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LES PSYCHOLOGUES.le 11/09/98
C'est désormais incontournable : la présence des psychologues
dans notre société en cette fin de siècle est partout.
Tous les médias en font l'écho. Dans la presse, des spécialistes
nous expliquent à travers des termes psychologiques comment bien
éduquer ses enfants, quelles lectures leurs proposer, comment vivre
avec son conjoint, comment analyser ses rêves, ses désirs,
et tous nos actes quotidiens en général : vous fumez ? La
faute en incombe à votre mère qui ne vous a pas donné
le sein assez longtemps. Vous n'aimez pas les pâtes ? C'est parce
qu'à cinq ans, votre père vous a fait des reproches alors
que vous étiez occupé à en manger. Tous les moyens
sont bons pour vous expliquer votre vie, donner un sens à vos actes.
Même si cela peut paraître anodin et sans conséquence
dans la presse écrite ou télévisée, cette
mode des psychologues peut prendre un aspect plus dramatique. En effet
lors d'attentats, ou de crashs aériens, de tremblements de terre,
de tout ce que l'on veut, les psychologues sont au rendez-vous pour assister
les victimes. En soi, on ne peut blâmer cette initiative. Elle tente
de venir au secours de personnes ayant subies des traumatismes graves.
Mais trop c'est trop ! J'ai le sentiment à écouter nos spécialistes
psychologues, qu'un drame, que la mort d'un proche, est quelque chose
que l'on peut dépasser. On en oublie le bon sens : un deuil est
incontournable. Personne ne peut faire que l'absence d'un parent ou d'un
ami soit facile à vivre. Personne ne peut affirmer que grâce
aux psychologues que l'on voit toutes les semaines, on oublie son chagrin,
son traumatisme. Bien sûr, il ne faut pas unilatéraliser
la situation et vouloir qu'il n'y ait aucune assistance aux victimes.
En effet, si la présence d'équipes spécialisées
dans le soutient psychologique sur les lieux du drame est nécessaire
et permet de surmonter les premiers instants, un soutient systématique
et trop prolongé fait entrer le blessé dans un cercle vicieux
qui place le drame au centre de sa vie. Toutes les semaines le patient
va voir son spécialiste qui lui rabâche son chagrin, sa situation.
Le deuil n'est jamais accompli et au contraire de l'objectif désiré,
il fait quotidiennement parti de sa vie et le prochain rendez-vous est
là pour le rappeler.
Plus généralement, c'est la représentation contemporaine
de la psychologie qui pose problème. Freud a montré par
ses recherches, que l'homme est mué par une force inconsciente
qui participe à ses actions. Cette force est constituée
de l'expérience de l'individu, notamment durant l'enfance. Avant
cette découverte, le philosophe Schopenhauer avait lui aussi parlé
d'une force propre à l'espèce humaine : la volonté
ou le vouloir être. Ce vouloir être qui pousse l'homme à
toujours vouloir être autre chose que ce qu'il est, le fait souffrir
et est pour le philosophe responsable des malheurs de l'humanité.
Aujourd'hui, il serait faux de nier l'existence de l'inconscient ou du
vouloir être. Cependant, poussée à l'extrême
comme c'est le cas actuellement, la thèse de l'inconscient nuit
au libre arbitre ou à la liberté de l'être humain.
Ces considérations psychologiques font passer l'individu pour une
machine dont tous les actes ont une source unique : l'inconscient. Les
actions accomplies ne sont plus du fait de la volonté, mais dépendent
de cette force logée au plus profond de notre être. Cette
perte de la singularisation de nos actions mène à des généralisations
et des conceptions qui n'appartiennent pas au domaine scientifique dont
la psychologie se réclame. Dans son véritable contexte,
la psychologie doit participer à l'explication de certains de nos
actes, mais certainement pas avoir l'ambition de tout expliquer à
travers un système unilatéral.
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