Textes
Albert Camus,
Réflexions sur la guillotine
"Peu avant la guerre de 1914, un assassin dont le crime était particulièrement
révoltant (il avait massacré une famille de fermiers avec leurs
enfants) fut condamné à mort en Alger. Il s'agissait d'un ouvrier
agricole qui avait tué dans une sorte de délire du sang, mais
avait aggravé son cas en volant ses victimes.
L'affaire eut un grand retentissement. On estima généralement
que la décapitation était une peine trop douce pour un pareil
monstre. Telle fut, m'a-t-on dit, l'opinion de mon père que le meurtre
des enfants, en particulier, avait indigné. L'une des rares choses que
je sache de lui, en tout cas, est qu'il voulut assister à l'exécution,
pour la première fois de sa vie. Il se leva dans la nuit pour se rendre
sur les lieux du supplice, à l'autre bout de la ville, au milieu d'un
grand concours de peuple. Ce qu'il vit, ce matin-là, il n'en dit rien
à personne. Ma mère raconte seulement qu'il rentra en coup de
vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s'étendit un moment
sur le lit et se mit tout d'un coup à vomir. Il venait de découvrir
la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la
masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus
penser qu'à ce corps pantelant qu'on venait de jeter sur une planche
pour lui couper le cou.
Il faut croire que cet acte rituel est bien horrible pour arriver à vaincre
l'indignation d'un homme simple et droit et pour qu'un châtiment qu'il
estimait cent fois mérité n'ait eu finalement d'autre effet que
de lui retourner le cur. Quand la suprême justice donne seulement
à vomir à l'honnête homme qu'elle est censée protéger,
il parait difficile de soutenir qu'elle est destinée, comme ce devrait
être sa fonction, à apporter plus de paix et d'ordre dans la cité."
(Albert Camus [1913-1960], " Réflexions sur la guillotine "
in Albert Camus, Alfred Koestler, Réflexions sur la peine capitale, Agora/Calmann-Levy,
1979, pp. 121-122.)
Michel Foucault,
Surveiller et punir
"Damiens avait été condamné, le 2 mars 1757, à
" faire amende honorable devant la principale porte de l'Eglise de Paris
", où il devait être " mené et conduit dans un
tombereau, nu, en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux
livres ", puis, " dans le dit tombereau, à la place de Grève,
et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles,
bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau
dont il a commis le dit parricide, brûlée de feu de soufre, et
sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu,
de l'huile bouillant, de la poix résine brûlante, de la cire et
soufre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à
quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits
en cendres et ses cendres jetées au vent ".1
" Enfin on l'écartela, raconte la Gazette d'Amsterdam2. Cette dernière
opération fut très longue, parce que les chevaux dont on se servait
n'étaient pas accoutumés à tirer ; en sorte qu'au lieu
de quatre, il en fallu mettre six ; et cela ne suffisant pas encore , on fut
obligé pour démembrer les cuisses du malheureux, de lui couper
les nerfs et de lui hacher les jointures...
" On assure que quoiqu'il eût toujours été grand jureur,
il ne lui échappa aucun blasphème ; seulement les excessives douleurs
qui lui faisaient pousser d'horribles cris et souvent il répéta
: " Mon Dieu, ayez pitié de moi ; Jésus, secourez-moi. Les
spectateurs furent très édifiés de la sollicitude du curé
de Saint-Paul qui malgré son grand âge ne perdait aucun moment
pour consoler le patient."
Et l'exempt Bouton : " On a allumé le soufre, mais le feu était
si médiocre que la peau du dessus de la main seulement n'en a été
que fort peu endommagée. Ensuite un exécuteur, les manches troussées
jusqu'au-dessus des coudes, a pris des tenailles d'acier faites exprès,
d'environ un pied et demi de long, l'a tenaillé d'abord au gras de la
jambe droite, puis à la cuisse, de là aux deux parties du gras
du bras droit ; ensuite aux mamelles. Cet exécuteur quoique fort et robuste
a eu beaucoup de peine à arracher les pièces de chair qu'il prenait
dans ses tenailles deux ou trois fois du même côté en tordant,
et ce qu'il en emportait formait à chaque partie une plaie de la grandeur
d'un écu de six livres.
" Après ces tenaillements, Damiens qui criait beaucoup sans cependant
jurer, levait la tête et se regardait ; le même tenailleur a pris
avec une cuillère de fer dans la marmite de cette drogue toute bouillante
qu'il a jetée en profusion sur chaque plaie. Ensuite, on a attaché
avec des cordages menus les cordages destinés à atteler aux chevaux,
puis les chevaux attelés dessus à chaque membre le long des cuisses,
jambes et bras.
" Le sieur Le Breton, greffier, s'est approché plusieurs fois du
patient, pour lui demander s'il avait quelque chose à dire. A dit que
non ; il criait comme on dépeint les damnés, rien n'est à
le dire, à chaque tourment : "Pardon, mon Dieu! Pardon Seigneur."
Malgré toutes ces souffrances ci-dessus, il levait de temps en temps
la tête et se regardait hardiment. Les cordages si fort serrés
par les hommes qui tiraient les bouts lui faisaient souffrir des maux inexprimables.
Le sieur Le Breton s'est encore approché de lui et lui a demandé
s'il ne voulait rien dire ; a dit non. Les confesseurs se sont approchés
à plusieurs et lui ont parlé longtemps ; il baisait de bon gré
le crucifix qu'ils lui présentaient; il allongeait les lèvres
et disait toujours : "Pardon, Seigneur."
" Les chevaux ont donné un coup de collier, tirant chacun un membre
en droiture, chaque cheval tenu par un exécuteur. Un quart d'heure après,
même cérémonie, et enfin après plusieurs reprises
on a été obligé de faire tirer les chevaux, savoir : ceux
du bras droit à la tête, ceux des cuisses en retournant du côté
des bras, ce qui lui a rompu les bras aux jointures. Ces tiraillements ont été
répétés plusieurs fois sans réussite. Il levait
la tête et se regardait. On a été obligé de remettre
deux chevaux, devant ceux attelés aux cuisses, ce qui faisait six chevaux.
Point de réussite.
" Enfin l'exécuteur Samson a été dire au sieur Le
Breton qu'il n'y avait pas de moyen ni espérance d'en venir à
bout, et lui dit de demander à Messieurs s'ils voulaient qu'il le fit
couper en morceaux. Le sieur Le Breton, descendu de la ville a donné
ordre de faire de nouveaux efforts, ce qui a été fait ; mais les
chevaux se sont rebutés et un de ceux attelés aux cuisses est
tombé sur le pavé. Les confesseurs revenus lui ont parlé
encore. Il leur disait (je l'ai entendu) : "Baisez-moi, Messieurs."
Le sieur curé de Saint-Paul n'ayant osé, le sieur de Marsilly
a passé sous la corde du bras gauche et l'a été baiser
sur le front. Les exécuteurs s'unirent entre eux et Damiens leur disait
de ne pas jurer, de faire leur métier, qu'il ne leur en voulait pas ;
les priait de prier Dieu pour lui, et recommandait au curé de Saint-Paul
de prier pour lui à la première messe.
" Après deux ou trois tentatives, l'exécuteur Samson et celui
qui l'avait tenaillé ont tiré chacun un couteau de leur poche
et ont coupé les cuisses au défaut du tronc du corps, les quatre
chevaux étant à plein collier ont emporté les deux cuisses
après eux, savoir : celle du côté droit la première,
l'autre ensuite; ensuite en a été fait autant aux bras et à
l'endroit des épaules et aisselles et aux quatre parties ; il a fallu
couper les chairs jusque presque aux os, les chevaux tirant à plein collier
ont remporté le bras droit le premier et l'autre après.
" Ces quatre parties retirées, les confesseurs sont descendus pour
lui parler ; mais son exécuteur leur a dit qu'il était mort, quoique
la vérité était que je voyais l'homme s'agiter, et la mâchoire
inférieure aller et venir comme s'il parlait. L'un des exécuteurs
a même dit peu après que lorsqu'ils avaient relevé le tronc
du corps pour le jeter sur le bûcher, il était encore vivant. Les
quatre membres détachés des cordages des chevaux ont été
jetés sur un bûcher préparé dans l'enceinte en ligne
droite de l'échafaud, puis le tronc et le tout ont été
ensuite couverts de bûches et de fagots, et le feu mis dans la paille
mêlée à ce bois.
" ... En exécution de l'arrêt, le tout a été
réduit en cendres. Le dernier morceau trouvé dans les braises
n'a été fini d'être consumé qu'à dix heures
et demie et plus du soir. Les pièces de chair et le tronc ont été
environ quatre heures à brûler. Les officiers au nombre desquels
j'étais, ainsi que mon fils, avec des archers par forme de détachement
sommes restés sur la place jusqu'à près de onze heures.
" On veut tirer des conséquences sur ce qu'un chien s'était
couché le lendemain sur le pré où avait été
le foyer, en avait été chassé à plusieurs reprises,
y revenant toujours. Mais il n'est pas difficile de comprendre que cet animal
trouvait cette place plus chaude qu'ailleurs."3 (Michel Foucault, Surveiller
et punir, Tel-Gallimard, p. 10-12).)
Henri Bergson,
Les Deux Sources de la morale et de la religion
"Le souvenir du fruit défendu est ce qu'il y a de plus ancien dans
la mémoire de chacun de nous, comme dans celle de l'humanité.
Nous ne nous en apercevrions si ce souvenir n'était recouvert par d'autres,
auxquels nous préférons nous reporter. Que n'eût pas été
notre enfance si l'on nous avait laissés faire ? Nous aurions volé
de plaisirs en plaisirs. Mais voici qu'un obstacle surgissait, ni visible ni
tangible : une interdiction. Pourquoi obéissions-nous ? La question ne
se posait guère ; nous avions pris l'habitude d'écouter nos parents
et nos maîtres.
Toutefois nous sentions bien que c'était parce qu'ils étaient
nos parents, parce qu'ils étaient nos maîtres. Donc, à nos
yeux, leur autorité leur venait moins d'eux-mêmes que de leur situation
par rapport à nous. Ils occupaient une certaine place : c'est de là
que partait, avec une force de pénétration qu'il n'aurait pas
eue s'il avait été lancé d'ailleurs, le commandement. En
d'autres termes, parents et maîtres semblaient agir par délégation.
Nous ne nous en rendions pas nettement compte, mais derrière nos parents
et nos maîtres nous devinions quelque chose d'énorme ou plutôt
d'indéfini, qui pesait sur nous de toute sa masse par leur intermédiaire.
Nous dirions plus tard que c'est la société." (Henri Bergson,
Les Deux Sources de la morale et de la religion, P.Il.F. (1932), p. 1.)
Lévinas,
Ethique et Infini
Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un
acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de
tuer.
Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu'autrui,
dans la rectitude de son visage, n'est pas un personnage dans un contexte.
(...) Au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c'est toi. En
ce sens, on peut dire que le visage n'est pas " vu ". Il est ce qui
ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l'incontenable,
il vous mène au-delà.
Mais la relation au visage est d'emblée éthique. Le visage est
ce qu'on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire :
" tu ne tueras point ". Le meurtre, il est vrai, est un fait banal
: on peut tuer autrui ; l'exigence éthique n'est pas une nécessité
ontologique. L'interdiction de tuer ne rend pas le meurtre impossible, même
si l'autorité de l'interdit se maintient dans la mauvaise conscience
du mal accompli - malignité du mal (... ). J'analyse la relation inter-humaine
comme si, dans la proximité avec autrui - par delà l'image que
je me fais de l'autre homme - son visage, l'expressif en autrui (et tout le
corps humain est, en ce sens, plus ou moins, visage), était ce qui m'ordonne
de le servir (...).
En ce sens, je suis responsable d'autrui sans attendre la réciproque,
dut-il m'en coûter la vie. La réciproque, c'est son affaire. C'est
précisément dans la mesure où entre autrui et moi la relation
n'est pas réciproque, que je suis sujétion à autrui ; et
je suis " sujet " essentiellement en ce sens. C'est moi qui supporte
tout. Vous connaissez cette phrase de Dostoïevski : " Nous sommes
tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres. "
Non pas à cause de telle ou telle culpabilité effectivement mienne,
à cause de fautes que j'aurais commises ; mais parce que je suis responsable
d'une responsabilité totale, qui répond de tous les autres et
de tout chez les autres, même de leur responsabilité.
Le moi a toujours une responsabilité de plus que tous les autres. (Ethique
et Infini, Fayard, 1982, p. 106.)
Sade,
" Français, encore un effort ",
in La philosophie dans le boudoir
"Quelle science humaine a plus besoin de se soutenir par le meurtre que
celle qui ne tend qu'à tromper, qui n'a pour but que l'accroissement
d'une nation aux dépens d'une autre ? Les guerres, uniques fruits de
cette barbare politique, sont-elles autre chose que les moyens dont elle se
nourrit, dont elle se fortifie, dont elle s'étaie ? Et qu'est-ce que
la guerre, sinon la science de détruire ? Etrange aveuglement de l'homme,
qui enseigne publiquement l'art de tuer, qui récompense celui qui y réussit
le mieux et qui punit celui qui, pour une cause particulière, s'est défait
de son ennemi ! N'est-il pas temps de revenir sur des erreurs si barbares ?
Enfin, le meurtre est-il un crime contre la société ? Qui put,
jamais l'imaginer raisonnablement ? Ah ! qu'importe à cette nombreuse
société qu'il y a parmi elle un membre de plus ou de moins ? Ses
lois, ses murs, ses coutumes en seront-elles viciées ? Jamais la
mort d'un individu influa-t-elle sur la masse générale ? Et après
la perte de la plus grande bataille, que dis-je ? Après l'extinction
de la moitié du monde, de sa totalité, si l'on veut, le petit
nombre d'êtres qui pourrait survivre éprouverait-il la moindre
altération matérielle ? Hélas ! non. La nature entière
n'en éprouverait pas d'avantage, et le sot orgueil de l'homme, qui croit
que tout est fait pour lui, serait bien étonné, après la
destruction totale de l'espèce humaine, s'il voyait que rien ne varie
dans la nature et que le cours des astres n'en est seulement pas retardé.
Poursuivons.
Comment le meurtre doit-il être vu dans un état guerrier et républicain
?
Il serait assurément du plus grand danger, ou de jeter de la défaveur
sur cette action, ou de la punir. La fierté du républicain demande
un peu de férocité ; s'il s'amollit, si son énergie se
perd, il sera bientôt subjugué.
Une très singulière réflexion se présente ici, mais,
comme elle est vraie malgré sa hardiesse, je la dirai. Une nation qui
commence à se gouverner en république ne se soutiendra que par
des vertus, parce que, pour arriver au plus, il faut toujours débuter
par le moins ; mais une nation déjà vieille et corrompue qui,
courageusement, secouera le joug de son gouvernement monarchique pour en adopter
un républicain, ne se maintiendra que par beaucoup de crimes ; car elle
est déjà dans le crime, et si elle voulait passer du crime à
la vertu, c'est-à-dire d'un état violent dans un état doux,
elle tomberait dans une inertie dont sa ruine certaine serait bientôt
le résultat." (Sade, " Français, encore un effort ",
in La philosophie dans le boudoir [1795]. J.J. Pauvert, 1972)
Saint Augustin,
Les Confessions
"Misère ! Qu'ai-je donc aimé en toi, à mon larcin,
crime nocturne de mes seize ans ? Tu n'étais pas beau, étant un
larcin. As-tu même une existence réelle pour que je t'interpelle
? Ce qui était plus beau, c'étaient ces fruits que nous dérobâmes,
car ils étaient votre uvre à vous, suprême Beauté,
Créateur de toutes choses, Dieu bon, Dieu souverain Bien et mon Bien
véritable ; certes, ils étaient beaux, ces fruits, mais ce n'était
pas eux que convoitait mon cur misérable. J'en avais de meilleurs
en grand nombre ; je ne les ai donc cueillis que pour voler. Car aussitôt
cueillis, je les jetai loin de moi, me nourrissant de ma seule iniquité,
dont la saveur m'était délicieuse. S'il entra un peu de ces fruits
dans ma bouche, c'est ma faute qui fit leur saveur.
Et maintenant, Seigneur mon Dieu, je cherche ce qui m'a pu charmer dans ce larcin.
Il était sans beauté. Je ne parle pas de cette beauté qui
réside dans la justice et la prudence ; ni de celle qui est dans l'esprit
de l'homme, la mémoire, les sens, la vie végétative ; ni
de celle qui brille au front des astres et pare leurs révolutions, ni
de la beauté de la terre et de la mer, foisonnantes d'êtres vivants
qui forment une suite continuelle de générations ; ni même
de cette apparence de beauté dont s'ombragent les mensonges du vice (...).
C'est ainsi que l'âme se fait adultère, quand elle se détourne
de vous et cherche hors de vous ce qu'elle ne trouve, pur et sans mélange,
qu'en revenant à vous. Ils vous imitent tout de travers tous ceux qui
s'éloignent de vous et s'élèvent contre vous. Mais même
en vous imitant ainsi, ils font voir que vous êtes le Créateur
de l'univers, et que, pour cette raison, il est impossible de se séparer
tout à fait de vous.
Qu'ai-je donc aimé dans ce larcin, et en moi ai-je imité mon Seigneur,
même d'une manière criminelle et fausse ? Me suis-je plu à
transgresser votre loi par la ruse, ne pouvant le faire par la force ? Esclave,
ai-je affecté une liberté mutilée en faisant impunément,
par une ténébreuse contrefaçon de votre toute-puissance,
ce qui m'était défendu ? Voilà " cet esclave qui fuit
son maître et qui recherche l'ombre ". O corruption ! ô vie
monstrueuse ! ô abîme de mort ! Ai-je pu prendre plaisir à
ce qui n'était pas licite pour la seule raison que ce n'était
pas licite ?" (Saint Augustin, Les Confessions, Livre Il, chap. VI, trad.
J. Trabucco, Garnier-Flammarion, 1978, pp. 44-46.)
Platon,
Protagoras
"En ce qui me concerne, je suis bien près de penser que personne,
parmi les sages, ne pense qu'aucun homme se trompe de son plein gré,
ou accomplisse rien de honteux et de mauvais de son plein gré ; car ils
savent bien que tous ceux qui accomplissent des actions honteuses et mauvaises
les accomplissent malgré eux." (Platon, Protagoras, 345 d-e.)
Platon,
Ménon
SOCRATE. - Il est donc évident que ceux-là ne désirent
pas les choses mauvaises, qui ne les connaissent pas, mais qu'ils désirent
celles qu'ils pensent être bonnes, et qui sont en fait mauvaises. En conséquence,
ceux qui, sans les connaître, les croient bonnes, désirent manifestement
des choses bonnes, n'est-ce pas ?
MENON. - Pour ceux-là, il y a des chances,
SOCRATE. - Mais quoi ? Ceux qui, à ce que tu dis, désirent les
choses mauvaises, et qui pensent que les choses mauvaises sont nuisibles pour
celui à qui elles arrivent, savent-ils qu'ils en subiront du dommage
?
MENON. - C'est nécessaire.
SOCRATE. - Et ces mêmes hommes, ne pensent-ils pas que ceux qui subissent
du dommage sont malheureux à proportion du dommage subi ?
MENON. - Cela aussi est nécessaire.
SOCRATE. - Et que les malheureux sont infortunés ?
MENON. - Je le pense, pour ma part.
SOCRATE. - Est-il donc un homme qui veuille être malheureux et infortuné
?
MENON. - Il ne me semble pas, Socrate.
SOCRATE. - Personne, donc, Ménon, ne veut ce qui est mauvais, s'il est
vrai qu'il refuse d'en être réduit là. Etre malheureux,
en effet, qu'est-ce d'autre que désirer ce qui est mauvais et l'obtenir.
MENON. - Tu as des chances de dire vrai, Socrate. Et personne ne veut ce qui
est mauvais." (Platon, Ménon, 77 e-78 b., in Socrate, portraits
et enseignements, trad. A et J.-C. Fraisse, PUF, col " Les Grands Textes
".
Platon,
Gorgias
"Socrate - Quelle était donc, mon cher ami, la question sur laquelle
nous n'étions pas d'accord ? C'était à propos d'Archélaos
: tu disais qu'il était heureux, bien qu'il eût commis les plus
grandes injustices et qu'il n'en eût été aucunement puni.
Moi, je pensais tout le contraire : si Archélaos, ou n'importe qui, fait
un acte injuste sans être puni, il est destiné à vivre dans
un malheur qui dépasse largement celui des autres hommes. Je soutenais
aussi que celui qui commet l'injustice est toujours plus malheureux que celui
qui la subit et que le coupable qu'on ne punit pas est plus malheureux que le
coupable qu'on punit. [...] car enfin, la conséquence [...] est qu'il
faut d'abord faire attention de ne pas faire de mal, parce que, si on agit mal,
le malheur qu'on en a est déjà assez grand." (Platon [428-348],
Gorgias, traduction de Monique Canto, GF, p. 206).
1- Pièces originales et procédures du procès fait à
Robert-François Damiens, 1757, t. III, p. 372-374.
2- Gazette d'Amsterdam, 1er avril 1757.
3- Cité in A. L. Zevaes, Damien le régicide, 1937, p. 301-214.