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La Philosophie, de par son étymologie même, veut et recherche
la vérité. Elle espère expliquer ou déchiffrer
l'ordonnancement du monde. De Platon à Hegel en passant par Kant,
l'explication du cosmos ou le souci de la connaissance reste l'objet de
leur recherche. Chez Platon, la vérité est au-delà
de la réalité perceptive pour l'humanité, dans ce
qu'il appelle le monde des Idées, lieu de la connaissance ultime.
Pour Kant, le savoir reste limité aux phénomènes.
Il n'exclut cependant pas l'existence d'une vérité extérieure
à notre sensibilité, saisissable notamment à travers
la foi religieuse. Enfin, chez Hegel, la vérité existe bel
et bien dans le réel, se dévoilant parfois lors de grands
moments de l'Histoire des Hommes, car l'infini se révèle
selon lui à travers le fini. Bien sûr, il existe d'autres
exemples dans l'histoire de la Philosophie pour témoigner de la
croyance des philosophes dans la vérité, accessible ou non.
Vraisemblablement, Nietzsche marque une rupture avec cette tradition philosophique
concevant la vérité comme le bien suprême. Au contraire,
il s'affirme dans un premier temps à travers le nihilisme avant
de le dépasser. Le nihilisme, c'est l'affirmation du non-sens de
l'existence humaine. C'est l'absence de justification du réel.
En fait, l'unique vérité de cette pensée revient
à dire que l'existence humaine n'a pas de sens. Ainsi, être
nihiliste, c'est croire que la vie ne mérite pas d'être vécue.
C'est préférer la vérité qui affirme le non-sens,
plutôt que la vie. Mais l'Homme peut-il réellement vivre
en étant nihiliste ? C'est à dire en acceptant l'idée
que son existence n'est pas justifiée. Et de plus, qu'elle est
noyée parmi l'existence de milliards d'êtres humains qui
vivent et meurent pour rien ?
L'humanité ne possède pas d'état stable, fixe, unifié.
Contrairement au règne animal, fini et donc parfaitement approprié
à son existence. N'importe quel animal est ce qu'il doit être
et son instinct le rend propre à la vie. Au contraire, l'Homme
ne peut jamais être en adéquation avec une forme d'être
fini, achevé. En effet, l'Homme est toujours à la recherche
d'un devoir être ; il veut ou voudrait toujours être autre
chose que ce qu'il est actuellement. C'est effectivement le malheur de
l'humanité : elle n'est pas adaptée à la vie comme
le sont les bêtes qui ne veulent rien, mais sont, naturellement.
Cette force du vouloir être pousse l'homme inconsciemment à
vivre toujours en avant, en ayant une activité dans laquelle il
masque le non-sens de son existence en créant un sens propre à
lui. En fait, la vie humaine s'oppose à la vérité
des nihilistes.
Cependant, et heureusement, l'Homme ne reste pas dans un mutisme, paralysé
par l'absence de sens de son existence. Si cela avait été
le cas, nul doute que l'humanité aurait depuis longtemps disparu.
Dans son activité quotidienne, l'Homme possède une multitude
de petits objectifs qui se renouvellent sans cesse. Ainsi, l'existence
avance, échelonnée par des étapes qui se succèdent
sans que l'on puisse retourner en arrière ou s'arrêter pour
avoir une vision générale de sa vie. La vie quotidienne
occupe et empêche d'apercevoir un sens ou un non-sens. Dans les
domaines scientifiques ou techniques par exemple, la recherche se borne
à l'explication des phénomènes, et non pas à
leur donner une justification : l'astrophysicien s'interroge sur le big-bang,
en dévoile des secrets, mais son but n'est pas de savoir pourquoi
un big-bang. Ainsi, la recherche ou même l'activité humaine
en général voile la question du sens. On peut par ailleurs,
distinguer l'art et la religion des autres formes d'expressions. Délibérément,
ils donnent une raison au monde : l'un par l'activité créatrice
et l'autre par la croyance à un être et un au-delà
transcendant les phénomènes. En effet, en considérant
le monde comme illusion, l'uvre d'art est également illusion,
mais à la différence qu'elle se revendique comme telle.
L'artiste ne masque pas, il crée quelque chose dont il est certain
de la nature et à laquelle il peut donner un sens, qui est le sens
véritable de son uvre. La religion également tente
de donner une cosmologie, non plus d'une création humaine, mais
du monde dans sa totalité, l'existence y compris. Le créateur
dans ce cas, n'est plus l'artiste, mais un être transcendant, dont
le monde est l'uvre. C'est alors une recherche par la foi des volontés
du démiurge.
Ainsi, peut-on affirmer que la vérité nihiliste n'est rendue
supportable que masquée ou voilée, comme la lumière
du soleil n'est observable qu'indirectement sous peine d'aveuglement.
C'est pourquoi Nietzsche, après s'être rapproché du
nihilisme, s'en éloigne en le condamnant. Il s'en prend à
ces "fanatiques de la conscience, ces puritains qui préfèrent
mourir couchés sur un néant certain que sur une incertaine
réalité".
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