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Le téléphone sonne (3)

 

Paru dans l'Incendiaire n°9, octobre 1998
3 pages



Résumé

Episode 1 - Episode 2
Suite de la retranscription du "Téléphone sonne", émission de France Inter diffusée le 13 novembre 1997

 

Sommaire rapide

Vers l'épisode 2
Toun toun toun 01 45 24 7000
Alain Bédoué : C'est à vous bonsoir
Un monsieur : Oui bonsoir
Alain Bédoué : Bonsoir Monsieur…
Le monsieur : Je suis enseignant dans le secondaire, j'enseigne la philosophie et voilà, j'ai assisté volontairement ou involontairement à des réunions dans un café-philo et j'ai constaté que ça relevait beaucoup plus du bavardage et de l'échange d'opinions que de philosophie mais d'un autre côté j'ai assisté à des séminaires à l'université dont certains où se trouvait Madame Cassin, à Paris IV, et j'ai constaté que ça relevait beaucoup plus de l'érudition et de l'histoire des idées que de la philosophie aussi. Alors ma question est la suivante : où est l'analyse rigoureuse des notions, c'est-à-dire ce qu'on appelle dans l'université la philosophie générale telle qu'on peut la voir par exemple chez Jankélévitch ou Alain. A cette question je me permettrais d'ajouter deux remarques si j'ai écouté l'émission : Madame Cassin dit que l'université n'est pas un ghetto, or on sait très bien que l'université est un ghetto puisque les postes se sont pourvus par cooptation et que il n'y pas de philosophie générale, il n'y a pas de postes de philosophie générale et que les gens qui font des thèses en philosophie générale se font exclure de toutes façons.
Alain Bédoué : Voilà Barbara Cassin vous voulez réagir ?
Barbara Cassin : oui, je ne défendrai jamais l'université comme elle est, d'ailleurs j'ai même pas pu y rentrer, les choses sont très simples, l'université effectivement c'est, par rapport à ceux qui veulent y rentrer, un ghetto. Soit, maintenant ce qu'on y enseigne, à mon avis, ça n'a rien à voir avec ce qu'on enseigne, avec une ghettoïsation de la philosophie, au contraire, ça à à voir avec la possibilité de faire de la philosophie tout court, exactement comme Hegel disait, c'est pas parce qu'on a donné à quelqu'un qui a des yeux et des mains, c'est pas parce qu'on va lui donner du cuir et une aiguille, qu'il va savoir faire un soulier, pourtant il a bien un pied et en lui même la mesure du pied. Bon, eh bien il me semble que quoi qu'il arrive, la philosophie… il suffit pas d'avoir une tête pour en faire automatiquement, c'est beaucoup plus compliqué que ça. Maintenant, je voudrais repartir juste un instant de la Grèce, puisque Marc Sautet en parlait, et qu'il parlait de Socrate. Puisque vous avez été à des séminaires de philosophie grecque donc, vous devez savoir que je suis un peu hérétique dans la mesure où je m'occupe des sophistes, c'est-à-dire justement de ces " sales non-philosophes " condamnés par Platon, et Socrate ayant été condamné lui-même comme sophiste, et je m'occupe des sophistes comme ayant essayé au moins d'émettre cette opposition qu'il y a entre opinion et vérité. Ca se travaille, je veux dire qu'il n'y a pas une différence toute crue entre l'opinion de tout un chacun et le travail des philosophes, le travail des textes etc. Pas du tout, je crois que l'ensemble se travaille, bon, et c'est justement ce travail-là qui est fait, à mon avis, mal, bien, dans la mesure du possible, dans l'université.
Alain Bédoué : Madame ?
Une dame : Il y a une question que je me pose, il y a une demande de philosophie, mais est-ce qu'il y a aujourd'hui des gens importants dans la pensée philosophique ? Il y a eu les années Sartre, où les gens, s'ils s'intéressaient à la philosophie, s'intéressaient à une philosophie, il y a eu Foucault, et puis il y a eu Barthes, où l'intérêt était, peut-être de moins de monde, je ne sais pas, mais sur le contenu. Est-ce que ce n'est pas aujourd'hui une curiosité plus diffuse et pas une curiosité sur des gens ? Et est-ce qu'il n'y a pas peut-être moins de gens importants, je ne sais pas c'est une question de béotien, volontairement.
Alain Bédoué : Alain Finkielkraut ?
Alain Finkielkraut : je ne crois pas qu'on puisse raisonner en ces termes. D'abord, le monde des grands et des très grands philosophes est un club très fermé, il n'y en a pas beaucoup par siècle, c'est assez extraordinaire. Or, on peut, enfin moi je suis heureux d'avoir été, par exemple, le contemporain d'Emmanuel Lévinas, de l'avoir connu, d'être aujourd'hui le contemporain de Ricoeur, il y a des philosophes aussi qu'on redécouvre aujourd'hui à la faveur de l'effondrement, je ne dirais pas du communisme, en tout cas du marxisme, Hannah Arendt est lue, travaillée, alors qu'elle a été longtemps, notamment en France et par l'intelligentsia française, occultée ou marginalisée. Et puis il y a aussi, si vous voulez, à un autre niveau, un renouveau très important de la philosophie politique, et c'est aussi l'une des conséquences de la crise du marxisme, Marx avait occulté la grande pensée politique occidentale, tout cela revient, alors peut-être que ça ne revient pas sous la forme de grands philosophes, au sens où on en a l'habitude, mais avec un travail très impressionnant et souvent des textes de grande qualité. Alors je citerais un auteur, Pierre Manant, qui a publié un livre, la cité de l'homme, il y a deux ou trois ans, un livre absolument magnifique, inspiré par Léo Strauss, qui n'est pas forcément mon philosophe préféré, c'est aussi la différence qu'il y a entre les opinions que l'on investit et le plaisir philosophique que l'on peut avoir, mais c'est un très grand livre et puis je pourrais en faire la liste. Donc je ne crois pas à cet égard que nous vivions une période, si vous voulez, de carence ou de reflux.
Alain Bédoué : Alain Etchégoien ?
Alain Etchégoien : Justement sur cette idée de grand philosophe, je crois que les grands philosophes ont fait beaucoup mais aussi beaucoup nuit à la philosophie en France parce que en France, ce n'est pas du tout vrai en Allemagne par exemple, ce n'était pas vrai en France au XVIIe et XVIIIe siècles, les grands philosophes français n'ont jamais discuté entre eux, jamais nous n'avons eu un débat de Michel Serres avec Jacques Derrida, ou de Michel Serres avec Michel Foucault, ils refusaient de se parler, ils refusaient de participer à un colloque ensemble. Simplement qu'on confronte, parce que pour les étudiants c'est très perturbant, si vous voulez, ils savent pas très bien, il y a de la philosophie chez Althusser, il y en a chez Derrida, il y en a chez Serres, mais on ne voit pas ce qu'il y a de commun, alors qu'Adorno et Popper, quand ils sont pas d'accord, ils font un livre ensemble. Et nous quand on fait de l'histoire de la philosophie on étudie les correspondances entre les philosophes, ils discutent de leurs thèses. Donc il faut pas magnifier cette idée qu'il y a eu des grands et que vous les repérez plus de la même façon, parce que, je crois, ça a beaucoup nuit à la philosophie. Attendez, juste une anecdote : un jour je vois deux grands philosophes que je viens de citer discuter ensemble pendant un quart d'heure chez Jack Lang, et étonné de les voir discuter ensemble, j'aborde l'un d'entre eux, et je lui dit : mais qu'est-ce qui te prend ? Vous discutez enfin ensemble, et il me dit : nous avons les mêmes problèmes fiscaux aux Etats-Unis… [rires]
Alain Bédoué : Barbara Cassin vous vouliez réagir aussi ?
Barbara Cassin : Simplement sur ce que vient de dire Alain Etchégoien, les philosophes français n'ont pas beaucoup discuté entre eux ? Oui ils ont discuté avec euh… par exemple tous, à un certain moment, avec Heidegger. Et ça équivalait à discuter entre eux, il y avait un troisième terme. Et puis Deleuze et Foucault, ils ont quand même bien discuté entre eux et ça a produit des trucs. Euh bon, moi il me semble que, ce qu'il y a c'est qu'en effet les philosophes et les intellectuels ne font plus qu'un comme à un certain moment. C'est plutôt ça que je dirais. Il me semble qu'il y a aujourd'hui des gens très…, des philosophes favorisés par les médiats, et puis il y a des philosophes beaucoup plus obscurs et beaucoup plus…, je dirais qui se donnent beaucoup de mal pour passer par ailleurs, pour aller voir ailleurs si la philosophie y est. Par exemple pour passer par la chine : François Jullien, pour passer par la psychanalyse, pour passer par la philologie et l'explication des textes, bon, et ça c'est un travail assez nouveau, assez français, et, je crois, assez passionnant.
Alain Bédoué : Marc Sautet vous vouliez réagir aussi ?
Marc Sautet : Oui, j'aimerais que ceux qui font preuve de mansuétude à l'égard de l'université, fassent preuve de la même mansuétude à l'égard des cafés-philo, et a fortiori dans la mesure où l'expérience est très récente, qu'elle n'a que cinq ans et qu'eux de leur part contribuent à faire en sorte qu'en effet ça ne soit pas le café du commerce, car le café-philo peut être tout autre chose, peut vraiment être l'endroit de la controverse, où on cherche à faire le tri entre le faux et le vrai, le juste et l'injuste, le bon et le mauvais, et où les références peuvent affluer justement comme des moments à partir desquels on va rebondir pour de bon en se quittant. Alors ça c'est le premier point. Le second point c'est que la référence, et ça relève un peu de ce que vous suggériez à l'instant, la référence aujourd'hui me paraît un petit peu dépassée, et c'est peut-être pour ça qu'aujourd'hui, la philosophie et le besoin de philosophie s'introduisent autrement. Les grands philosophes auxquels on fait référence, auxquels vous faites allusion, qui seraient un petit peu sur la touche aujourd'hui passent par le texte…
La dame : Je ne dis pas qu'ils sont sur la touche, je dis : y en a-t-il d'autres de cette envergure ?
… il se peut qu'ils soient en ce moment en train de gratter dans leur coin et dans leur petit cabinet l'œuvre du siècle à venir, mais ce qui est pour moi décisif aujourd'hui, c'est que on accède enfin à ce qu'était peut-être la philosophie à sa source, au retour à l'oral, au retout verbal, au retour à la controverse, sur laquelle évidemment vous allez avoir tous les maux du monde à investir, et pourtant c'est de là qu'elle est née. La philosophie n'est pas née de l'écrit, elle est née d'une rupture de Socrate avec Anaxagore, une rupture de Socrate avec l'écriture justement, et d'un refus de subordonner la pensée, et l'urgence de la pensée, à l'écriture déjà en stock. Socrate dit bien lors de son procès : moi, j'étais partisan d'Anaxagore, et puis je me suis rendu compte que ça ne suffisait pas à rendre raison des maux qui s'abattent sur la cité, eh bien, à un moment, je suis monté sur l'Agora et j'ai demandé des compte à ceux qui avaient le pouvoir. Et c'est dans cette demande de comptes que la philosophie est née, et moi, c'est exactement mon souci aujourd'hui, je me demande si le philosophe n'a pas, avant tout, avant d'écrire, et désormais essentiellement pour tâche d'être disponible pour l'oral et pas pour l'écrit.
Alain Bédoué : Alain Etchégoien ?
Alain Etchégoien : Juste une remarque, le café de philo n'est pas un concept, n'est pas Socrate qui veut, c'est-à-dire qu'il y a des cafés de philo où effectivement les gens préparent, et qu'ils font l'exposé d'un philosophe, et puis il y a les café de philo où on improvise sur n'importe quelle question….
Marc Sautet : Mais est-ce que Socrate préparait crénon de nom ?
Alain Etchégoien : Mais non, je dis…
Alain Finkielkraut : Mais quand même…
Marc Sautet : Mais quand même quoi ?
Alain Etchégoien : mais non mais attendez. Attendez, il y a grande différence, c'est que Socrate c'est le début de la philosophie. Nous avons l'histoire de la philosophie derrière nous…
Marc Sautet : Hélas…
Alain Etchégoien : Non, non, pas hélas… Si vous dites hélas, c'est quand même très significatif…
Alain Finkielkraut : Non…
Marc Sautet : Des semelles de plomb... !
Alain Finkielkraut : Non je pense…
Marc Sautet : Des semelles de plomb... !
Alain Finkielkraut : Il y aurait beaucoup de chose à dire par rapport à ce que viens… aux dernières formulations de Marc Sautet. Alors je dirais d'abord ceci : la démocratie est toujours infidèle à ces promesses, aux promesses qu'elle fait, aux attentes qu'elle crée. De là effectivement l'instauration au sein de la démocratie des discours critiques, au nom duquel Marc Sautet parle, il a peut-être raison, mais la philosophie ne peut pas s'épuiser dans ce discours critique-là. Deuxièmement, les conversations, sans doute, c'est très important, mais est-ce que le café de philosophie est le meilleur espace pour les conversations, cela je n'en suis pas sûr, je n'est pas le temps de le développer, et puis troisièmement, on s'en rend compte nous-mêmes, effectivement l'oral ça compte, mais on est d'autant meilleur à l'oral qu'on est passé par la grande traversée du désert qu'est le fait d'écrire.
Alain Bédoué : Dernier mot vous aussi Barbara Cassin ?
Barbara Cassin : Oui, non, je… évidemment : vive l'oral ! moi je suis pour l'oral, mais ce que je veux dire quand même, c'est que Socrate n'était pas du tout un démocrate, en tout cas pas Socrate tel que nous l'a transmis Platon, et après tout c'est quand même celui qu'on a, celui de Xénophon n'est guère mieux, hein, Socrate, c'était… il n'a jamais été… il ne savait pas parler politique, tout le monde lui reprochait, lui aussi il acceptait ça comme un reproche essentiel à sa philosophie, il ne savait pas parler politique, moi je dirais que le naissance de la philosophie c'est pas du tout Socrate montant sur l'Agora pour dire : eh je vais vous demander des comptes de ce qui se passe de mal dans la cité, c'est Platon disant les Sophistes c'est des fumiers.
Alain Bédoué : Ce sera le dernier mot pour ce soir, vous avez entendu les tops, il est vingt heures sur France-Inter. Merci à tous, bonsoir.

 

 

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