Itinéraire d'une jeunesse perdue

Rien n'est plus étonnant à l'heure actuelle que la condition étudiante.Pour beaucoup de jeunes ayant le bac en poche, l'université apparait comme l'endroit où l'on peut parvenir à réaliser ses rêves. Le choix des disciplines enseignées est très vaste, ce qui laisse supposer que tout un chacun devrait y trouver son compte.Pourtant, si le dépaysement est assuré, dans bien des cas la déception ne tarde pas à suivre.

Dès les premiers jours de cours le nouvel étudiant doit faire face à la meute de ses semblables venus, eux aussi, dans l'espoir d'obtenir un diplôme, ou plus simplement avec l'idée de passer une ou plusieurs années tranquilles, loin des parents et proche des amis. Il doit aussi compter avec des locaux souvent vétustes, une administration dépassée depuis longtemps par les évènements et aucunement désireuse d'améliorer ses points faibles. En effet, pour tout nouvel étudiant désirant s'inscrire, une chasse aux renseignements commence. Il est souvent difficile, voire impossible, de savoir de quelles matières sont constitués les modules. Les secrétaires sont surchargées de travail, les tuteurs sont la plupart du temps débordés ou incapables de répondre à la question posée et les professeurs sont rarement disponibles. Une fois le module choisi, souvent au hasard, l'étudiant doit accepter le risque de travailler pour rien ; car depuis la réforme Balladur sur l'enseignement supérieur, il est impossible de conserver les notes supérieures à la moyenne obtenues dans les blocs d'enseignement si la moyenne totale du module est inférieure à la moyenne. Par exemple, si un étudiant obtient la note de 12/20 en psychologie générale et la note de 13/20 en psychologie clinique mais que la note globale du module est de seulement 9.80/20 il devra repasser l'ensemble du module à la prochaine session. De plus, il est depuis peu impossible de repasser un module échoué en première année au cours de la deuxième année comme ceci était le cas auparavant. (jusqu'à la rentrée 1996.)
Tout ceci pourrait encore s'oublier si seulement l'enseignement était de qualité. Mais ne cherchez pas Robin Williams dans les universités françaises, la morosité qui y règne n'est pas à son goût. Il n'est pas question ici de penser par soi-même, pas question non plus d'apprendre à raisonner. La plupart de enseignants se posent comme des exégètes en leur matière.
La philosophie par exemple, y est enseignée au travers des commentaires. L'étudiant ne trouvera pas d'approche subjective de l'oeuvre. Si la philosophie est l'amour de la sagesse, alors c'est de la sagesse du professeur que l'on doit se contenter dans une faculté de philosophie.
Au niveau de la psychologie, c'est la question de l'enseignement de la psychanalyse qui est depuis longtemps à l'ordre du jour. En effet, si celle-ci est, dans la grande majorité des universités, associée à l'enseignement de la clinique, il faut noter que certains professeurs font l'impasse sur Lacan et Jung alors que l'apport de leur méthode à l'analyse est considérable.
Enfin, il faut noter que le gros défaut de toutes les facultés est de ne pas prévoir un partenariat avec les professionnels de la discipline étudiée. Pourquoi un étudiant en droit doit-il attendre d'obtenir sa maîtrise pour faire un stage chez un avocat ? Pour rester dans le domaine du droit je me contenterai de citer un professeur de droit civil qui répondait ainsi à l'une de mes questions : "Un étudiant a toujours tort, même quand il a raison." Je crois que ceci reflète assez bien la mentalité qui peut régner dans les universités françaises.
Le terme d'enseignement me parait cependant mal approprié en ce qui concerne les universités. Il faudrait plutôt parler de cathéchisme tant la part donnée à l'interprétation personnelle est faible. Il est dit dans le dictionnaire que l'enseignement doit être basé sur l'expérience. Pourtant, la plupart des professeurs préfèrent laisser de côté l'enseignement empirique au profit d'un enseignement essentiellement théorique.
Or cette façon d'enseigner ressemble à du conditionnement pavlovien.
L'étudiant doit bachoter et surtout ne pas penser, car un individu qui pense est un individu potentiellement dangereux. Il semble que nous soyons repartis au temps de la scolastique. Celle-ci fut pourtant fortement décriée en particulier par René Descartes dans ses Méditations Métaphysiques (1641). Vingt ans auparant, le philosophe et chancelier Francis Bacon critiquait violemment cette même scolastique dans ses traités Instauratio Magna et Novum Organum et instaurait la méthode inductive basée sur l'expérience. Quelques siécles plus tôt (XIIIème siècle), c'est un moine franciscain, Roger Bacon, qui, au travers de son oeuvre, Opus majus, Opus minus, Opus tertium, discréditait déjà cette méthode.

Après que tant et tant d'auteurs illustres se soient penchés sur cette méthode et en aient désapprouvé la structure, comment peut-on se satisfaire à l'aube de l'an 2000 qu'un clône de la scolastique vienne à nouveau détruire l'enseignement ?
La faute en incombe-t-elle seulement aux professeurs ?
Il semble que les étudiants en soient pour partie responsables. En effet ceux-ci, dans une grande majorité, semblent se contenter de ce qu'on leur offre sans chercher à aller plus loin, vers une culture personnelle gage d'un véritable esprit critique.

Il faut noter que cet esprit critique n'est pas vu d'un bon oeil par le corps enseignant qui manifeste par là qu'il est lui-même prisonnier du système ; un système qui n'admet pas que l'on bouscule l'ordre établi.
A travers cet ordre, c'est le principe même de la démocratie qui est mis à mal.
En effet, il est plus facile à un Etat de gouverner une nation constituée de gens simples, qui ne se poseront pas de questions jugées plus ou moins embarrassantes par nos dirigeants. Un véritable intellectuel sera plus sensible à la manipulation dont nous sommes victimes qu'un individu formé, conditionné par l'enseignement actuel.
L'université est censée former les futurs intellectuels de la nation. Est-il par conséquent possible de parler d'intellectuallisme lorsque diplôme rime avec bachotage ? Pour illustrer ce passage, je me contenterai de rappeler que la réforme de la sécurité sociale a été votée en octobre dernier par seulement 178 députés sur les 500 élus sans que la population n'en soit choquée outre mesure, pourtant le fonctionnement des institutions est enseigné en faculté de droit. Il aurait donc été logique que la population étudiante, touchée en partie par cette réforme il faut le rappeler, réagisse en masse face à une telle nouvelle. Contre toute attente, il n'en a rien été. A cela une raison : le conditionnement politique des étudiants en droit.
Tout le monde sait en effet qu'il vaut mieux être du côté du plus fort pour progresser, or qu'y a-t-il de plus important que de progresser dans un milieu arriviste?
En effet, les facultés de droit recoivent une majorité d'étudiants issus des classes sociales favorisées. Or lorsque l'on appartient à une catégorie sociale privilègiée, il faut savoir s'y comporter en digne membre même si cela doit nuire à long terme à l'ensemble de la population et discréditer la dite classe sociale.

Si l'on veut qu'un enseignement de qualité réintègre l'université, c'est aux étudiants et aux professeurs de rejeter le système actuel et de militer pour une profonde réforme. Celle-ci doit commencer par soi-même car il est du devoir de chacun, par sa propre introspection, de participer au renouveau d'une société.
Il reste maintenant aux jeunes à refuser de se retrouver dans des facultés poubelles considérées par les classes sociales les plus élevées comme les grandes écoles des pauvres. Les bons diplômes générant les métiers les plus valorisants, souvent avec beaucoup de responsabilités, il est inacceptable que les plus riches aient un accès au pouvoir quasi-certain ; car en examinant la situation politique actuelle, il semble bien que depuis 1789 les privilèges n'aient pas disparu mais simplement changé de mains.
Or il faut rappeler qu'un des principes de bases de l'Education Nationale est d'offrir un enseignement de qualité même aux plus démunis. Si rien n'est fait à temps pour améliorer la situation actuelle, on peut être certain que dans quelques années, l'oeil de "Big Brother" régnera en maître sur notre pays. En guise de conclusion et pour paraphraser Frobenius*, je dirai que l'homme moderne doit redevenir l'homo divinans, l'imaginateur intuitif, qu'il était dans le passé pour que son évolution se continue d'une manière positive, et c'est principalement en rejetant l'exégèse et en réfléchissant davantage par soi-même que l'on y parviendra.?
*Frobenius, Léo (1873-1938) : ethnologue allemand.

 

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