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Extraits de textes

 

Paru dans l'Incendiaire n°2, novembre 1997
8 pages



Résumé

Extraits de textes en rapport avec le débat "Le travail rend-il libre ?"

Extraits de :
Marx, Le Capital
Kant, Réflexions sur l'éducation
R. Linhart, L'établi
Paul Lafargue, Le droit à la paresse
Marx, Manuscrits de 1844
R. Linhart, L'établi
Marx, Travail salarié et capital

 

Sommaire rapide

Marx, Le Capital
"Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature. L'homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle de puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin de s'assimiler des matières en leur donnant forme utile à sa vie [...] Notre point de départ c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il réalise du même coup sont propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté" (Marx, Le Capital, I, 3, 7)

 


Kant, Réflexions sur l'éducation
"Il est de la plus grande importance d'apprendre aux enfants à travailler. L'homme est le seul animal qui soit voué au travail. Il lui faut d'abord beaucoup de préparation pour en venir à jouir de ce qui est nécessaire à sa conservation. La question de savoir si le Ciel ne se serait pas montré beaucoup plus bienveillant à notre égard, en nous offrant toutes choses déjà préparées, de telle sorte que nous n'aurions pas besoin de travailler, cette question doit certainement être résolue négativement, car il faut à l'homme des occupations, même de celles qui supposent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s'imaginer que, si Adam et Eve étaient restés dans le paradis, ils n'eussent fait autre chose que demeurer assis ensemble, chanter des chants pastoraux et contempler la beauté de la nature. l'oisiveté eût fait leur tourment tout aussi bien que celui des autres hommes. Il faut que l'homme soit occupé de telle sorte que, tout rempli du but qu'il a devant les yeux, il ne se sente pas lui-même, et le meilleur repos pour lui est celui qui suit le travail. On doit donc accoutumer l'enfant à travailler. Et où le penchant au travail peut-il être mieux cultivé que dans l'école ? L'école est une culture forcée. C'est rendre un très mauvais service à l'enfant que de l'accoutumer à tout regarder comme un jeu. Il faut sans doute qu'il ait ses moments de récréation, mais il faut aussi qu'il ait ses moments de travail. S'il n'aperçoit pas d'abord l'utilité de cette contrainte, il la reconnaîtra plus tard. Ce serait en général donner aux enfants des habitudes de curiosité indiscrète que de vouloir toujours répondre à leurs questions : pourquoi cela ? A quoi bon ? L'éducation doit être forcée, mais cela ne veut pas dire qu'elle doive traiter les enfants comme des esclaves." (Kant, Réflexions sur l'éducation, traduction de A. Philonenko, Vrin, 1966, pp. 110-111)


R. Linhart, L'établi
"Une fois accrochée à la chaîne, la carrosserie commence son arc de cercle, passant successivement devant chaque poste de soudure ou d'opération complémentaire : limage, ponçage, martelage. Comme je l'ai dit, c'est un mouvement continu, et qui paraît lent : la chaîne donne presque l'illusion d'immobilité au premier coup d'oeil, et il faut fixer du regard une voiture précise pour la voir se déplacer, glisser progressivement d'un poste à l'autre. Comme il n'y a pas d'arrêt, c'est aux ouvriers de se mouvoir pour accompagner la voiture le temps de l'opération. Chacun a ainsi, pour les gestes qui lui sont impartis, une aire bien définie quoique aux frontières invisibles : dès qu'une voiture y entre, il décroche son chalumeau, empoigne son fer à souder, prend son marteau ou sa lime et se met au travail. Quelques chocs, quelques éclairs, les points de soudure sont faits, et déjà la voiture est en train de sortir des trois ou quatre mètres du poste. Et déjà la voiture suivante entre dans l'aire d'opération. Et l'ouvrier recommence. Parfois, s'il a travaillé vite, il lui reste quelques secondes de répit avant qu'une nouvelle voiture se présente : ou bien il en profite pour souffler un instant, ou bien, au contraire, intensifiant son effort, il "remonte la chaîne" de façon à accumuler un peu d'avance, c'est-à-dire qu'il travaille en amont de son aire normale, en même temps que l'ouvrier du poste précédent. Et quand il aura amassé, au bout d'une heure ou deux, le fabuleux capital de deux ou trois minutes d'avance, il le consommera le temps d'une cigarette - voluptueux rentier qui regarde passer sa carrosserie déjà soudée, les mains dans les poches pendant que les autres travaillent. Bonheur éphémère : la voiture suivante se présente déjà ; il va falloir la travailler à son poste normal cette fois, et la course recommence pour gagner un mètre, deux mètres, et "remonter" dans l'espoir d'une cigarette paisible. Si au contraire l'ouvrier travaille trop lentement, il "coule", c'est-à-dire qu'il se trouve progressivement déporté en aval de son poste, continuant son opération alors que l'ouvrier suivant a déjà commencé la sienne. Il lui faut alors forcer le rythme pour essayer de remonter. Et le lent glissement des voitures, qui me paraissait si proche de l'immobilité, apparaît aussi implacable que le déferlement d'un torrent qu'on ne parvient pas à endiguer : cinquante centimètres de perdus, un mètre, trente secondes de retard sans doute, cette jointure rebelle, la voiture qu'on suit de trop loin, et la nouvelle qui s'est déjà présentée au début normal du poste, qui avance de sa régularité stupide de masse inerte, qui est déjà à moitié chemin avant qu'on ait pu y toucher, que l'on va commencer alors qu'elle est presque sortie et passée au poste suivant : accumulation des retards. C'est ce qu'on appelle "couler" et, parfois, c'est aussi angoissant qu'une noyade.
Cette vie de la chaîne, je l'apprendrai par la suite, au fil des semaines. En ce premier jour, je la devine à peine : par la tension d'un visage, par l'énervement d'un geste, par l'anxiété d'un regard jeté vers la carrosserie qui se présente quand la précédente n'est pas finie. Déjà, en observant les ouvriers l'un après l'autre, je commence à distinguer dans ce qui, au premier coup d'œil, ressemblait à une mécanique humaine homogène : l'un mesuré et précis, l'autre débordé et en sueur, les avances, les retards, les minuscules tactiques de poste, ceux qui posent les outils entre chaque voiture et ceux qui les gardent à la main, les "décrochages"... Et toujours, ce lent glissement implacable de la 2 CV qui se construit, minute après minute, geste par geste, opération par opération. Le poinçon. Les éclairs. Les vrilles. Le fer brûlé. [...]
Fin de la pause, reprise. Tintamarre de la chaîne. Une nouvelle carrosserie s'avance, lente et menaçante : il va falloir refaire les gestes pour de vrai. Vite le chalumeau, ah non ! j'oubliais, les gants d'abord, où est l'étain ? Bon sang, qu'elle avance vite, déjà au milieu du parcours, un coup de flamme, merde ! trop d'étain, rattraper ça à la palette, il y en a partout... Mouloud me l'enlève des mains. Encore un essai... Non, ça ne va pas. Je suis consterné, je dois lancer à Mouloud un regard chaviré, il me dit : Une nouvelle fois je suis sur le bord, à regarder, impuissant : la chaîne m'a rejeté. Pourtant, elle paraît avancer si lentement..." (R. Linhart, L'établi, Minuit, 1978, pp. 11-23)


Paul Lafargue, Le droit à la paresse
"Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de la progéniture. Au lieu de réagir contre cette aberration mentale, les prêtres, les économistes, les moralistes, ont sacro-sanctifié le travail. Hommes aveugles et bornés, ils ont voulu être plus sages que leur Dieu ; hommes faibles et méprisables, ils ont voulu réhabiliter ce que leur Dieu avait maudit. [...]
Dans la société capitaliste, le travail est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique" (Paul Lafargue, Le droit à la paresse, Maspéro, 1978, p. 121)
"L'économie politique cache l'aliénation dans l'essence du travail par le fait qu'elle ne considère pas le rapport direct entre l'ouvrier (le travail) et la production. Certes, le travail produit des merveilles pour les riches, mais il produit le dénuement pour l'ouvrier. Il produit des palais, mais des tanières pour l'ouvrier. Il produit la beauté, mais l'étiolement pour l'ouvrier. Il remplace le travail par des machines, mais il rejette une partie des ouvriers dans un travail barbare et fait de l'autre partie des machines. Il produit l'esprit, mais il produit l'imbécillité, le crétinisme pour l'ouvrier. [...]


Marx, Manuscrits de 1844
Nous n'avons considéré jusqu'ici l'aliénation, le dessaisissement de l'ouvrier que sous un seul aspect, celui de son rapport aux produits de son travail. Mais l'aliénation n'apparaît pas seulement dans le résultat, mais dans l'acte de production, à l'intérieur de activité de production elle-même. [...]
Or, en quoi consiste l'aliénation du travail ?
D'abord, dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s'affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l'aise mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. C'est pourquoi l'ouvrier n'a le sentiment d'être auprès de lui-même qu'en dehors du travail et, dans le travail, il se sent en dehors de soi. Il est comme chez lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas chez lui. Son travail n'est donc pas volontaire, mais contraint, c'est du travail forcé. Il n'est donc pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur, le travail dans lequel l'homme s'aliène, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin, le caractère extérieur à l'ouvrier du travail apparaît dans le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas, que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas lui-même, mais appartient à un autre. [...]
On en vient donc à ce résultat que l'homme (l'ouvrier) ne se sent plus librement actif que dans ses fonctions animales, manger, boire et procréer, tout au plus encore dans l'habitation, la parure, etc., et que, dans ses fonctions d'homme, il ne se sent plus qu'animal. Le bestial devient l'humain et l'humain devient le bestial." (Marx, Manuscrits de 1844, Éditions Sociales, 1969, pp. 59-61)


R. Linhart, l'Établi
"Trois heures et demi. Qu'est-ce que c'est que ça, encore ? L'atelier est envahi. Blouses blanches, blouses bleues, combinaisons de régleurs, complets-veston-cravate... Ils marchent d'un pas décidé, sur un front de cinq mètres, parlent fort, écartent de leur passage tout ce qui gêne. Pas de doute, ils sont chez eux, c'est à eux tout ça, ils sont les maîtres. Visite surprise de landlords, de propriétaires, tout ce que vous voudrez (bien sûr, légalement, c'est des salariés, comme tout le monde. Mais regardez-les : le gratin des salariés, c'est déjà le patronat, et ça vous écrase du regard au passage comme si vous étiez un insecte). Élégants, les complets, avec fines rayures, plis partout où il faut, impeccables, repassés (qu'est-ce qu'on peut se sentir clodo, tout à coup, dans sa vareuse tachée, trouée, trempée de sueur et d'huile, à trimbaler des tôles crues), juste la cravate un peu desserrée parfois, pour la chaleur, et un échantillon complet de gueules de cadres, les visages bouffis des vieux importants, les visages studieux à lunettes des jeunes ingénieurs frais émoulus de la grande école, et ceux qui essayent de se faire la tête énergique du cadre qui en veut, celui qui fume des Marlboro, s'asperge d'un after-shave exotique et sait prendre une décision en deux secondes (doit faire du voilier celui-là), et les traits serviles de celui qui trottine tout juste derrière Monsieur le Directeur le plus important du lot, l'arriviste à attaché-case, bien décidé à ne jamais quitter son supérieur de plus de cinquante centimètres, et des cheveux bien peignés, des raies régulières, des coiffures à la mode, de la brillantine au kilo, des joues rasées de près dans des salles de bain confortables, des blouses repassées, sans une tache, des bedaines de bureaucrates, des blocs-notes, des serviettes, des dossiers... Combien sont-ils ? Sept ou huit, mais ils font du bruit pour quinze, parlent fort, virevoltent dans l'atelier. Le contremaître Gravier a bondi hors de sa cage vitrée pour accueillir ("Bonjour, Monsieur le Directeur... blablabla... Oui, Monsieur le Directeur... comme l'a dit Monsieur le chef de service adjoint de... prévenu... les chiffres... ici... la liste... depuis ce matin... blablabla... Monsieur le Directeur") et Antoine le chef d'équipe court aussi se coller à la troupe, et même Danglois, le régleur du syndicat jaune, sorti d'on ne sait où, ramène sa blouse grise et son tas de graisse pour accompagner ces messieurs. Et tout ce beau monde va, vient, regarde, note, vous bouscule au passage, envoie chercher ceci, envoie chercher cela.
Au milieu, leur chef, Monsieur le directeur de je ne sais plus quoi (mais très haut dans la hiérarchie Citroën, proche collaborateur de Bercot, s'il vous plaît), Bineau. Gros, l'air autoritaire, sanglé dans un complet trois pièces sombre, rosette à la boutonnière. Il a une tête de type qui lit le Figaro à l'arrière de sa DS noire étincelante, pendant que le chauffeur à casquette fait du slalom dans les embouteillages. Il mène la danse, Bineau. L'air pas commode avec ça : on n'aurait pas intérêt à essayer de lui raconter des histoires. Regard perçant, ton cassant, soyez précis, soyez bref, je comprends vite, mon temps c'est beaucoup d'argent, beaucoup plus que vous n'en verrez passer dans l'année. Un vrai meneur d'hommes. Mieux : un manager. L'œil fixé sur la courbe irrégulière du cash-flow.
Maintenant, ils se sont ébroués pendant quelques minutes, ils ont fouiné un peu partout dans l'atelier. Bineau les rassemble. Ils font cercle, écoutent. Puis, d'un beau mouvement d'ensemble, ils se transportent vers Demarcy. Sur Demarcy, devrais-je dire, tellement ils s'agglutinent et se collent à lui, lui laissant à peine le strict espace de ses mouvements.
Voici donc la dizaine de grosses légumes en rond, qui regardent travailler le vieux. Bineau donne encore quelques mots d'explication (je suis un peu loin, avec Kamel, mais j'entends des bribes : "...exemple de modernisation de l'équipement... système de réglage... normaliser les postes hors chaîne... méthodes... à généraliser... opération pilote... revoir les objectifs... par la suite démultiplier... concentrer... découper... budget d'outillage.. résultats... sur six mois... "). De temps en temps, il désigne Demarcy en train de travailler. Il me semble alors assister à une démonstration d'hôpital, avec professeur, internes, infirmiers, où le vieux ferait le cadavre - ou à une visite guidée de zoo, avec Demarcy en singe." (R. Linhart, l'Établi, Minuit, 1978, pp. 168-171)


Marx, Travail salarié et capital
"Le prix de vente de la marchandise produite par l'ouvrier se divise pour le capitaliste en trois parties : premièrement, le remplacement du prix des matières premières qu'il a avancées ainsi que le remplacement de l'usure des instruments, machines et autres moyens de travail qu'il a également avancés ; deuxièmement, le remplacement du salaire qu'il a avancé ; et troisièmement, ce qui est en excédent, le profit du capitaliste. Alors que la première partie ne remplace que des valeurs qui existaient auparavant, il est clair que le remplacement du salaire tout comme le profit excédentaire du capitaliste proviennent, somme toute, de la nouvelle valeur créée par le travail de l'ouvrier et ajoutée aux matières premières." (Marx, Travail salarié et capital)

 

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