Editorial
Les dialogues menés par Socrate dans l'Athènes antique se caractérisaient
par un certain nombre d'éléments qui les rendent uniques dans
l'Histoire. Les interlocuteurs de Socrate et Socrate lui-même avaient
une volonté commune de recherche de la Vérité par le dialogue
et à partir des opinions de chacun. Le savoir était équitablement
réparti parmi les participants. Socrate disait bien lui-même qu'il
n'en savait pas plus que ses amis. La force des dialogues tenait aussi dans
la suspension de toutes les valeurs propres à chacun, au profit d'une
seule: celle de la Vérité. Bien entendu, cette Vérité,
Platon -disciple de Socrate- la place dans le monde des Idées, c'est
à dire en dehors de la caverne où sont enchaînés
les Hommes, et donc en dehors du dialogue. C'est au sein de cette caverne que
Socrate va amener ses interlocuteurs à se contredire sur leurs opinions.
En effet, les opinions se définissent par deux traits: d'une part pour
celui qui énonce l'opinion, celle-ci lui paraît être la vérité
et d'autre part toutes les opinions ont la même valeur de fausseté
et donc se valent toutes. Ainsi dans le dialogue, lorsque l'on dit sa pensée,
on accepte du même coup de rentrer dans une controverse avec ses interlocuteurs,
car l'opinion ne s'impose pas d'elle-même. Et c'est justement à
partir de ce principe que Socrate fait débuter ses dialogues. La recherche
de la vérité commence toujours au fond de la caverne de Platon.
Socrate par ses interrogations, amène chacun à se contredire et
les dialogues finissent souvent par une aporie. Les interlocuteurs de Socrate
ont perdu leurs opinions originelles, mais ne savent plus quoi penser; ils sont
en quelque sorte libérés de leurs chaînes, mais n'osent
pas entreprendre leur ascension vers le monde des Idées. Le dialogue
se termine donc par l'abandon des préjugés et par une promesse
de découverte des Idées en soi par la Philosophie.
Les débats philosophiques que nous menons au Gil'Bar ne pourraient être
comparés aux dialogues socratiques. Personne ne prétend être
Socrate aujourd'hui, et la conception philosophique de la Vérité
a beaucoup évolué depuis Platon. Cependant, nos débats
débutent aussi par des opinions et nous essayons ensemble d'en sortir
en les confrontant. Finalement, nous obtenons des ébauches de réponses
à suivre afin de pouvoir ensuite établir des conclusions personnelles.
Mais ce qui est également intéressant à remarquer dans
les débats, c'est qu'ils révèlent parfois le fond de notre
pensée, parce qu'ils nous y contraignent. En effet, les opinions se valent
toutes et ont également cette prétention à l'universalité,
mais au cours du débat il peut apparaitre la volonté d'en sortir,
et non pas en abandonner une pour en prendre une autre. De ce point de vue,
le débat paraît comme une épreuve intellectuelle qu'il faut
surmonter: quitter ses opinions pour quelque chose de moins confortable, de
l'incertitude. On peut sortir du débat inquiet et non en s'étant
révélé dans de nouvelles opinions. Pour cela, nous devons
accepter ensemble une issue pour nous désenchaîner du monde de
l'apparence dont parle Platon dans son allégorie du mythe de la caverne.
Ainsi, appuyons nous sur l'exemple des dialogues socratiques et de cette volonté
commune des participants de faire table rase de leurs valeurs au profit d'une
recherche dans la direction de la Vérité.
S. F. ( Rédacteur en chef rétrogradé )