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L'amour existe-t-il ?

par Eric Geysen-Lachérade

 

Paru dans l'Incendiaire n°7, septembre 1997
3 pages



Résumé

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Sommaire rapide

"Je lâche mon humanité
et je m'en vais à quatre pattes."
Léo Ferré

S'il est un sujet qui inspire l'homme depuis l'aube des temps, c'est bien l'amour. Poètes, écrivains, philosophes, mystiques et bien d'autres encore se sont penchés avec plus ou moins de bonheur et de réussite sur ce sentiment étrange qui semble toujours se dérober à l'entendement humain. Le proverbe ne dit-il pas : "l'amour a des raisons que la raison elle-même ignore". Platon a écrit son Banquet, les chevaliers ont pratiqué l'amour courtois, les romantiques ont exacerbé cette émotion en l'approchant de la mort, mais qu'en est-il aujourd'hui ?

Avant que de s'interroger sur l'existence probable ou non de l'amour, il serait intéressant de savoir ce que les différents dictionnaires entendent par ce terme. Pour le Robert, l'amour est une "inclination envers une personne d'un autre sexe, le plus souvent à caractère passionnel, fondé sur l'instinct sexuel mais entraînant des comportements variés".
Pour le Larousse, l'amour est un "sentiment très intense, [un] attachement englobant la tendresse et l'attirance physique, entre deux personnes". Cette deuxième définition me semble davantage correspondre à l'idée que le vulgum pecus se fait de l'amour. A contrario, la première parait très partiale. Le Robert parle d'une inclination pour une personne d'un autre sexe, devons-nous en déduire que les homosexuels sont incapables d'éprouver un quelconque sentiment amoureux ? S'il l'on rajoute à cela que ce sentiment est, toujours d'après le Robert, fondé sur l'instinct sexuel, il ne nous reste plus qu'à dire que le sentiment amoureux est purement et simplement la satisfaction d'une pulsion.
Il est vrai qu'actuellement, l'amour dont nous entendons parler a définitivement perdu tout contact avec le romantisme. Les perversions multiples qui apparaissent depuis plusieurs années (viols, pédophilie... ) semblent être le reflet de la pulsion du mal (du mâle... ) qui possède l'humain et l'oblige à n'être que l'ombre de lui-même.
Ce serait donc Eros qui aurait gagné le combat ? Que sont donc devenu Philia et Agapé ?
La renaissance des mouvements sectaires tendrait pourtant à prouver qu'Agapé est encore présent; cet amour désintéressé, cette dévotion à une cause, à un Dieu, peut-être l'amour le plus pur... Cette renaissance amène aussi à se rappeler du fameux ouvrage de Sigmund Freud (1) qui nous apprenait que l'homme souffrait d'un désaide chronique (Hilflösigkeit) consécutif à la perte de l'objet primordial-mère. C'est l'amour passion, la "dévoration cannibalique" de Karl Abraham, qui amène l'humain à se sentir abandonné, faible. Nous pouvons donc dire que le sentiment de haine, d'agression, découle d'un manque d'amour. "(... ) c'est l'idée qu'une part de la pulsion se tourne contre le monde extérieur et se fait jour alors comme pulsion à l'agression et à la destruction. La pulsion serait ainsi elle-même contrainte de se mettre au service de l'Eros, du fait que l'être vivant anéantirait quelque chose d'autre, animé ou non animé, au lieu de son propre soi". (1) Comment pouvoir en effet accepter le désir de la mort de la mère, ultime punition pour cet abandon qui nous rejette sur les rives de la brutalité, sans se sentir coupable par la suite et désirer sa propre disparition, disparition qui se trouvera par la suite projetée sur l'objet Autre par instinct de survie;
moyen détourné mais pourtant efficace pour parvenir à sa propre fin. La secte et l'Agapé qui l'accompagne apparaissent comme d'excellents moyen pour parvenir à la Lebensweisheit, littéralement la sagesse de vie alors qu'il ne sont qu'un déplacement visant à cacher la destruction du sujet à ses propres yeux. L'investissement libidinal est alors détourné de son but, inhibé quant au but.
Peut-on alors souhaiter que l'amour existe alors qu'il se montre si dévorant, si destructeur ? Regardons Tristan et Yseult, Hamlet et Ophélie, Roméo et Juliette, Don Juan, l'éternel insatisfait, l'amour trouve-t-il donc son essence dans la perte, dans le vide ?
"L'amour court vers l'amour comme l'écolier hors de la classe; mais il s'en éloigne avec l'air accablé de l'enfant qui rentre à l'école". (2) Quelle souffrance dans ces quelques vers; souffrance qui a été celle de millions d'amoureux car lorsque l'on croit pouvoir saisir l'amour, celui-ci se dérobe encore davantage. La définition du Robert parle de passion, la passion ne fait que préexister au désir, elle s'exprime par le manque, au travers de l'exercice de la séduction et se voit peu à peu décroître lorsqu'Eros s'empare du couple. La jouissance, ce n'est pas l'amour. Les "pisseurs sur le feu" jouissent mais n'aiment pas. C'est Agapé qui a permis la maîtrise du feu. Il faut être résolument désintéressé pour juguler le principe de plaisir et donner ainsi le feu aux autres hommes. Aimer vraiment , par Amour, signifierait aimer par principe de réalité, or un tel amour ne peut admettre l'Eros. Cet amour est impossible car il inhibe les pulsions, il implique un manque et le manque est souffrance.
"Il y a forcément un jour où on est vaincu. On n'en parle pas, mais on le sait, c'est une certitude.
Le regard des femmes est opaque, glisse sur vous, vous contourne et on sait que le jour est arrivé où il faut cesser de devenir. Arrêt sur image, arrêt sur sentiment, en retour de sa propre invisibilité, le regard vers les autres se vide lui aussi de sens". (3)
A mon avis, l'amour, ce que l'on appelle l'amour, n'existe pas, ce n'est que du narcissisme : on être-Un l'image de l'Autre comme soi m'aime.
Rappelons-nous du Banquet de Platon, de ces êtres hermaphrodites qui se retrouvent divisés en deux individus de sexes différents et qui passent leur vie à rechercher leur moitié, car deux moitiés forment un hum-Un. L'amour n'est qu'un trou, une béance que l'on cherche à remplir. Peu importe quel est ce trou, l'homosexuel peut aussi aimer.
Lorsque Lacan dit que la femme n'existe pas, il dit que c'est justement à cause de ce trou qu'elle n'existe pas. La femme, c'est "celle qui répond à la jouissance phallique". (4) (F)
Quant à l'homme, il n'est qu'un pervers polymorphe esclave de celle qui n'existe pas.
Pour conclure, je dirai comme Lacan que l'on ne peut pas parler de l'amour, ou peut-être que l'on ne peut pas parler que de l'amour. Il y a des lettres d'amour, des déclarations d'amour, des actes d'amour (je n'ai pas dit des actes amoureux), des mots d'amour et des maux d'amour mais l'amour n'existe pas. Faire l'amour c'est de la bêtise.
Il y a de la fusion entre deux corps, un désir qui lui, est du ressort de l'Amour mais il n'y a que du manque, du vide, du trou, et ce n'est pas un hasard si cet être infâme se nomme ainsi.

Eric GEYSEN-LACHERADE

(1). Sigmund Freud, "Malaise dans la culture".
(2). William Shakespeare, "Roméo et Juliette", acte II, scène II.
(3). Yves Simon, "La dérive des sentiments".
(4). Jacques Lacan, Le séminaire, livre XX, "Encore".

 

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