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Ce qui est important et ce qui fait l'originalité
du "débat philosophique de café" c'est d'abord l'affrontement
des opinions. Mais cela ne suffit pas car il n'est pas question d'en rester
à une simple discussion d'opinion, il faut qu'il y ait ensuite l'affrontement
des opinions avec le discours rationnel (logos) et du discours rationnel
avec les opinions. Que je le dise toute de suite c'est en cela que réside
pour moi la philosophie et c'est cela que l'on trouve en particulier chez
Platon : "le dialogue platonicien se présente ainsi comme une recherche
de la vérité selon une méthode qui consiste dans l'application du logos,
c'est-à-dire de la raison critique à une série d'opinions qui ne sont
pas, de point de vue de Platon, de valeur égale" .
l y a peut-être, quand même, une différence c'est que
dans les dialogues de Platon il me semble que les interlocuteurs de Socrate
soutiennent des opinions et Socrate est le seul à "appliquer le logos"
à ces opinions. Ce n'est pas en accord avec la réalité du "débat
philosophique de café" car il n'y a pas vraiment de Socrate. Seul
reste le souci d'appliquer le logos à ses opinions et à celles des autres.
Ce qui y est intéressant c'est d'assister en direct à la faillite de l'opinion
brute, de l'"opinement" ou de l'opiniâtreté. Ce qu'on remarque
assez rapidement ce n'est pas qu'on a trouvé une vérité, une opinion vraie
ou une raison, mais que si on veut avancer vers elle, on ne peut pas en
rester à l'opinion et on doit la dépasser. Bien-sûr, tout le monde n'y
arrive pas et on retrouve toutes les "ruses de l'opinion", presqu'exclusivement
des professions de foi relativisantes du style "chacun a le droit
de penser ce qu'il veut", rarement le rejet violent et jamais l'indifférence
(la présence au débat exclut cette éventualité !) . Mais certains s'attellent
à la tâche avec sérieux, le logos même balbutiant émerge toujours un peu.
Qu'on ne nous raconte pas des histoires, ce n'est tout de même pas si
fréquent ailleurs ! Car lorqu'on lit un livre, lorsqu'on écoute un conférencier
on peut appliquer le logos à ce qui est dit ou écrit, mais rien dans le
livre ou dans la conférence (ou alors accessoirement et comme par hasard)
ne conditionne cette application du logos. Sûrement que l'auteur ou le
conférencier ont, pour avancer leurs thèses, appliqué le logos à d'autres
thèses ou à des opinions, mais sont-ils vraiment en train d'appliquer
le logos lorsqu'ils font une conférence ? Comment peuvent-ils être certains
que ces thèses ou ces opinions sont bien celles des auditeurs de la conférence
? S'ils appliquent le logos ce n'est pas dans le sens "socratique",
si bien que chacun se retrouve monade isolée et le logos s'applique à
vide. Et si l'auditeur ou le lecteur n'appliquaient pas le logos et étaient
dans l'opinion ? Et si l'auteur ou le conférencier étaient eux aussi dans
l'opinion ? Comment savoir si ce qui se passe n'est pas un marché de dupes
?
Dans l'ensemble les philosophes de profession disent mépriser l'opinion
mais ce qu'ils méprisent c'est plutôt "le vulgaire" car, ils
lui confisquent les moyens d'appliquer le logos et de sortir de l'opinion.
Les philosophes de profession ont souvent confondus le vulgaire et son
opinion, mais si on s'en tient aux dialogues de Platon ce n'est pas tant
de l'opinion du vulgaire dont il est question mais de l'opinion de l'expert,
du spécialiste (sophos). L'opinion du vulgaire dérive la plupart du temps
de celle du spécialiste qui est un manipulateur d'opinion . Il y a donc
pire que d'avoir des opinions, il y a manipuler l'opinion et les experts,
les spécialistes, et même les philosophes de profession ne s'en privent
pas.
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