L'amour

Il y a deux façons de faire l'amour. D'abord faire l'amour comme le font les couples amoureux, ensuite faire l'amour comme le font les couples occasionnels ou comme le font les couples officiels. Ces derniers font l'amour pour éliminer la tension que provoque le désir sexuel, c'est une excitation pour contrer l'excitation sexuelle. Ainsi ils peuvent réaliser autre chose, travailler, avoir des rapports sociaux etc... Les amoureux font l'amour pour obtenir l'orgasme mais aussi pour entretenir leur désir. Plus ils se voient, plus ils font l'amour et plus ils ont envie de le faire. "l'objet du désir est désirant autant que désirable. Il ne s'agit plus d'un objet narcissique de nature maternelle qui veille à ce que l'excitation soit ramenée à un niveau optimum, mère assurant son rôle de pare-exitation, mais d'une femme animée d'un mouvement érotique complémentaire, qui s'apparie à la façon dont les tendances partielles vont aussi par paire. [...] le sujet [s'est] forgé l'image d'un objet érotique qui réponde par leplaisir au plaisir. Ce n'est plus la quiétude narcissique qui est recherchée, mais, si nous osons dire, le plaisir au carré"1. Il s'agit, pour les couples amoureux, de faire l'amour pour, non pas se retrouver en paix avec soi-même (se débarrasser de la tension érotique), mais pour connaître un apaisement heureux (l'orgasme). "L'aspect érotique des relations sexuelles consiste en un jeu ayant pour but de maintenir le désir sexuel pendant un temps optima à son plus haut niveau"2.

Lorsque les couples officiels ont fait l'amour, chacun se tourne de son côté et ils dorment. Lorsqu'un couple occasionnel à fait l'amour chacun va dormir de son côté. Par contre lorsque des amoureux ont fait l'amour, ils dorment dans les bras l'un de l'autre et s'ils ne peuvent pas le faire c'est ressenti comme un manque aussi grand que le manque de plaisir. C'est pour cela qu'il n'y a que l'amour des amoureux qui compte vraiment. Il est subversif et incontrôlable. Il est le seul qui permette de donner et de se perdre car les autres ne servent seulement qu'à prendre et se retrouver. Les autres ne sont qu'un moyen en vue d'une fin, l'amour des amoureux est sa propre fin. L'homme dans l'amour occasionnel recherche surtout le côté "salope" de la femme, dans l'amour officiel surtout le côté "maternel", il cherche aussi à protéger. Dans l'amour amoureux il cherche le "féminin". Les femmes recherchent ce que veulent les hommes pour les deux premiers types, être "salopes", être "maternelles", elles cherchent aussi àêtre protégées. Pour le troisième il s'agit seulement d'être elles-mêmes et de rechercher le "masculin", ce n'est plus le désir infantile d'avoir un pénis que l'on retrouve aussi dans la maternité : avoir un enfant surtout mâle dans le ventre (substitut du pénis paternel) mais le désir de l'homme en tant qu'appendice du pénis.

Ne peut-on pas trouver là une des raisons de l'échec le plus courant des couples ? Il y a un malentendu entre l'homme et la femme qui produit du ressentiment et qui fait assez souvent du couple un enfer. Au début de leur relation l'homme et la femme sont amoureux, la recherche de leur double négatif permet la rencontre et permet de poser les bases d'une vie commune. Puis progressivement chacun ne cherche plus qu'à revivre son passé et est effectivement déterminé par lui, en bref l'homme cherche à être materné, la femme cherche à le materner, les relations sexuelles ne servent plus qu'à éliminer la tension sexuelle. C'est le sentiment de Freud qui écrit : "Le bonheur conjugal reste mal assuré tant que la femme n'a pas réussi à faire de son époux son enfant" (Nouvelles conférences sur la psychanalyse). Mais où Freud voit un fait normatif : la femme doit faire de son époux un enfant pour que le couple persiste, ne peut-on pas y voir plutôt une des raisons du malentendu du couple ? Car n'est-ce pas une illusion qui ne peut produire que des illusions ? Pour l'homme c'est rechercher le passé, rechercher à travers le présent quelque chose qui a disparu et qui ne peut plus exister et pour la femme c'est rechercher ce qui n'est pas, c'est se tromper de personne et faire de l'homme ce qu'il ne peut pas être (c'est aussi pour elle rechercher son passé : faire comme sa mère). Il n'y a qu'une personne qui peut vraiment materner un homme, c'est sa mère et elle ne le peut plus. Il y a que ses enfants qu'une femme puisse materner.

Il peut arriver que certains couples se satisfassent de cette situation et obtiennent ainsi un certain équilibre (pour combien de temps !). Mais la plupart du temps ce désir de l'homme d'être materné se transforme en désir de voir sa femme materner son enfant et le désir de la femme de materner se transforme en désir de materner l'enfant de l'homme. On est bien loin de l'état amoureux initial et c'est là que réside le malentendu car l'amour du départ s'est transformé en amour commun des enfants sans que personne ne s'en rende compte. Il s'ensuit que si l'amour du départ s'est transformé en amour commun des enfants la non satisfaction orgasmique chronique qui ne manque pas de s'installer3 entraîne une libération d'énergie qui est souvent réinvestie agressivement sur l'autre membre du couple (il y a, dorénavant, des fantômes dans le placard !).

Au fond il y a une distinction à opérer entre amour-actif et amour-passif4 et refuser ce dernier pour vivre le premier5. "L'amour et le désir qui animent mutuellement le couple font que se libèrent un maximum de moyens pour entretenir ce désir, entretien qui révèle de multiples façons de le mener à bonne fin. C'est beaucoup plus ce sentiment de libération potentielle que dans l'exercice réel de cette libération qui constitue l'essence de l'érotisme sexuel. [...] Cette conception du plaisir sexuel est sévère pour la sexualité humaine. Ainsi compris, il ne serait connu que de très peu de personnes et parmi celle-ci peut-être que quelques fois au cours de leur vie. "Ne plus faire qu'un" n'a un sens qu'après un orgasme qui n'existe pleinement que si, auparavant, les partenaires ont éprouvé le sentiment de liberté érotique, sentiment dépendant de l'intensité de leur amour sans lequel les interdits internes ne peuvent être complètement levés" (Eros et Antéros, p 180-183)".

1- D. Braunschweig, M. Fain, Eros et Antéros, PbP, p 136.
2- D. Braunschweig, M. Fain, Eros et Antéros, PbP, p 179.
3- "Quand un couple ne trouve pas, dans la force de l'amour, l'alliée nécessaire à la levée des interdits intérieurs, il limite la rencontre sexuelle à une activité ritualisée dite "normale". Cette sexualité est aussi partielle que celle des pervers" (Eros et Antéros, p 180)
4- Cf. Alquié, Le désir d'éternité, Quadrige/PUF. Texte dans l'Incendiaire, n°3, mars 1997, p. 13.
5- "Dans l'état amoureux tout se passe comme si l'individu se dépouillait face à son objet d'amour du système pare-exitation qui lui était venu de sa mère, pour ne laisser subsister, séparé, que celui qu'il s'était créé en l'absence de celle-ci, où le désir pour l'objet se confond avec celui de retourner dans les ténèbres de la mort dans une satisfaction qui est plus consomption que satisfaction" (D. Braunschweig, M. Fain, Eros et Antéros, p 128).

 

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