Debat : L'amour est-il seulement passion ?
Sujet proposé et choisi
L'amour est-il seulement passion ? Aime-t-on de la même façon, et par un même sentiment, le vin, une femme que l'on veut violer, son ami, sa maîtresse et ses enfants ?
Déroulement du débat
- Comme c'est la nuit philosophique en l'honneur de l'anniversaire des 400
ans de la naissance de Descartes, le sujet est posé en référence
à sa conception de l'amour. Pour lui non seulement l'amour est une passion
(Passions de l'âme, art. 56 " L'amour et la haine ") mais des
passions qui semblent de prime abord aussi diverses que l'ambition, l'avarice,
l'alcoolisme, le viol, l'amour pour son ami, sa maîtresse ou ses enfants,
ne sont pas différentes espèces d'amour (Passions de l'âme,
art. 82, " Comment des passions fort différentes conviennent en
ce qu'elles participent de l'amour "). Ce qui fait poser cette question
à Ferdinand Alquié, le commentateur de Descartes : "Aime-t-on
de la même façon, et par un même sentiment, le vin, une femme
que l'on veut violer, et ses enfants ?"
Pourtant si on considère le plus souvent l'amour comme une passion, on
parle d'amour-passion et c'est un sentiment considéré comme très
destructif, on a du mal à considérer que tous les sentiments que
l'on peut éprouver pour les autres peuvent se réduire à
cet amour-passion. Alors, l'amour est-il seulement passion ?
- L'amour et la passion renvoient-ils tous les deux à la même chose
? Peut-on vraiment répondre à cette question car l'amour et la
passion ne renvoient-ils pas à des choses très personnelles ?
- En ce qui concerne le commentaire du sujet ne peut-on pas parler aussi d'un
homme qu'une femme veut violer ?
- Il semble que le commentaire du sujet parle plutôt de l'objet de l'amour
et le sujet de sa définition.
- Y a-t-il une différence de nature ou de degré entre les différentes
façons d'aimer ? Aime-t-on plus son épouse que du vin ? Ou aime-t-on
différemment son épouse et le vin ? Je ne vois pas la différence
si elle n'est que quantitative.
- Si on veut violer une femme n'est-ce pas qu'on ne l'aime pas ?
- On la considère donc comme un objet.
- On ne l'aime pas, on désire la violer, c'est plus bestial.
- Il faudrait peut-être définir les termes. La passion est toujours
vue comme quelque chose de négatif mais l'est-elle toujours ?
- Dans la langue française on utilise le même mot pour dire aimer
sa femme, la nourriture, etc... C'est peut-être les sentiments qui changent.
- C'est tout l'intérêt de la question du sujet.
- On a quand même l'impression que le terme passion voulait dire quelque
chose à l'époque de Descartes et qu'il ne nous dit presque plus
rien.
- Il me semble que l'intérêt de la philosophie pour la passion
a décliné mais se retrouve récupéré par la
science par exemple par le biologiste Jean-Didier Vincent qui a écrit
une Biologie des passions. La passion est d'abord une souffrance de l'âme
parce qu'elle est unie à un corps.
- Chez Fourrier le moteur de la passion n'est pas la souffrance. Fourrier n'était
pas très cartésien.
- Il semble que quand on aime on subit.
- On parle plus souvent de crime passionnel que d'amour passionnel.
- Descartes a une définition : lorsqu'on aime, par sa propre volonté
on peut ne faire qu'un. On se joint avec la chose et on ne fait plus qu'un avec
elle. Dans cette définition il n'y a pas la relation mère-enfant
ou femme-homme. Pour Descartes il ne s'agit pas d'amour lorsque c'est, par exemple,
le vin qui est en question.
- La passion est souffrance et passivité cela veut dire que l'on subit
lorsqu'on est passionné. Ne peut-on pas faire la distinction entre la
passion et l'amour en disant que la passion est passive et que l'amour est actif
?
- Quel est l'opposé de l'amour ? La haine, peut-être l'indifférence,
peut-être aussi que l'indifférence est la privation d'amour ou
de haine. Par contre qu'est-ce qui est opposé à passion ? Action.
Dans la passion qu'est ce qui est passif ? Et par rapport à quoi est-ce
passif ? Dans la passion c'est l'âme qui est passive, l'âme qui
devrait être active est passive parce que c'est le corps qui est actif.
Reste à se demander si l'amour peut se réduire à la passion.
- L'amour lorsqu'il est dirigé par la raison conduit à la connaissance.
Ce n'est pas une passion. Il y a une passion qui est reçue par le corps,
l'âme devient alors passive. De la passion venue du corps on peut passer
à la connaissance.
- La passion est donc mauvaise quand elle n'est pas connaissance.
- Il y a un moment où l'on est surpris, soit on devient passionné,
soit on se tourne vers la connaissance.
- L'amour c'est se joindre par la volonté.
- C'est très moraliste ça ! ha ha ha!
- On refuse de poser la passion comme mauvaise. Est-elle de l'ordre du bon ou
du mauvais ? N'est-ce pas seulement un fait "naturel" : on a des passions
parce qu'on a un corps ? Est-ce que chez Descartes on recherche la passion pour
elle-même ou pour avancer vers autre chose ?
- Les sens peuvent être très importants. On essaie toujours de
diminuer leur rôle.
- Les passions qui viennent du corps sont éprouvées par tout le
monde, par contre la passion intellectuelle n'est pas donnée à
tous. Descartes n'est pas moraliste mais élitiste. Dans l'union avec
l'objet que j'aime, la partie la plus importante n'est pas moi mais l'objet,
cela s'appelle pour Descartes la générosité. C'est une
façon de contrôler la passion. Par contre l'ivrogne n'aime pas
l'objet mais lui-même, la passion est incontrôlable.
- C'est difficile de parler de passions intellectuelles car Descartes semble
distinguer un sentiment passif, la passion, et un sentiment actif, l'amour.
Lorsque c'est intellectuel c'est de l'amour et ce n'est pas une passion.
- Quand on aime un homme ou une femme est-ce un amour-passion ?
- La passion est souffrance seulement lorsqu'on ne peut pas avoir ou qu'on perd
l'objet de notre amour.
- N'est-ce pas plutôt que la passion est différente de l'amour
? Car lorsqu'on est passionné et qu'on perd l'objet on souffre, alors
que lorsqu'on aime la perte de l'objet aimé n'engendre pas la souffrance.
- Quelle est la différence entre la souffrance du passionné lorsqu'il
est privé de l'objet de sa passion et l'état de manque du drogué
? L'amour-passion semble être un sentiment différent de la simple
passion.
- Ne faut-il pas parler d'une souffrance de l'âme plutôt que d'une
souffrance du corps lorsqu'il est question de passion ?
- Peut-être que la différence c'est qu'on peut apprendre l'amour
et pas la passion. La passion, contrairement à l'amour nous submerge
d'un seul coup.
- Pourquoi parle-t-on de passion par rapport à quelqu'un ? On peut aimer
la philosophie par exemple.
- L'amour de la philosophie ? N'est-ce pas plutôt la philosophie qui est
l'amour de la sagesse ?
- Kant ne s'est pas marié par amour de la philosophie !
- Ne perd-on pas le contrôle de soi-même lorsqu'on est passionné
?
- La passion ne serait-elle pas un amour incontrôlé ? A un moment
donné le raisonné disjoncte. Quand on devient amoureux au sens
passionnel on perd la raison et on devient idiot.
- La différence entre les différentes façons d'être
passionné est-ce une question de degré ou une question de nature
?
- Quand on est passionné par quelque chose on perd ses repères
naturels, lorsqu'on aime on peut encore faire ce que l'on veut.
- Est-ce que l'amour est une bonne chose ?
- L'amour peut devenir une passion mais pas tout le temps.
- Je sens ici un glissement. On parle maintenant de la passion par rapport à
un objet, ce n'est plus en rapport avec le corps.
- Pourquoi veux-tu que le corps intervienne ?
- Ca a été dit au début. La passion est une passion de
l'âme et l'âme est passive par rapport au corps auquel elle est
jointe lorsqu'il est actif. Ce dont on parle maintenant c'est de l'objet de
la passion, l'argent, le vin, sa maîtresse, son ami, son enfant. Je pense
que lorsqu'on aime quelqu'un comme on pourrait aimer l'argent ou le vin c'est
une passion et si on l'aime vraiment c'est de l'amour. En cela je suis d'accord
et pas d'accord avec Descartes. D'accord dans la différence qu'on peut
faire entre aimer le vin et aimer sa maîtresse. Pas d'accord dans le fait
qu'il y a pour moi une très nette différence entre la passion
et l'amour.
- Pour Descartes il y a les passions et dans ces passions il y a l'amour. L'amour
est une passion qui peut permettre le dépassement. Ce n'est pas quelque
chose qui dure, c'est dans l'instant. Il n'y a pas de négativité
dans la passion amoureuse. Dans le corps et dans l'âme il y a un mécanisme
de transmission, ce mécanisme n'est ni bon ni mauvais. Cette passion
peut entraîner la douleur, on peut essayer de la contrôler.
- Dans la Lettre à Chanut, Descartes se rend compte qu'il n'aimait pas
Françoise par amour mais par passion, à cause du fait qu'elle
louchait et cela a fait qu'il aimait, après, les filles à cause
de ce défaut. Il y a une connotation négative dans cette lettre
qui n'est pas dans Les Passions de l'âme, la passion rend aveugle alors
que l'amour éclaire.
- Tu as dit que la passion n'est ni bonne ni mauvaise, la haine est-elle alors
une bonne passion ?
- J'ai dit que la passion n'est ni bonne ni mauvaise, la haine n'est ni bonne
ni mauvaise, elle se ressent et je peux m'y laisser aller ou pas, je peux contrôler.
Pour Descartes c'est seulement l'homme qui se trompe dans son jugement.
- Est-ce que ça veut dire que les choses n'ont pas de valeur en elles-mêmes
mais qu'elles en ont par rapport à moi ?
- La haine n'est pas spécialement mauvaise. Elle pourrait, par exemple,
écarter ce qui n'est pas bon pour mon organisme. Il n'y a pas de morale
ici.
- Il y a tout de même une hiérarchie des passions.
- L'origine de l'amour apparaît dans le ventre de la mère. L'âme
est unie au corps dans l'embryon. La passion d'amour vient du fait que l'embryon
reçoit de bons éléments, la haine vient du fait qu'il reçoit
de mauvais éléments.
- Dans l'amour il y a un choix.
- Y a-t-il véritablement un choix ?
- Si quand tu étais gamin tu as mangé des aliments épicés,
tu aimeras plus tard les aliments épicés. De même si j'aime
une personne c'est par rapport à mon passé.
- L'individu se structure dans le regard de l'autre (Stade du miroir de Lacan).
- Descartes ne parle pas vraiment d'inconscient, est-ce que ce n'est pas le
corps qui tient lieu d'inconscient pour lui ? On a dit que chez Descartes il
y avait passion de l'âme lorsqu'elle est passive et que le corps était
actif, ne peut-on pas penser que chez Freud l'âme et le corps sont remplacés
par le conscient et l'inconscient ? La passion serait lorsque le conscient est
passif et l'inconscient actif. Pour Freud le choix de l'objet actuel est déterminé
par un objet du passé (la mère en général) et on
ne pourra choisir l'objet actuel qu'en référence à l'objet
passé (complexe d'Oedipe), il écrit quelque part "l'avenir
du couple reste mal assuré tant que la femme n'a pas réussi à
transformer son mari en son enfant". Par contre, si c'est la même
chose pour Descartes (la fille qui louche), on peut y faire réflexion
et se rendre compte qu'on n'aime pas vraiment la personne, que c'est une passion,
et il laisse ouverte la possibilité d'une façon d'aimer qui ne
serait pas passionnée.
- Le corps a-t-il autant d'importance sur notre être ?
- La passion chez Descartes c'est lorsqu'on laisse son corps agir à sa
place.
- Après Descartes il y a eu Nietzsche, pour lui c'était la volonté
qui entraînait la passion.
- Si l'âme est passive, comment se fait-il qu'elle prenne le pas sur le
corps ?
- J'ai des impressions dans mon cerveau qui viennent des rencontres qu'on a
eues. Mais je peux vouloir d'autres choses que la personne qui est en face de
moi. C'est l'âme qui gouverne alors le corps. Mon âme peut activer
d'autres plis, l'âme peut vouloir diriger son corps.
- Y a-t-il des choses qui peuvent convenir à la fois au corps et à
l'âme ?
- Cela apparaît comme un combat et le but de ce combat c'est que les deux
marchent en harmonie.
- Avec Freud je me demande comment on peut s'en sortir, le choix de l'objet
d'amour présent est déterminé par des objets passés.
Avec Descartes on a la possibilité du choix de l'objet d'amour présent.
- La passion nous fait-elle du bien ?
- L'amour absolu est-ce la passion ?
- La passion est quelque chose dont il faut se défaire. En général
on considère que la passion est quelque chose de très fort qui
nous fait vivre et que l'amour est un sentiment modéré plutôt
tiède. Pour moi c'est tout le contraire la passion est un amour qui est
déterminé par un objet du passé, on n'aime pas vraiment
la personne qu'on aime lorsqu'on est passionné on aime plutôt son
propre passé. L'amour n'existe que lorsqu'on aime la personne pour elle-même.
C'est quelque chose de très fort et ça demande qu'on ait éliminé
la passion parasite.
- Le coup de foudre peut-il être exprimé par la raison ?
- Entre l'amour faux de l'ivrogne et l'amour d'un père pour son enfant
il y a une grande différence qui est le respect de la liberté
de l'autre. Dans la passion je ne me soucie pas du bonheur ou de la liberté
d'autrui.
- Ecrit-on "JE t'aime ou je T'aime" ? Ne s'aime-t-on pas plus que
l'on aime autrui ?
- La passion peut s'infiltrer par exemple dans l'amour pour son enfant, on peut
battre son enfant par amour.
- Difficile à admettre, autre exemple, les femmes qui se font battre
n'ont pas le choix, elles ne sont tout de même pas masochistes.
- Vous prétendez que la passion est à sens unique. La passion
c'est souffrir soi-même mais aussi faire souffrir l'autre.
- N'a-t-on pas ici une distinction entre la passion et l'amour ? La passion
serait souffrir soi-même et l'amour souffrir à deux.
- En ce qui concerne le "JE t'aime ou je T'aime", le premier ne renvoie-t-il
pas à la passion et le second à l'amour ? la passion n'est-ce
pas vouloir être aimé et l'amour vouloir aimer ?
- Il y aurait de l'amour objectif et de l'amour subjectif ?
- L'amour est forcément subjectif. On aime, on se passionne pour soi.
La passion est une chose qui transcende l'âme. La passion ne sera jamais
contrôlable. La passion est un moteur de la vie, dans une vie banale la
passion va tout transformer.
- Certaines passions (par exemple la gloire et les honneurs) sont des moteurs
de progression de l'individu et de la société (exemple César).
- Pour un seul César combien se sont faits avoir par une telle façon
de voir les choses ?
- César n'est pas né n'importe où. Je ne crois pas que
ce qu'il a fait vient de la passion. On doit calculer pour avancer et avoir
ce qui pourra nous élever. Cela exige aussi que l'on écrase les
autres.
- Pierre et Marie Curie étaient des passionnés et pourtant ils
n'essayaient pas d'écraser les autres !
- "Rien de grand ne s'est fait dans le monde sans passion" (Hegel).
Comme le monde n'est pas encore rationnel la raison utilise la passion pour
ses propres fins, c'est la ruse de la raison.
- Pour qu'il y ait passion il faut rechercher un objet qu'on ne peut pas atteindre.
- En ce qui concerne le "JE t'aime ou je T'aime", même si c'est
un JE, je ne peux pas faire abstraction du t'. Dans l'amour je cherche le bien
de l'autre mais il faut bien qu'en contrepartie l'autre m'aime, à partir
de ce moment-là ce n'est plus un Je ou un Tu mais un Nous. L'amour n'est
pas ramené à soi mais à nous, dans je t'aime il faut deux
moteurs.
- Si on revient à la passion de Napoléon par exemple, il n'y a
plus de toi.
- Napoléon n'a pas conquis l'Europe par amour.
- La passion est un amour inassouvi.
- A force d'utiliser l'amour et la passion à tort et à travers,
les deux termes se vident de leurs sens.
- Le problème aujourd'hui c'est que la passion ne veut plus rien dire.
Lorsqu'on dit qu'on est passionné pour quelque chose ça n'a plus
le sens qui était donné par Descartes par exemple.
- La passion a-t-elle encore un sens aujourd'hui ?
- Dans la passion il y a de la transgression. Quand on parle de passion c'est
de l'amour avec quelque chose en plus. La passion ajoute quelque chose en plus.
Il y a une recherche de la passion parce qu'il y a une recherche de la transgression.
L'amour est quelque chose de codé. La passion est occultée parce
qu'elle amène à une plus grande souffrance qui est la mort et
la mort est aujourd'hui occultée. Quand on parle des grands hommes, ils
ont transgressé le pouvoir établi.
- La première passion est celle de l'amour du Christ qui est mort sur
la croix, je ne pense pas qu'il était pervers.
- Le passionné n'est peut-être pas seulement un pervers (qui a
une sexualité très partielle) mais un jouisseur polymorphe.
- Chez Descartes la passion bonne est la passion raisonnée. Ce qu'on
transgresse dans la passion ce sont les normes sociales. La passion montre alors
que les normes sociales sont relatives. le passionné est celui qui bouscule
les normes sociales.
- Le mariage est une sorte de normalisation de la passion mais il est devenu
totalement désuet.
- Je ne pense pas que le mariage soit une normalisation de la passion.
- ...