient aussi sa réponse (Le Monde de 7-8 juillet 1996) qui a dû être satisfaisante puisque nos journalistes d'investigation ne semblent pas avoir poursuivi cette affaire. De se vautrer dans la fange comme ils le font aujourd'hui n'est-ce pas d'une bassesse qui frise la diffamation ? Quelle malveillance d'ailleurs de tenir de tels propos diffamatoires dans une notice nécrologique ! C'est vraiment traiter la personne qui est morte avec un mépris démesuré, comme un " chien crevé " en quelque sorte.

Le second grief c'est le " cabinet payant ". Là aussi c'est une vieille affaire, qui semblait être tombée un peu en désuétude et dont Marc Sautet parle déjà dans son livre Un café pour Socrate . Marc Sautet aurait profité des cafés-philo pour faire fortune sur le dos des gogos qui y venaient ! Savez-vous qui a, dans les premiers, exprimé sa gêne par rapport aux consultations philosophiques " à 300 balles de l'heure " ? Je vous le donne en mille : le seul " journaliste philosophe " qui ait fait du désintéressement sa seule règle de vie : je veux parler de Michel Field. C'était bien sûr avant qu'il ne soit le philosophe officiel de TF1 ! Comte-Sponville présent dans la même émission n'a pas été choqué et a même pris la défense de Marc Sautet : il savait lui combien gagne un prof d'université, il savait aussi par expérience combien rapporte un best-seller philosophique.
Savez-vous d'autre part combien coûte pour une soirée un escort-boy bardé de distinctions et spécialiste d'astrophysique ? Hubert Reeves, car il s'agit de lui, petit bonhomme sympathique et jovial a demandé 30 000 F. à une petite association que nous connaissons ! Luc Ferry se vendait en 1996 à 15 000 F. pour une conférence de une heure. Nous avons payé 1000 F pour une heure d'intervention un agrégé de philosophie inconnu (combien gagne par mois un vieil agrégé de philo ? 20 000 ? 25 000 ?…) lors de journées philosophiques que nous organisions, ses frais étant, bien sûr, totalement pris en charge, de surcroît dans le meilleur hôtel restaurant du coin !
Nous n'allons pas faire une liste exhaustive mais on peut quand même se demander pourquoi on va tirer à boulets rouges sur Marc Sautet alors que ce qu'il fait est pratique courante de ce milieu philosophico-médiatique. Même qu'il se moque moins du client car il était bien meilleur marché ! Il avait au moins comme on dit un bon rapport qualité-prix ! Pourquoi alors certains ne s'en sont pas privés ? Est-ce à cause de la légende Socratique ? Nous savons que contrairement aux Sophistes, Socrate ne faisait pas payer ses leçons. Bon d'accord mais est-ce vraiment la seule distinction que l'on puisse faire entre Socrate et les Sophistes ? Les sophistes n'étaient-ils pas plutôt jugés tels parce qu'ils faisaient payer très cher des leçons qu'ils donnaient à la jeunesse dorée athénienne afin de leur apprendre des techniques de domination et de manipulation ? Nous en venons au troisième grief.

Les cafés-philo ! Marc Sautet a toujours considéré qu'il avait crée le Cabinet de Philosophie mais que les " café-philo " lui était " tombés dessus " ! S'il en a été l'initiateur c'est, nous pensons, en ce sens. Son très grand mérite c'est donc de ne pas avoir " jeté le bébé avec l'eau du bain " et, non seulement d'avoir assumé sa paternité, mais d'avoir cherché à promouvoir sans ménager ses efforts cette façon plutôt originale de pratiquer la philosophie. Car même, chose improbable, s'il avait toujours voulu être un chien de garde comme les autres, il n'a pas frappé d'ostracisme les cafés-philo comme tous les autres l'ont fait. Bien que cela ait tendance à changer très rapidement, encore peu d'animateurs ont une formation philosophique universitaire, peu sont profs de philo. Ces derniers ont, jusqu'à ces derniers temps, toujours rejeté violemment ou juste ignoré les cafés-philo . A contraire Marc Sautet est allé jusqu'à les défendre contre eux et contre les philosophes collabo-médiatiques . S'il l'a fait est-ce vraiment pour en tirer profit pour son " cabinet privé " ? Nous pensons qu'il ne le pouvait pas pour la simple raison qu'il a été très vite dépassé par sa descendance. C'est peut-être pour cela qu'il est si controversé : il a fait " tampon " et a pris des coups de tous les côtés. Le " mouvement " des cafés-philo a toujours été acéphale au pire multi céphale, les participants étant farouchement indépendants. Deux reproches contradictoires étaient faits à Marc Sautet et surtout à Philos, son association : trop chapeauter le mouvement, ne pas en faire assez pour le structurer. La disparition de Marc Sautet va-t-elle y changer quelque chose ? Les chiens de garde trouveront-ils une nouvelle tête d'affiche qu'ils pourront dépecer pour essayer d'abattre le mouvement ? Nous verrons bien. Pour le moment, non seulement le mouvement s'organise de plus en plus tous azimuts, mais déborde de toutes parts. Quelques exemples autour de nous : les petites et moyennes villes autour de Poitiers (Saint-Maixent, Melle, Parthenay, Saintes…) commencent à toutes avoir leur café-philo, le débat philosophique commence à devenir une activité privilégiée de toute association qui se respecte . Nous avons mis en place depuis septembre 97, un club-philo hebdomadaire dans un collège près de Poitiers , et nous avons projeté de faire des interventions sous forme de débats-philo dans certains lycées Professionnels. La Fondation 93, organise depuis plusieurs années des interventions auprès d'élèves en grandes difficultés scolaires (classes SEGPA). Elle y est aidée cette année par un plus grand nombre d'animateurs de cafés-philo. La ville de Poitiers a organisé en novembre dernier sa deuxième Nuit Philosophique, qui fût encore un réel succès . Il faut aussi au moins lire le sommaire du Bulletin n°11 (mars 1998) de l'Association pour la Recherche en Didactique de l'Apprentissage du Philosopher de Michel Tozzi et aller se " promener " sur les sites philosophiques de l'Internet. Nous n'allons pas, non plus ici, faire une liste exhaustive mais une question se pose tout de même : pourquoi nos journalistes du Monde et de Libération ne parlent-ils jamais de cela ? Ce n'est certes pas si intéressant pour leurs lecteurs mais ils pourraient aussi en parler ! Ils auraient même pu profiter de la disparition de Marc Sautet pour au moins en faire mention. Au lieu de cela la journaliste du Monde semble nous resservir des informations vieilles d'au moins deux ans. Où a-t-elle pris par exemple qu'il y avait une trentaine [de cafés-philo] à Paris et en banlieue, autant en province ? Les listes étant disponibles sur Philos, le Vilain Petit Canard et sur Internet, sur le site de Marc Sautet et sur le nôtre, n'aurait-elle pas fait sérieusement son travail ? A moins qu'il ne s'agisse de sous-évaluer un phénomène plutôt dérangeant !

Nous pouvons dire que Marc Sautet a énormément compté pour nous puisque, non seulement c'est lui qui nous a donné l'idée - et l'envie ! de créer un café-philo sur Poitiers, mais il nous a soutenu par ses conseils attentionnés dans cette création et dans le développement de cette entreprise. C'est donc une bonne chose qu'il soit considéré comme l'initiateur et le promoteur des cafés-philo qu'il les ait inspirés ou parrainés, d'autant plus que ce ne semble pas être un compliment sous la plume de nos journalistes puisqu'ils vont jusqu'à penser qu'il a tiré parti du mouvement populaire de désarroi existentiel et de l'engouement qui en procède pour le " prêt-à-penser " et la sagesse sous toutes ses formes qui est un entichement français pour la philosophie de comptoir qu'il fût un pilier de la philosophie de comptoir.
Nos journalistes iraient-ils jusqu'à penser qu'après avoir fait passer la philosophie, avec les cafés-philo, de l'estrade de l'université au comptoir du café, il l'avait fait passer, avec le cabinet de philosophie, du comptoir au trottoir ? Ca ne s'est malheureusement pas passé comme ça et c'est dommage parce qu'après le trottoir, c'est la rue ! L'horreur pour les chiens de garde et ceux à qui ils obéissent ! La philosophie dans la rue ! A force de crier sur tous les toits que tout le monde est capable de faire de la philosophie - nous sommes dans une démocratie libérale que diable ! - " tout le monde " s'en est cru capable. Alors c'est devenu plus visible : non seulement tout le monde ne faisait pas de philosophie, mais il fallait que tout le monde n'en fasse pas : trop dangereux pour les chiens de garde et ceux à qui ils obéissent ! Il fallait même tout faire pour les en empêcher ! Comme les chiens de garde et ceux à qui ils obéissent pensent que tout fonctionne comme le chien-de-gardisme, ils pensent que cela n'a pas fait gagner d'auteur à la philosophie ! Qu'entendent-ils par auteur ? Des gens tels que Bernard Henry Lévy, Luc Ferry ou Alain Finkielkraut ? N'est-ce pas ce qui est justement remis en question par les cafés-philo ? Les auteurs ne sont-ils pas seulement des chiens de garde qui occupent le terrain de l'opinion en parlant pour ceux qui sont privés de parole ? Suffisait-il alors de tout faire pour déconsidérer le leader, la tête d'affiche, Marc Sautet, au yeux de l'opinion et d'essayer de mettre en avant d'autres " prétendants " pour tuer dans l'œuf le processus engagé ? Rien n'y a fait, non seulement Marc Sautet a tenu le choc, mais la réalité est bien pire que leurs pires cauchemars ! Marc Sautet a bien permis à la philosophie de descendre au café et même sur le trottoir, maintenant elle est dans la rue. Attention chiens de garde, " certains " vont avoir les moyens de botter votre cul de plomb !

1. Marion Van Tenterghem, " Marc Sautet : l'initiateur des " cafés philo " ", Le Monde du 4 mars 1998 et Marc Ragon, " [Mort de ] Marc Sautet, pilier de la philosophie de comptoir ", Libération, du 3 mars 1998.
2. Voir Paul Nizan, Les chiens de garde, Maspéro et Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Liber éditions, 1997.
3. Jean-François Chazerans, " Du nouveau sur le front de la philosophie nouvelle ? " L'Incendiaire n°03 et " pourquoi la philosophie est-elle devenue si populaire ? ", http://webhome.infonie.fr/jfchazer/cafeb.htm
4. L'Incendiaire n°07, http://webhome.infonie.fr/jfchazer/cafeb.htm
5. L'Incendiaire nouveau n°1 (n°8 Internet), http://webhome.infonie.fr/jfchazer/cafeb.htm
6. Robert Laffont, 1995, pp. 48-60.
7. Admettons que l'auteur ait 10 % sur les ventes mais ce n'est le cas que des petits éditeurs genre l'Harmattan, un livre vendu 100 F. à 100 000 ex. rapportera 1 000000 F. ! Quand même ! Alors lorsque vous voyez en couverture du Monde surtout le vendredi (jour du marché du livre !) une pub de ce genre : " Luc Ferry, L'homme-Dieu ou le sens de la vie. 130 000 exemplaires " avec une photo où Luc Ferry est en train de sourire… mais de sourire à n'en plus finir, ne vous demandez pas pourquoi !
8. Voir " Aux professeurs de philosophie de l'Académie de Poitiers ", http://webhome.infonie.fr/jfchazer/cafeb.htm, " Du nouveau sur le front de la philosophie nouvelle ? " L'Incendiaire n°03 " Pourquoi la philosophie est-elle devenue si populaire ? " http://webhome.infonie.fr/jfchazer/cafeb.htmet " Réponse à Marc Sautet ", L'Incendiaire n°1 http://webhome.infonie.fr/jfchazer/cafeb.htm
9. Voir Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Liber éditions, 1996.
10. Peut-on encore sans en rire parler de " mode " ? Une mode qui dure aussi longtemps (6 ans) est en mouvement ou une " mouvance " !
11. Un exemple parmi d'autres : Agnès Lenours, la présidente de l'association Philosophie par tous, à participé à l'animation d'un débat proposé par le CIDF (Centre d'Information sur les Droits des Femmes), le samedi 7 mars 1998.
12. L'Incendiaire n° 4 http://webhome.infonie.fr/jfchazer/cafeb.htm
13. Voir l'Incendiaire n°3 http://webhome.infonie.fr/jfchazer/cafeb.htm
14. C'est très représentatif du bouillonnement actuel. Une grande diversité des contributions qui vont, pour faire très court, des profs de philo toutes tendances confondues aux cafés-philo toutes tendances autant confondues. ARDAP n°11 - Michel Tozzi 2, rue de Navarre, 11100 NARBONNE. Tél : 04 68 65 34 36.
15. Voir Patrick Champagne, Faire l'opinion, Minuit, 1990.

 

 

 

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