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Vers l'épisode 1
[Or pour moi le rôle du philosophe c'est la rigueur
], qui
très analogue à celle des mathématiques, sur ce qu'est
un concept, et qu'on doit développer tous les ingrédients
d'un concept. Et à partir de là, moi je ne conteste pas
du tout le rôle des cafés de philo, je dis seulement qu'il
y en a qui sont bons, il y en a qui sont mauvais, et surtout il est respectable
que des hommes et des femmes aient envie de se rencontrer pour discuter,
je trouve ça très, très bien, ça ne veut pas
dire qu'ils font de la philo. Ils peuvent bien faire autre chose que faire
de la philo, c'est aussi une bonne chose, d'ailleurs ils sont dans un
café, bon mais je crois qu'il ne faut pas mélanger les genres
et surtout pas qu'il y ait une pression des uns sur les autres. Je vais
vous donner un autre exemple, le rêve de toutes les télévisions
aujourd'hui, y compris France 3 sur laquelle j'opère, c'est de
faire une émission de philo qui soit un café de philo, ce
qui est un contresens. L'intérêt des cafés de philo
c'est que des gens y participent, en rencontrent d'autres, c'est pas un
spectacle, c'est bien un spectacle qu'on se trompe sur ce qu'est la philosophie
[???].
Alain Bédoué : Barbara Cassin vous voulez également
intervenir ?
Barbara Cassin : oui je voulais dire qu'à mon avis quand on regarde
de près ce que c'est que la première question de Socrate,
c'est : " mais qu'est-ce que c'est que ça ? ", "
qu'est-ce que c'est ? " et ça c'est pas du tout une question
facile. " Qu'est-ce que c'est ? " c'est une question atrocement
technique et qui se présente comme telle et les gens sèchent
et Socrate aussi
Alain Bédoué : Madame
Une dame : Moi une chose qui me frappe c'est que les élèves,
et même quand on a quitté l'enseignement secondaire depuis
un certain temps, tout le monde se souvient généralement
de son année de philo
Alain Etchégoien : Comme du dentiste !
La dame :
est-ce que tout d'un coup
non, même ceux
qui n'ont pas aimé, ceux qui ont aimé en gardent un souvenir
ébloui, parce que tout d'un coup il s'est passé quelque
chose et vous avez l'impression qu'une porte s'est ouverte dans votre
cerveau. Et ce qui est peut-être un peu dommage c'est que si vous
faites après d'autres études, cette porte va se refermer.
Donc c'est déjà un élément, il faudrait que
vous m'en parliez : est-ce que c'est pas dommage qu'on enseigne la philo
qu'une seule année dans les lycées ? C'est déjà
un point très important. La deuxième chose que je trouve
intéressante c'est que, repartons de la question de base qui est
la demande des gens, c'est qu'il y a ce désir, donc on le prend
en compte, est-ce que ce désir ce n'est pas aussi quand il y a,
je ne veux pas faire de la psychologie de bazar ou de la philo de bazar,
mais quand il y a une sorte de brouillage du discours, de dire une chose
toute simple : on revient à la base, puisque le discours politique
nous parle d'un certain nombre de choses mais on ne comprend pas, ça
retombe à dire : voilà la mondialisation c'est embêtant,
ou l'économie ça retombe à dire ceci cela, de dire
on revient à la base, la base c'est la justice, l'égalité,
la fraternité, le
etc. Est-ce que ce qu'on vous demande aujourd'hui
ce n'est pas tout simplement une sorte de retour à la base ?
Alain Finkielkraut : Alors je voudrais
Alain Bédoué : Alain Finkielkraut ? Marc Sautet ensuite
Alain Finkielkraut :
en deux mots d'abord
je crois que, euh
bon on pourrait toujours rêver d'un enseignement philosophique qui
dure plusieurs années. Une année de philosophie comme en
France c'est déjà pas mal et c'est presque une exception
française, et puis il y a des symptômes très encourageants
dans cette demande philosophique. Moi j'adore faire les librairies à
Paris, aller dans les mêmes quartiers d'une librairie à l'autre.
Au Quartier Latin ou pour ce qu'il en reste on a vu grandir par exemple
la librairie Vrin qui était une librairie philosophique un peu
oubliée et qui est devenue une librairie très importante,
très fréquentée, avec des ouvrages même dans
d'autres langues. On voit aussi que la demande se porte aussi et beaucoup
sur les livres de philosophie même si ça ne fait pas des
tirages exceptionnels, vous avez des livres en anglais, des livres américains
chez Vrin, ça n'existait pas il y a encore 5 ou 6 ans. Et puis
alors pour ce qui est de, si vous voulez, du désir des gens, il
vient non seulement du brouillage des discours politiques, de la nécessité
d'en venir à un certain nombre de valeurs comme la justice, la
fraternité,
il vient aussi de certaines butées que
l'on a. J'entendais tout à l'heure par exemple tout ce débat
autour d'Yves Montant, mais c'est un débat extraordinaire ! C'est
un philosophe qui a dit,
Vico, Jean-Baptista Vico, un philosophe
qui a dit " humare humanum est " " enterrer les morts,
c'est le propre de l'homme " il a dit il y a plusieurs cultures,
il découvrait la diversité des cultures, il disait il y
a trois traits fondamentaux : l'enterrement des morts, l'ensevelissement
des morts, le mariage et la religion, c'est ça qui fait l'humanité,
et qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui avec cette humanité-là,
avec si vous voulez cet héritage symbolique dont nous sommes dépositaires
? Il y a une pression de la science, une pression des enfants, une pression
de la justice pour effectivement faire parler les morts, pour déranger
les morts. Tout cela suscite un dégoût mais en même
temps un questionnement qu'il y a effectivement une réalité
philosophique, et je crois que c'est tout à fait légitime
il faut trouver les moyens de l'accompagner.
Alain Bédoué : Marc Sautet
Marc Sautet : Oui c'est
c'est
c'est gentil, mais qu'est-ce
qu'on fait aujourd'hui avec l'injustice ? Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui
avec la paupérisation ? Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui avec l'enrichissement
extraordinaire et scandaleux des gens qui spéculent à la
bourse tandis que les autres sombrent dans la misère ? Elle est
là la motivation principale, on a cassé une voie, on a cassé
une perspective, on a dit le socialisme, voyez comme c'est lamentable,
c'est pas la bonne issue, vous n'y parviendrez pas par là. Qu'est-ce
qu'on a fait en faisant ça ? On a fait en sorte que les gens du
peuple se disent : " eh bien nous voilà pris au piège,
une fatalité qui va nous écraser. Et désormais il
y a une machine qui passe et nous en serons les victimes. Eh bien moi
je vous dis que dans les cafés-philo il y a une résistance
à cette fatalité et peut-être faudrait-il y venir
pour pouvoir en juger et juger de la pertinence philosophique. Quand vous
avez en face de vous 100 ou 150 personnes qui cherchent à savoir
le vrai, qui cherchent à comprendre ce qu'il se passe, qui ne se
contentent pas de l'avis des experts, y compris des experts financiers,
et qui vous disent en face : " que faire ? " et que vous-même
dans vos tripes vous avez exactement la même angoisse, et que vous
êtes sur l'Agora, du coup, confronté à cette angoisse-là,
à cette inquiétude, que vous essayez d'expliciter, alors
à mon avis vous n'êtes pas dans la position socratique que
vous évoquez vous, Barbara Cassin, au sens de : " qu'est-ce
que c'est ? ". Vous êtes dans la position de Socrate effectivement
à l'Agora, dans l'interrogation : " comment se fait-il que
la démocratie qui est faite pour le bien du peuple, qui est le
gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple, se transforme en
son contraire, se traduise par l'inverse, et là il y a un vrai
mystère ". Et c'est ça le mystère de l'interrogation
philosophique, elle est là la motivation principale, les gens veulent
élucider ce mystère et je ne vois pas comment jusqu'à
présent dans l'enseignement pédagogique dont vous êtes
des praticiens vous allez faire avancer l'élucidation de ce mystère,
en tout cas au même rythme que dans les cafés-philo. Et elle
sera mise au crible, elle sera passée au crible toute la tradition
que vous invoquez, elle est bienvenue, mais qu'elle nous dise en quoi
elle nous permet d'avancer dans l'élucidation de ce mystère-là.
Alain Bédoué : Alain Etchégoien ?
Alain Etchégoien : Oui, trois remarques. La première c'est
que je crois [inaudible : en concurrence ou en concordance ?] avec ce
qu'a dit Marc Sautet que nous avons un devoir effectivement de faire de
la philosophie pour ceux qui sont non philosophes. Et il faut utiliser,
savoir utiliser, sans aller n'importe où, toutes les médiations
qui sont possible, et ça, ça me paraît vraiment une
nécessité parce que la philosophie a commencé toujours
par travailler avec les non philosophes. Deuxième remarque parce
que Alain Finkielkraut l'ignore, est-ce que vous savez qui dirige Vrin
?
Alain Finkielkraut : Non
Alain Etchégoien : Celui qui dirige Vrin, c'est l'ancien PDG de
Gerlain [rires]. Qui est patron
Barbara Cassin : depuis quelques jours ! ?
Non, non, pas du tout, non, non, c'est celui qui dirige depuis des années
et qui est un patron de la grande distribution. Pour vous dire qu'il y
a un mélange aujourd'hui du souci de l'édition de qualité,
car Vrin est une très belle maison, je suis d'accord avec vous
et puis par ailleurs d'autres intérêts. Enfin sur la mission
de la philosophie, je ne crois pas du tout que ce soit une mission d'engagement,
d'engagement social et politique, pas du tout. On a à apprendre
à penser, apprendre à penser les mots qui se banalisent,
à penser les mots qu'on dit
Marc Sautet : Communisme par exemple !
Alain Bédoué : attendez
Alain Etchégoien : Non, je prends un exemple
je prends un
exemple de café de philo
je pense
Alain Finkielkraut : on pourra faire un débat sur la question du
communisme !
Alain Etchégoien : Non, non
Alain Bédoué : On l'a déjà fait il y a trois
jours !
Alain Finkielkraut : alors tant pis pour nous !
Alain Etchégoien : Nous avons fait une émission sur l'égalité
samedi, on est allé au café de philo de Rouen sur l'égalité.
Le problème c'était pas : " comment on nous libère
", c'était comment penser l'inégalité et l'égalité
à partir de Rousseau, à partir de Spinoza, jusqu'à
Rawls ou Walzer, c'était ça le problème et c'est
de la pensée. Ce n'était pas du tout un mouvement de désir
de subversion, non, il faut d'abord penser, la philosophie ça sert
à ça.
" Toun toun toun 01 45 24 7000 "
Alain Bédoué : C'est à vous bonsoir
Un monsieur : Oui bonsoir
Alain Bédoué : Bonsoir Monsieur
Le monsieur : Je suis enseignant dans le secondaire
(suite le mois
prochain !)
Vers l'épisode 3
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