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La crise sociale : une jouissance morbide

par Eric Geysen-Lachérade

 

Paru dans l'Incendiaire n°7, avril-mai 1998
3 pages



Résumé

pas disponible

 

Sommaire rapide

Depuis quelques mois, nous assistons à un sursaut identitaire de la part d'une bonne fraction de la population. Est-ce du domaine du hasard si ce mouvement correspond à la fin d'un siècle ? Peut-on dégager des points communs entre l'attitude d'enfermement des jeunes dans un nouveau style de musique, la violence dont fait preuve une partie de ceux-ci, et le mouvement des chômeurs ?
Je vais tenter de montrer que toutes ces positions sont le fait d'un fonctionnement psychique à l'œuvre chez chaque individu.

Lors des derniers réveillons, nous avons pu constater qu'une violence assez impressionnante se mettait en place dans les banlieues. Depuis quelques temps également, les chômeurs manifestent leur mécontentement face à un pouvoir qui n'agit plus depuis longtemps pour tenter de trouver une solution à leurs problèmes. Les emplois-jeunes, les C.E.S, les stages de formations, tout cela n'est que solution de substitution, que poudre aux yeux, des yeux qui ont mal à force de contempler la misère de ce monde. Savoir si les hommes politiques, de quelque parti qu'ils soient, sont capables ou non de résoudre ce problème, là n'est pas la question.
La question est : ce problème n'est-il pas partie intégrante de l'Homme ?
Il me faut maintenant tenter de m'expliquer sur ce que je viens de dire.
Le chômage n'existe pas seulement par la faute du progrès et/ou du capital.
Nous nous devons de remarquer que l'un et l'autre sont dus à l'homme, ils n'existent pas à l'état naturel. L'évolution règne au sein de la nature, mais peut-on comparer évolution et progrès ? Pour ma part, j'ai l'impression que nous n'évoluons plus mais que nous devons absolument subir ce que dans le jargon analytique nous appelons une régression. Or une régression n'est utile que si elle est comprise, assimilée.
Une régression, c'est aussi un moyen qu'a trouvé l'inconscient pour éviter que l'on ait accès à un souvenir refoulé. D'une manière plus simple, je peux dire qu'il s'agit d'une défense. Or tous ces mouvements sociaux sont-ils autre chose que des défenses ?
La lutte des chômeurs est un combat contre l'oppression capitaliste et la lutte des jeunes de banlieues est une bataille contre l'incompréhension.
Pourtant, dire cela me paraît bien facile, trop facile... Les chômeurs, les jeunes sont des hommes comme les autres. En cela, ils obéissent obligatoirement à la loi du capital. Comme je l'ai dit précédemment, il s'agit d'une invention humaine.
Je dois donc en déduire que l'Homme a une propension à inventer des choses ou des concepts destructeurs. Le capitalisme n'enrichit qu'une certaine frange de la population, il asservit l'autre partie. Lorsque cette seconde partie ne supporte plus l'asservissement, elle se révolte et ne cherche qu'une chose : prendre la place des nantis. En cela, nous ne pouvons que constater que nous obéissons à la loi du talion.
De la même manière, beaucoup de mouvements féministes ne désirent pas seulement avoir les mêmes droits que les hommes mais aussi faire vivre à ceux-ci les privations dont les femmes ont été les victimes. Avant d'aller plus loin dans la discussion, je dois encore ajouter quelques exemples qui pourront aider la démonstration qui suivra.
Considérons un instant la physique nucléaire. Celle-ci nous apporte une somme considérable d'énergie, j'aurais pu parler d'électricité mais je pense que le terme d'énergie est plus utile à mon argumentation. Cette énergie nous est profitable mais elle peut aussi nous détruire d'une façon irrémédiable.
Changeons d'invention et venons-en à la musique. Tout le monde a un jour pu écouter la musique dont la majorité des jeunes est friande. Techno, fusion, hard-core, transe, rap, j'en passe et des meilleurs. Cette "musique ", destinée à l'origine à la détente de l'individu, se trouve être une des plus aliénantes qu'il soit. Elle apporte la violence ou l'abrutissement. En effet, oser dire le contraire serait nier purement et simplement les effets du rythme sur l'individu. Rappelons-nous les tribus primitives utilisant les percussions pour se mettre en transe avant un combat.
Mais quel combat livre donc cette humanité, contre quel ennemi invisible se bat-elle ? Nous ne combattons que pour obtenir quelque chose en échange, mais que désirons-nous ? Pour Freud, il n'existe pas de pulsions grégaires, "toutes les pulsions organiques qui sont à l'œuvre dans notre âme peuvent être classées, suivant les mots du poète, en faim et en amour ".1 Cela signifie qu'il n'y a pas d'entité sociale qui serait comme un moi supérieur, un moi social. Lors des conflits comme il y en a actuellement, c'est le moi de chaque individu qui retrouve chez l'Autre la même aspiration au changement. Mais quelle est-elle cette aspiration ? Nous pourrions dire qu'il s'agit d'un désir d'autonomie. Depuis sa naissance, l'homme demande de l'amour et de la nourriture. Certes, notre société offre de quoi nous nourrir mais pas dans les mêmes proportions pour tous. Cette différence naît du surtravail des ouvriers et de la plus-value dont profitent les nantis. De cette différence économique découle un amour déjà rendu impossible. Aussi, il serait logique de dire que la population demande une égalité entre chaque individu. Pourtant il n'en est rien. C'est pour cela que le communisme, ou devrais-je dire le marxisme, est et demeurera une utopie.
Une telle doctrine est inapplicable, elle est en opposition formelle avec les mécanismes inconscients de l'individu. En 1908, Alfred Adler parlait de tendance à l'agression, c'est cette tendance que nous voyons actuellement à l'œuvre dans notre société. Je me propose de tenter d'expliquer pourquoi l'Homme génère une telle tendance : nous pouvons penser que l'homme souffre de la méconnaissance de sa position pré-conceptuelle, position où le vide serait prédominant et qui pousse donc l'individu à se diriger vers ce qui lui manque, l'effraie et le fascine à la fois : le vide.
Nous pourrions voir ici une des raisons pour lesquelles le chômage ne peut se résorber et pourquoi Oppenheimer a inventé un si joli jouet. La destruction pure et simple de l'humanité par elle-même apparaîtrait comme la victoire de Thanatos sur Eros, elle serait l'orgasme morbide suprême qui donnerait raison à Nietzsche et surtout à l'inconscient en lui faisant dire que la seule vérité, c'est que la vie n'a pas de sens.
[L'esprit libre] "s'enfonce dans un labyrinthe, il multiplie par mille les dangers déjà inhérents à sa vie, et dont le moindre n'est pas que nul ne voit de ses propres yeux où ni comment il s'égare, s'isole, et se laisse déchirer lambeau par lambeau par quelque Minotaure tapi aux cavernes de la conscience ".2
Nous pouvons retrouver ce principe destructeur à l'origine de l'humanité : en est-il autrement de la crucifixion de Jésus, ou du fratricide d'Abel et Caïn ?
L'individu a ceci de paradoxal qu'il cherche l'amour mais qu'il ne trouve que son contraire. Certes, on ne peut savoir aimer sans savoir haïr, c'est ce que Lacan a intitulé l'hainamoration, mais pour quelle raison l'homme apprécie-t-il davantage la haine ? J'ai parlé quelques lignes plus haut de la vérité. Que cherche-t-on d'autre d'ailleurs en philosophie que la vérité ? Pour Lacan, la vérité, c'est la jouissance, et cette jouissance nous ramène au vide. En effet, nous appartenons à un univers qui est né du vide et qui, semble-t-il, y retournera. Comment pourrait-on nier que nous participons, comme n'importe quel atome, au destin de l'univers ? Le microcosme et le macrocosme se doivent de demeurer unis, c'est ce qui nous empêche de sombrer dans le chaos. Regardons un instant le destin d'une étoile : ce destin dépend en fait de la masse de l'étoile. Une "petite " étoile comme le soleil deviendra une naine blanche qui finira par s'éteindre alors qu'une étoile qui a 40 fois la masse solaire terminera sa vie en trou noir, une sorte d'aspirateur à énergie qui transforme tout ce qu'il touche en antimatière. Ce destin funeste de l'univers ne peut qu'être inscrit dans le patrimoine inconscient, sous l'aspect d'une information archétypale en quelque sorte.
Et c'est bien effectivement de masse qu'il s'agit : masse sociale, masse financière, bref nous parlons d'une société qui s'écroule à cause de sa population devenue trop nombreuse par rapport à l'avancée du progrès. Tout ceci n'est que phénomène inconscient, dont on peut bien sur se rendre compte avec du recul, mais qui agit d'une façon sournoise. Avoir un enfant n'est-ce pas d'ailleurs une façon de légitimer la jouissance, de rendre ce trou supportable en le bouchant pour qu'il cesse de nous menacer par son regard béant de monstre avide.
C'est maintenant du destin de la pulsion dont nous parlons. Donner naissance de façon inconsidérée serait nous rapprocher de notre fin, ce serait une compulsion de répétition due à la pulsion de mort. Nous nous apercevons que l'inconscient est assez habile pour utiliser l'amour dans un but funeste. Cette remarque ne fait que donner raison au génie de Nietzsche qui dit que notre devoir d'homme consiste à " changer constamment en lumière et en flamme tout ce que nous sommes ".3
Pour revenir aux banlieues et par conséquent au surnombre, je me dois de parler de l'ennui. L'ennui existe parce que le travail manque. Nous savons que le travail c'est l'exploitation de la masse populaire pour un sous-salaire. Pourtant, le travail a un mérite, celui de permettre à un individu de se décharger d'une somme trop importante d'énergie, de libido (la libido n'est pas seulement énergie sexuelle). Or dans le cas présent, cette énergie s'accumule et laisse poindre le désir, désir qui dans la majorité des cas se trouve en devoir d'être refoulé. Aussi, comme toute chose refoulée, il faut que ça sourde à un autre endroit. Comme l'amour n'est guère présent dans les banlieues, on m'a dit lors d'un débat à Guéret qu'ils (les jeunes de banlieues) n'avaient pas le temps ni l'envie de parler des "petites fleurs et des petits lapins ", c'est la violence qui devient le produit du refoulé.
Enfin, en guise de conclusion, j'aimerais revenir au capital. Qu'est-ce que le capital sinon une façon de dominer le plus faible, celui qui ne peut pas s'adapter.
De nos jours, le capital a trouvé une arme redoutable : le fascisme.
Je citerai une dernière fois Nietzsche : "Vivre c'est essentiellement dépouiller, blesser, violenter le faible et l'étranger, l'opprimer, lui imposer durement ses formes propres, l'assimiler, ou tout au moins l'exploiter [et dans ce domaine]il faut s'interdire toute faiblesse sentimentale ".4 Une telle citation ne doit pas être prise dans un sens nazi qui aurait certainement fait horreur à l'auteur lui-même, cependant, on notera la justesse des propos d'un Nietzsche très observateur qui avait remarqué avant Freud les dégâts que pouvait produire la pulsion de mort.
L'Homme n'a pas inventé le capitalisme ni l'oppression par hasard, il obéit en cela à la loi naturelle qui veut que le plus faible disparaisse. Et si l'être humain était l'individu le plus faible ?


Eric Geysen-Lachérade


1. Sigmund Freud, Psychologie des masses et analyse du moi in Gesammelte Werke.
2. Friedrich Nietzsche
3. Idem, Le Gai Savoir, Folio essais, n° 17.
4. Idem, Par delà le bien et le mal, Le livre de poche, n° 4601.

 

 

 

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