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The last fight

 

Paru dans l'Incendiaire n°7, avril-mai 1998
6 pages



Résumé

Episode 2 - Episode 3
Retranscription du "Téléphone sonne", émission de France Inter diffusée le 13 novembre 1997

 

Sommaire rapide

- Au téléphone sonne ce soir, cafés littéraires, librairies, radios, télés, le grand retour de la philosophie. Sont invités Barbara Cassin directeur de recherche au CNRS qui co-dirige " L'ordre philosophique aux Editions du Seuil, Alain Finkielkraut, écrivain, producteur de " Répliques " sur France-Culture, Alain Etchégoien, professeur de philosophie et producteur de " Grain de Philo " sur France 3 et Marc Sautet, créateur du café-philo " Les Phares " qui a publié un Café pour Socrate, aux Editions Robert Laffont, reportage Christine Goémé de France-Culture et Vincent Geosse, avec Eva Battant, une émission dirigée par Alain Bédoué.
Alain Bédoué : Bonsoir,
[Reportages]
Alain Bédoué : Voilà radio, télé, bistro et jusqu'à Internet, le dernier salon où l'on cause, après l'Agora on nous explique donc que la philosophie descend dans la rue, les émissions se multiplient, les ouvrages de vulgarisation aussi, les cafés-philo font salle comble, reste à savoir bien sûr s'il s'agit ou pas d'un simple phénomène de mode ou de médias et à quoi menait ou pourrais mener cette philosophie devenue produit grand public. Mais dans le même temps, la première semaine Européenne de la philosophie s'ouvre demain à Lille avec plus d'une centaine de philosophes français et étrangers et une série de débats autour de la République, du philosophe et des pouvoirs, de l'individu, de l'efficacité ou, précisément, du besoin de philosophie. Alors qu'y a-t-il derrière ce florilège d'initiatives, de livre d'émissions, et à quoi correspond, au fond, cette recherche de repères, de références ou d'explications, voilà donc pour notre sujet de ce soir, avec tous ceux qu'on vient de vous présenter, et tout de suite en direct au standard une première question ou un premier témoignage :
Alain Bédoué : Bienvenu sur France-Inter, bonsoir,
Premier auditeur : Bonsoir, je ne peux que approuver bien entendu le phénomène que vous décrivez, à savoir la descente, si vous me passez le mot, de la philosophie dans la rue mais pour moi la philosophie est quelque chose qui me tient à cause, bien que je ne sois que scientifique, qui est censée s'occuper de problème importants, les poser, si possible sans ambiguïté, et essayer d'y apporter des solutions. Et la question précise que je veux poser c'est dans quelle mesure une telle démarche est-elle compatible avec les phénomènes de mode, de médias, de télé, d'émissions, il est assez typique d'ailleurs que les philosophes, qui sont philosophes avec tous les guillemets que vous voudrez, qui sont invités ce soir, sont tous des gens qui sont responsables, qui d'une émission à la télé, qui d'une émission à la radio, qui de ceci, qui de ça, et que ce soient d'une certaine manière ceux-là et ceux-là seulement que l'on entend tout le temps, que l'on voit tout le temps et qui sont censés représenter la philosophie, voilà ma question…
Alain Bédoué : Autrement dit vous craignez… votre question : y'a-t-il ou pas risque de dérive ?
Premier auditeur : Euuuuh…
Alain Bédoué : Alors nos invités vont vous répondre
Premier auditeur : Euuuuh… c'est pas… c'est pas…
Alain Bédoué : Mais comme c'est moi qui les ai invités, je peux quand même déjà vous répondre ! on ne parle pas seulement de cafés-philo etc. cette semaine européenne de la philosophie, il y a une bonne cinquantaine d'intervenants, on a invité Madame Cassin qui est une des intervenantes, mais enfin on n' a pas cherché a priori des gens qui étaient, alors vous mettez des guillemets, mais moi j'en mettrais pas, mé… médiatisés. En tout cas risque ou pas de dérive quand vous le dites vous-même Monsieur la… la philo descend, même timidement dans la rue, Alain Etchégoien, quelle est votre.. votre vision des choses ?
Alain Etchégoien : Des risques de dérive, il y en a évidemment. Euh, si on prend euh, le phénomène des cafés de philo, euh, j'en ai vu un certain nombre, il y a un événement fascinant, c'est le fait, j'étais il y a 15 jours à Rouen, que tous les lundis, 150 à 300 personnes aient envie de discuter ensemble. Est-ce qu'il font de la philo ou non ? ça dépend des endroits, des fois c'est pas du tout de la philo. La dérive c'est par exemple le cas d'un lycée, j'ai vu un article dans un journal de cette semaine d'un professeur, où le Proviseur a décidé tout seul de faire un café de philo dans le lycée contre les profs de philo, ça c'est une dérive parce que le café de philo dans la cité, ça je le conçois très bien, sous condition qu'évidemment on l'appelle philo parce qu'il y a de la philosophie, mais mélanger ce qui est l'enseignement de la philosophie qui est quelque chose de… de très sérieux et qui a sa place dans le… dans la formation des jeunes, avec un lieu de débat sans norme, sans références philosophiques, ça c'est une dérive.
Alain Bédoué : Alain Finkielkraut, votre réaction à vous ?
Alain Finkielkraut : Oui, alors, deux choses, d'abord il y avait un peu d'aigreur, d'aigreur polie dans les propos de notre premier interlocuteur, je voudrais le rassurer, j'ai une émission en effet sur France-Culture…
Alain Bédoué : Mais vous faites autre chose
Alain Finkielkraut : Non mais surtout, France-culture, c'est pas les médias, au sens que ce Monsieur… péjoratif… au sens péjoratif que ce Monsieur voulait donner à ce terme. J'invite des philosophes précisément puisque je ne m'invite pas, j'invite des gens et des philosophes. Bon c'est seulement la première précision que je voulais lui donner pour le calmer et le sortir éventuellement du ressentiment, et alors en écho à ce que vient de dire Alain Etchégoien je crois en effet qu'il ne faut pas confondre les ordres, il y a en effet une demande philosophique aujourd'hui, sur laquelle nous reviendrons, que je crois assez authentique, parce que si vous voulez, il y a un projet philosophique qui s'est effondré et qui était grosso modo… enfin qui c'est effondré, qui était en crise, le projet moderne, de plus en plus de maîtrise sur les choses et de plus en plus de liberté. C'était le projet des lumières qui s'est décliné de plusieurs manières, plusieurs façons et qui aujourd'hui entre en crise : la science fonce mais vers où ? Et on se pose la question des limites. D'où effectivement, avec un divorce du rationnel et du raisonnable, une vraie demande philosophique. Pour autant ne pas confondre les ordres, les cafés de philosophie c'est peut-être très bien, mais en effet pas à l'école car il y a une pression sur l'école pour, si vous voulez en faire, elle-même et notamment sur les professeurs qui enseignent dans les humanités, une sorte de forum. Les humanités se seraient le forum et l'enseignement de la philosophie ce devrait être le débat de société. Non, la philosophie, ça s'enseigne aussi, ça demande un tout petit peu d'humilité devant les grandes pensées, donc un peu de sens des hiérarchies, et ça ne relève pas du débat de société. Et là il y a un véritable danger, et une véritable dérive, où… d'ailleurs les cafés de philosophie n'en sont pas responsables, ils deviendraient en quelque sorte le modèle de la manière dont il faut faire de la philosophie aujourd'hui.
Barbara Cassin…
Barbara Cassin : Oui… moi… première remarque : désolée, je suis pas médiatique…
Alain Bédoué : Voilà, excellent !
Barbara Cassin : Et ce que je dirais…
Alain Bédoué : Vous enseignez à Paris IV notamment…
Barbara Cassin : Non… non… non… je suis directeur de recherche au CNRS…
Alain Bédoué : C'est ça…
Barbara Cassin : et je dirige au Seuil une collection et quand on vend un de ces livres à 3000 exemplaires, on est content. Je ne… je n'ai pas programmé Le Monde de Sophie, malheureusement ou heureusement…
Alain Finkielkraut : heureusement…
Alain Etchégoien : c'est au Seuil aussi…
Barbara Cassin : c'est au Seuil aussi… et c'est peut-être grâce au Monde de Sophie qu'on peut tirer à 3000 exemplaires des livres difficiles, ou des livres qui n'ont pas pour ambition d'être difficiles, n'ont pas pour vocation d'être difficiles, mais ils se trouve que leur public c'est 3000 quand c'est très bien. Ma deuxième remarque à propos de la question telle que je l'ai entendue formuler, j'ai simplement relevé le terme de ghetto à propos de… de la… de la philosophie telle qu'elle est enseignée dans les universités et les lycées. Mais ça c'est pas du tout un ghetto, les lycées c'est pas du tout un ghetto, il faudrait pas vraiment que ça le soit, et pour moi c'est quelque chose d'exceptionnel que la philosophie puisse être en France, et la France est à cet égard exceptionnelle, enseignée dans des lycées et je m'en réjouis vraiment…
Alain Etchégoien : sauf les lycées professionnels…
Alain Bédoué : Alain Etchégoien ?
Barbara Cassin : mais ça on peut le déplorer…
Alain Bédoué : mais c'est dommage…
Alain Etchégoien : absolument…
Alain Bédoué : Marc Sautet vous vouliez réagir aussi peut-être…
Marc Sautet : Oui… oui…, réagir en rupture totale avec ce qui vient d'être dit. Pour moi la dérive ne tient pas du tout à risque éventuel que les cafés de philosophie s'imposent à la pédagogie au lycée. La dérive elle est dans la dénomination de la philosophie. Est-ce que vous êtes sûr de ce que vous dites lorsque vous parlez de philosophie et que vous dites que la philosophie peut s'enseigner ? On a, à mon avis, investi la philosophie de tout autre chose que ce qu'elle est à l'origine et peut être que l'origine compte, dans " philosophie " on a vu peu à peu des systèmes à partir de Platon et d'Aristote qui se structurent, on arrive évidemment à Thomas et à Spinoza et… et ensuite au monde moderne avec la philosophie des lumières, mais qu'y a-t-il d'authentiquement philosophique dans tout ça ? Moi je suis frappé du fait qu'aujourd'hui, notamment à la une de beaucoup de journaux, on parle de " communisme " comme si le communisme avait existé. On fait le procès du communisme comme on a fait celui du nazisme et… et il semblerait évident pour tout le monde et ça l'est visiblement, que le communisme a été une expérience historique. Or on prend à la racine le communisme dans la doctrine de Marx et d'Engels dont ce système s'est inspiré, il est évident que c'est l'inverse, que cette expérience n'a jamais eu lieu, le socialisme lui-même n'ayant pas eu lieu…
Alain Finkielkraut : Là vous ne faites pas de la philosophie ! [rires]
Marc Sautet : Eh bien détrompez vous !
Alain Finkielkraut : c'est un moyen d'engagement… [rires]
Marc Sautet : Eh bien détrompez vous ! Eh bien détrompez vous ! Parce que si on fait passer une réalité historique pour ce qu'elle n'est pas, on peut faire exactement la même chose de la philosophie ! Tout le monde voit le soleil se lever, or nous savons qu'il ne se lève pas et peut-être qu'il serait temps de le dire. Eh bien moi je dis qu'à l'égard de la philosophie vous faites exactement la même chose : vous dites encore " le soleil se lève ". La philosophie, elle n'a pas du tout pour vocation de nous dire ce que nous faisons sur terre, d'où nous venons, ces fameux problèmes importants…
Alain Bédoué : Marc Sautet, en deux mots ? parce que… je pense… ceux qui nous écoutent ce soir…
Marc Sautet : ben en deux mots…
Alain Bédoué : On vous écoutait tout à l'heure…
Marc Sautet : en deux mots…
Alain Bédoué : mais pour vous qui avez, par exemple, créé le café Les Phares, à quoi correspond, puisque il y a du monde… qui vient, vous en êtes le premier témoin, à quoi correspond cet engouement ?…
Marc Sautet : A une résistance…
Alain Bédoué : … cette demande ?
Marc Sautet : … à une résistance à la dérive qui est extrêmement longue, qui est archaïque, qui est complètement classique, alors je reviens sur le mot de… de Finkielkraut, il y a une dérive qui est complètement classique qui tend à mandater la philosophie pour quelque chose qui n'est pas sa vocation, qui est une vocation théologique : expliquer le sens de l'existence des hommes sur terre, ce n'est pas du tout la vocation de la philosophie, la vocation de la philosophie, c'est la vocation de Socrate, c'est " pourquoi les choses vont-elles si mal entre les hommes ", c'est la question de l'injustice.
Alain Bédoué : On va repasser au standard, un appel ?
C'est à vous bienvenue, bonsoir
Second auditeur : Bonsoir…
Alain Bédoué : Bonsoir monsieur nous vous écoutons, je vous en prie…
Second auditeur : J'ai deux petites questions…
Alain Bédoué : Oui, oui…
Toutes relatives… Ne croyez-vous pas qu'il est préoccupant d'entendre certains s'élever contre le fait que monsieur tout le monde puisse s'essayer à la philosophie sans en posséder les outils ? Et d'autre part il arrive régulièrement que certains intellectuels, ajoutons philosophes aient des prises de positions diverses voire opposées à propos de certains faits, de société, historiques ou autres. Alors ne faut-il donc pas pour ce monsieur tout le monde, appelé le commun des mortels, se faire une opinion, donc confronter, donc philosopher finalement ? Excusez le raccourci. Ajoutons que posséder et manier les outils ne garantit pas le bien fonde d'une prise de position, les exemples sont dramatiquement nombreux, et surajoutons que il m'arrive, le temps d'un faux espoir de tendre l'oreille à des débats radiophoniques, et je constate qu'il est très très rare quel que soit le sujet du débat, qu'il soit répondu réellement à la question et non pas à sa voisine et à toute la question et non pas au dernier mot. Alors s'il vous plaît messieurs les spécialistes, à vous, messieurs les pères la rigueur détrompez-moi !
Alain Bédoué : Qui commence ?… Alain…
Alain Finkielkraut : Moi !
Alain Bédoué : …Finkielkraut…
Alain Finkielkraut : C'est assez curieux cette… cette… cette… virulence quand même hein , et encore une fois ce ressentiment. Mais c'est très intéressant aussi parce que ça en dit long sur, si vous voulez, le monde dans lequel nous vivons. Effectivement notre horizon c'est la démocratie, et j'en suis très heureux, si vous voulez, mais il y a dans la démocratie des espaces qui échappent à la démocratie. C'est le cas de l'école, c'est le cas de l'école. L'école ce n'est pas un espace démocratique, ce n'est pas un chewing-gum intersubjectif où chacun fait un peu la même chose, c'est une institution avec des rôles, avec une dissymétrie, avec des autorités, autorité ne veut pas dire pouvoir, l'autorité c'est… c'est… c'est… l'autorité qui vient de la compétence. Et il se trouve en effet que il ait des lieux où la philosophie s'enseigne, elle ne s'enseigne pas pour donner des réponses à tout, elle s'enseigne parce que effectivement des penseurs ont pensé, et que ce que ces penseurs on pensé, il est bon, on considère encore qu'il est bon aujourd'hui, ce passé n'est pas complètement dépassé, parce que nous ne vivons pas encore complètement dans le seul horizon du 21 ème siècle, avec le Ministre de l'éducation que nous avons ça va venir, donc on considère que c'est important que ces penseurs soient présents, que ces morts nous aident à réfléchir. Et pour que cela puisse se faire il faut effectivement concevoir l'école comme un espace en soi, comme un espace institutionnel, et non comme un espace démocratique. Parce que évidemment… alors la démocratie qu'est-ce qu'elle dit ? alors j'ai mon opinion, tu as ton opinion, tout le monde a son opinion et il n'y a aucune raison de penser que ton opinion est plus intéressante que la mienne, et à ce moment-là, en effet, ce sera un forum…
Marc Sautet : vous n'êtes jamais venu dans un café-philo !
Alain Finkielkraut : …ce sera une sorte de forum général et je pense qu'à ce moment-là, si la philosophie c'est ça elle est morte. Parce que la philosophie, pour tous ceux qui en font, si vous voulez, c'est un exercice d'humilité, qu'est-ce que c'est que la philosophie ? C'est le fait d'être en contact avec des textes extraordinaires, donc avec des gens dont on ne pense pas, quel que soit le désaccord qu'on peut avoir avec eux qu'il ont une opinion comme nous nous avons une opinion et tant qu'on vit dans cet horizon purement démocratique, eh bien eh bien la démocra… la philosophie elle-même ne peut pas prendre son essor, il faut savoir, pour être de vrais démocrates, modérer la démocratie.
Alain Etchégoien : Oui, dans le même sens, la première question de Socrate c'est un seul peut-il avoir raison contre tous. Et effectivement, moi ça fait 20 ans que j'enseigne la philosophie en lycée, en terminale et en classes préparatoires, et nous avons un rôle d'autorité, c'est-à-dire un pouvoir légitimé, essentiellement pour apprendre… pour moi la philosophie ça consiste à développer un concept, c'est-à-dire j'étais un peu gêné par ce que disait Marc Sautet tout à l'heure parce que je ne comprenais ce qu'il voulait dire sous le concept du communisme. Or pour moi le rôle du philosophe c'est la rigueur…
Vers l'épisode 2

 

 

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