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Vers l'épisode 2
Toun toun toun 01 45
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Alain Bédoué : C'est à vous bonsoir
Un monsieur : Oui bonsoir
Alain Bédoué : Bonsoir Monsieur
Le monsieur : Je suis enseignant dans le secondaire, j'enseigne la philosophie
et voilà, j'ai assisté volontairement ou involontairement
à des réunions dans un café-philo et j'ai constaté
que ça relevait beaucoup plus du bavardage et de l'échange
d'opinions que de philosophie mais d'un autre côté j'ai assisté
à des séminaires à l'université dont certains
où se trouvait Madame Cassin, à Paris IV, et j'ai constaté
que ça relevait beaucoup plus de l'érudition et de l'histoire
des idées que de la philosophie aussi. Alors ma question est la
suivante : où est l'analyse rigoureuse des notions, c'est-à-dire
ce qu'on appelle dans l'université la philosophie générale
telle qu'on peut la voir par exemple chez Jankélévitch ou
Alain. A cette question je me permettrais d'ajouter deux remarques si
j'ai écouté l'émission : Madame Cassin dit que l'université
n'est pas un ghetto, or on sait très bien que l'université
est un ghetto puisque les postes se sont pourvus par cooptation et que
il n'y pas de philosophie générale, il n'y a pas de postes
de philosophie générale et que les gens qui font des thèses
en philosophie générale se font exclure de toutes façons.
Alain Bédoué : Voilà Barbara Cassin vous voulez réagir
?
Barbara Cassin : oui, je ne défendrai jamais l'université
comme elle est, d'ailleurs j'ai même pas pu y rentrer, les choses
sont très simples, l'université effectivement c'est, par
rapport à ceux qui veulent y rentrer, un ghetto. Soit, maintenant
ce qu'on y enseigne, à mon avis, ça n'a rien à voir
avec ce qu'on enseigne, avec une ghettoïsation de la philosophie,
au contraire, ça à à voir avec la possibilité
de faire de la philosophie tout court, exactement comme Hegel disait,
c'est pas parce qu'on a donné à quelqu'un qui a des yeux
et des mains, c'est pas parce qu'on va lui donner du cuir et une aiguille,
qu'il va savoir faire un soulier, pourtant il a bien un pied et en lui
même la mesure du pied. Bon, eh bien il me semble que quoi qu'il
arrive, la philosophie
il suffit pas d'avoir une tête pour
en faire automatiquement, c'est beaucoup plus compliqué que ça.
Maintenant, je voudrais repartir juste un instant de la Grèce,
puisque Marc Sautet en parlait, et qu'il parlait de Socrate. Puisque vous
avez été à des séminaires de philosophie grecque
donc, vous devez savoir que je suis un peu hérétique dans
la mesure où je m'occupe des sophistes, c'est-à-dire justement
de ces " sales non-philosophes " condamnés par Platon,
et Socrate ayant été condamné lui-même comme
sophiste, et je m'occupe des sophistes comme ayant essayé au moins
d'émettre cette opposition qu'il y a entre opinion et vérité.
Ca se travaille, je veux dire qu'il n'y a pas une différence toute
crue entre l'opinion de tout un chacun et le travail des philosophes,
le travail des textes etc. Pas du tout, je crois que l'ensemble se travaille,
bon, et c'est justement ce travail-là qui est fait, à mon
avis, mal, bien, dans la mesure du possible, dans l'université.
Alain Bédoué : Madame ?
Une dame : Il y a une question que je me pose, il y a une demande de philosophie,
mais est-ce qu'il y a aujourd'hui des gens importants dans la pensée
philosophique ? Il y a eu les années Sartre, où les gens,
s'ils s'intéressaient à la philosophie, s'intéressaient
à une philosophie, il y a eu Foucault, et puis il y a eu Barthes,
où l'intérêt était, peut-être de moins
de monde, je ne sais pas, mais sur le contenu. Est-ce que ce n'est pas
aujourd'hui une curiosité plus diffuse et pas une curiosité
sur des gens ? Et est-ce qu'il n'y a pas peut-être moins de gens
importants, je ne sais pas c'est une question de béotien, volontairement.
Alain Bédoué : Alain Finkielkraut ?
Alain Finkielkraut : je ne crois pas qu'on puisse raisonner en ces termes.
D'abord, le monde des grands et des très grands philosophes est
un club très fermé, il n'y en a pas beaucoup par siècle,
c'est assez extraordinaire. Or, on peut, enfin moi je suis heureux d'avoir
été, par exemple, le contemporain d'Emmanuel Lévinas,
de l'avoir connu, d'être aujourd'hui le contemporain de Ricoeur,
il y a des philosophes aussi qu'on redécouvre aujourd'hui à
la faveur de l'effondrement, je ne dirais pas du communisme, en tout cas
du marxisme, Hannah Arendt est lue, travaillée, alors qu'elle a
été longtemps, notamment en France et par l'intelligentsia
française, occultée ou marginalisée. Et puis il y
a aussi, si vous voulez, à un autre niveau, un renouveau très
important de la philosophie politique, et c'est aussi l'une des conséquences
de la crise du marxisme, Marx avait occulté la grande pensée
politique occidentale, tout cela revient, alors peut-être que ça
ne revient pas sous la forme de grands philosophes, au sens où
on en a l'habitude, mais avec un travail très impressionnant et
souvent des textes de grande qualité. Alors je citerais un auteur,
Pierre Manant, qui a publié un livre, la cité de l'homme,
il y a deux ou trois ans, un livre absolument magnifique, inspiré
par Léo Strauss, qui n'est pas forcément mon philosophe
préféré, c'est aussi la différence qu'il y
a entre les opinions que l'on investit et le plaisir philosophique que
l'on peut avoir, mais c'est un très grand livre et puis je pourrais
en faire la liste. Donc je ne crois pas à cet égard que
nous vivions une période, si vous voulez, de carence ou de reflux.
Alain Bédoué : Alain Etchégoien ?
Alain Etchégoien : Justement sur cette idée de grand philosophe,
je crois que les grands philosophes ont fait beaucoup mais aussi beaucoup
nuit à la philosophie en France parce que en France, ce n'est pas
du tout vrai en Allemagne par exemple, ce n'était pas vrai en France
au XVIIe et XVIIIe siècles, les grands philosophes français
n'ont jamais discuté entre eux, jamais nous n'avons eu un débat
de Michel Serres avec Jacques Derrida, ou de Michel Serres avec Michel
Foucault, ils refusaient de se parler, ils refusaient de participer à
un colloque ensemble. Simplement qu'on confronte, parce que pour les étudiants
c'est très perturbant, si vous voulez, ils savent pas très
bien, il y a de la philosophie chez Althusser, il y en a chez Derrida,
il y en a chez Serres, mais on ne voit pas ce qu'il y a de commun, alors
qu'Adorno et Popper, quand ils sont pas d'accord, ils font un livre ensemble.
Et nous quand on fait de l'histoire de la philosophie on étudie
les correspondances entre les philosophes, ils discutent de leurs thèses.
Donc il faut pas magnifier cette idée qu'il y a eu des grands et
que vous les repérez plus de la même façon, parce
que, je crois, ça a beaucoup nuit à la philosophie. Attendez,
juste une anecdote : un jour je vois deux grands philosophes que je viens
de citer discuter ensemble pendant un quart d'heure chez Jack Lang, et
étonné de les voir discuter ensemble, j'aborde l'un d'entre
eux, et je lui dit : mais qu'est-ce qui te prend ? Vous discutez enfin
ensemble, et il me dit : nous avons les mêmes problèmes fiscaux
aux Etats-Unis
[rires]
Alain Bédoué : Barbara Cassin vous vouliez réagir
aussi ?
Barbara Cassin : Simplement sur ce que vient de dire Alain Etchégoien,
les philosophes français n'ont pas beaucoup discuté entre
eux ? Oui ils ont discuté avec euh
par exemple tous, à
un certain moment, avec Heidegger. Et ça équivalait à
discuter entre eux, il y avait un troisième terme. Et puis Deleuze
et Foucault, ils ont quand même bien discuté entre eux et
ça a produit des trucs. Euh bon, moi il me semble que, ce qu'il
y a c'est qu'en effet les philosophes et les intellectuels ne font plus
qu'un comme à un certain moment. C'est plutôt ça que
je dirais. Il me semble qu'il y a aujourd'hui des gens très
,
des philosophes favorisés par les médiats, et puis il y
a des philosophes beaucoup plus obscurs et beaucoup plus
, je dirais
qui se donnent beaucoup de mal pour passer par ailleurs, pour aller voir
ailleurs si la philosophie y est. Par exemple pour passer par la chine
: François Jullien, pour passer par la psychanalyse, pour passer
par la philologie et l'explication des textes, bon, et ça c'est
un travail assez nouveau, assez français, et, je crois, assez passionnant.
Alain Bédoué : Marc Sautet vous vouliez réagir aussi
?
Marc Sautet : Oui, j'aimerais que ceux qui font preuve de mansuétude
à l'égard de l'université, fassent preuve de la même
mansuétude à l'égard des cafés-philo, et a
fortiori dans la mesure où l'expérience est très
récente, qu'elle n'a que cinq ans et qu'eux de leur part contribuent
à faire en sorte qu'en effet ça ne soit pas le café
du commerce, car le café-philo peut être tout autre chose,
peut vraiment être l'endroit de la controverse, où on cherche
à faire le tri entre le faux et le vrai, le juste et l'injuste,
le bon et le mauvais, et où les références peuvent
affluer justement comme des moments à partir desquels on va rebondir
pour de bon en se quittant. Alors ça c'est le premier point. Le
second point c'est que la référence, et ça relève
un peu de ce que vous suggériez à l'instant, la référence
aujourd'hui me paraît un petit peu dépassée, et c'est
peut-être pour ça qu'aujourd'hui, la philosophie et le besoin
de philosophie s'introduisent autrement. Les grands philosophes auxquels
on fait référence, auxquels vous faites allusion, qui seraient
un petit peu sur la touche aujourd'hui passent par le texte
La dame : Je ne dis pas qu'ils sont sur la touche, je dis : y en a-t-il
d'autres de cette envergure ?
il se peut qu'ils soient en ce moment en train de gratter dans
leur coin et dans leur petit cabinet l'uvre du siècle à
venir, mais ce qui est pour moi décisif aujourd'hui, c'est que
on accède enfin à ce qu'était peut-être la
philosophie à sa source, au retour à l'oral, au retout verbal,
au retour à la controverse, sur laquelle évidemment vous
allez avoir tous les maux du monde à investir, et pourtant c'est
de là qu'elle est née. La philosophie n'est pas née
de l'écrit, elle est née d'une rupture de Socrate avec Anaxagore,
une rupture de Socrate avec l'écriture justement, et d'un refus
de subordonner la pensée, et l'urgence de la pensée, à
l'écriture déjà en stock. Socrate dit bien lors de
son procès : moi, j'étais partisan d'Anaxagore, et puis
je me suis rendu compte que ça ne suffisait pas à rendre
raison des maux qui s'abattent sur la cité, eh bien, à un
moment, je suis monté sur l'Agora et j'ai demandé des compte
à ceux qui avaient le pouvoir. Et c'est dans cette demande de comptes
que la philosophie est née, et moi, c'est exactement mon souci
aujourd'hui, je me demande si le philosophe n'a pas, avant tout, avant
d'écrire, et désormais essentiellement pour tâche
d'être disponible pour l'oral et pas pour l'écrit.
Alain Bédoué : Alain Etchégoien ?
Alain Etchégoien : Juste une remarque, le café de philo
n'est pas un concept, n'est pas Socrate qui veut, c'est-à-dire
qu'il y a des cafés de philo où effectivement les gens préparent,
et qu'ils font l'exposé d'un philosophe, et puis il y a les café
de philo où on improvise sur n'importe quelle question
.
Marc Sautet : Mais est-ce que Socrate préparait crénon de
nom ?
Alain Etchégoien : Mais non, je dis
Alain Finkielkraut : Mais quand même
Marc Sautet : Mais quand même quoi ?
Alain Etchégoien : mais non mais attendez. Attendez, il y a grande
différence, c'est que Socrate c'est le début de la philosophie.
Nous avons l'histoire de la philosophie derrière nous
Marc Sautet : Hélas
Alain Etchégoien : Non, non, pas hélas
Si vous dites
hélas, c'est quand même très significatif
Alain Finkielkraut : Non
Marc Sautet : Des semelles de plomb... !
Alain Finkielkraut : Non je pense
Marc Sautet : Des semelles de plomb... !
Alain Finkielkraut : Il y aurait beaucoup de chose à dire par rapport
à ce que viens
aux dernières formulations de Marc
Sautet. Alors je dirais d'abord ceci : la démocratie est toujours
infidèle à ces promesses, aux promesses qu'elle fait, aux
attentes qu'elle crée. De là effectivement l'instauration
au sein de la démocratie des discours critiques, au nom duquel
Marc Sautet parle, il a peut-être raison, mais la philosophie ne
peut pas s'épuiser dans ce discours critique-là. Deuxièmement,
les conversations, sans doute, c'est très important, mais est-ce
que le café de philosophie est le meilleur espace pour les conversations,
cela je n'en suis pas sûr, je n'est pas le temps de le développer,
et puis troisièmement, on s'en rend compte nous-mêmes, effectivement
l'oral ça compte, mais on est d'autant meilleur à l'oral
qu'on est passé par la grande traversée du désert
qu'est le fait d'écrire.
Alain Bédoué : Dernier mot vous aussi Barbara Cassin ?
Barbara Cassin : Oui, non, je
évidemment : vive l'oral !
moi je suis pour l'oral, mais ce que je veux dire quand même, c'est
que Socrate n'était pas du tout un démocrate, en tout cas
pas Socrate tel que nous l'a transmis Platon, et après tout c'est
quand même celui qu'on a, celui de Xénophon n'est guère
mieux, hein, Socrate, c'était
il n'a jamais été
il ne savait pas parler politique, tout le monde lui reprochait, lui aussi
il acceptait ça comme un reproche essentiel à sa philosophie,
il ne savait pas parler politique, moi je dirais que le naissance de la
philosophie c'est pas du tout Socrate montant sur l'Agora pour dire :
eh je vais vous demander des comptes de ce qui se passe de mal dans la
cité, c'est Platon disant les Sophistes c'est des fumiers.
Alain Bédoué : Ce sera le dernier mot pour ce soir, vous
avez entendu les tops, il est vingt heures sur France-Inter. Merci à
tous, bonsoir.
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